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L’immigration à Rennes aujourd’hui

P ARTIE 2 : ABORDER LE DIS- DIS-COURS DANS LA VILLE

CHAPITRE 5 : La ville, espace de (dé)légitimation de la migrancemigrance

6.1. L’immigration en France

6.2.2. L’immigration à Rennes aujourd’hui

L’Ille-et-Vilaine et Rennes sont les centres névralgiques de l’immigration en Bretagne.

Sur 433 000 habitants à Rennes Métropole en 201430, 7 %31 de la population totale est

immigrée (et 10 % à Rennes même) se rapprochant bien plus des standards nationaux que le

reste de la Bretagne. Dans son « Contrat de ville de la Métropole Rennaise32 », Rennes

29 Source Insee : [https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285796], consultée le 07/03/2018.

30 Ce sont les chiffres les plus récents ici. Les descriptions suivantes reviendront sur les chiffres de 2011 de l’Insee.

31 Source Audiar, disponible à l’adresse :

[http://www.audiar.org/sites/default/files/documents/editeur/observatoires/ods_2017_edito_sommaire_c hiffrescles.pdf], dernière consultation le 07/03/2018.

Métropole met l’accent sur le « vivre ensemble » et la « diversité » dans la métropole. À l’évolution « de la place des étrangers et des immigrés », de plus en plus présents dans ce centre urbain, répondent un « tissu associatif très dense » et une « effervescence culturelle et artistique ». Dans le même temps, la métropole définit ses « quartiers prioritaires » autrement appelés « quartiers populaires », « quartiers défavorisés », « quartiers de la politique de la ville » voire « quartiers » dans le sommaire. Ceux-ci sont au nombre de cinq : le quartier de Maurepas, le quartier du Blosne, le quartier Clôteaux / Champs-Manceaux (Bréquigny), le quartier de Villejean et le quartier de Cleunay. Si le document souffre d’un manque de définition sur la notion de « prioritaire » (qui semble recouvrir les problèmes de pauvreté et les « problèmes sociaux » liés), il s’agit pour ces territoires de :

Véhiculer les valeurs de citoyenneté et de laïcité dans les territoires, notamment dans les quartiers, et lutter contre les inégalités et les discriminations. Ils remettent au premier plan : • la mobilisation du droit commun autour des territoires prioritaires : sur ce sujet, les partenaires du territoire de Rennes Métropole ont choisi de donner des moyens et du temps à une réflexion approfondie à travers une recherche-action ;

• la participation des citoyens, remise au cœur de la politique de la ville notamment en s’appuyant sur des dispositifs tels que le « conseil citoyen » et la « maison du projet » pour les quartiers bénéficiant d’un programme de renouvèlement urbain. (Ibid. : 7).

Illustration 9: "Territoires de la politique de la ville"

[http://www.resovilles.com/wp-content/uploads/2016/09/Contrat_ville_Rennes_metropole20150310.pdf], dernière date de consultation le 07/03/2018.

La carte ci-dessus nous présente les cinq « quartiers prioritaires » de la ville de Rennes et de Rennes Métropole ainsi que la ville de Saint-Jacques-de-la-Lande, qualifiée de « territoire de veille ». Les quartiers de la ville de Rennes nommés correspondent ici au diagnostic de la répartition des étrangers et des immigrés sur le territoire : « Rennes compte

aujourd’hui 8,3 % d’immigrés, ce qui correspond à la moyenne nationale. Près de 48 % des étrangers à Rennes vivent dans les quartiers prioritaires et 50 % des immigrés. Les étrangers à Rennes viennent tout d’abord du Maghreb (23 %), des autres pays d’Afrique (22,4 %) et de l’Europe (16 %). Marocains et Turcs devancent les Algériens et les Portugais » (Ibid. : 56).

Illustration 10: "Population immigrée et population étrangère en 2010 en % dans la population"

La présentation de ces chiffres, présentant la surreprésentation étrangère et immigrée dans les « quartiers » de la ville, s’inscrit dans le chapitre de « lutte contre les discriminations ». Notons que la présence du quartier de Cleunay peut surprendre dans ce rapprochement de l’immigration et des quartiers prioritaires, il s’agirait plutôt ainsi des « représentations » véhiculées qui le feraient rentrer dans cette catégorie :

Les quartiers populaires portent avec leurs habitants une histoire lourde de représentations et de stéréotypes. Immigration, condition sociale sont vécus comme des stigmates pesant sur l’avenir des jeunes notamment. Les pratiques discriminatoires doivent pouvoir être repérées et traitées, mais il s’agit aussi au travers d’actions de reconnaissance et de valorisation du « vivre ensemble » collectif de contribuer à construire une histoire commune, un récit de ville qui soit partagé entre tous les habitants à la fois à l’échelle des quartiers populaires mais également du bassin de vie. (Ibid. : 56).

L’immigration et la présence d’étrangers sur le territoire sont ainsi principalement vues du point de vue de la géographie des quartiers à Rennes. Cette présence et les quartiers qui leur sont liés font ainsi partie de la « politique de la ville » qui se présente comme étant prompt à agir sur ses « territoires prioritaires ». Du point de vue des politiques récentes, la ville de Rennes s’est engagée, au côté d’autres villes, dans le « Réseau des villes solidaires, pour l’accueil des réfugiés de guerre » en septembre 2015, faisant suite notamment au conflit syrien. La maire de Rennes affirme ainsi que « l’accueil est dans l’ADN de Rennes33 ». À

la même date, la mairie obtenait l’expulsion d’un camp de réfugiés somaliens au parc des Gayeulles au nord de la ville34. Les conflits avec les associations ne sont d’ailleurs pas rares. L’organisation militante qui en a découlé permet également d’observer à Rennes l’évolution des luttes sociales depuis les années 1960 et le croisement des mouvements étudiants, ouvriers et des luttes féministes (GOHARD, POREE, 2014). Le dernier exemple médiatique reste aujourd’hui l’occupation du « Squat de la Poterie » au sud de Rennes où un collectif d’une trentaine d’associations obtiendra, non sans tensions, des accords avec la ville pour le chauffage et l’établissement temporaire du squat : ce dernier aujourd’hui n’est plus mais est l’exemple d’une dualité importante entre ville et associations35.

L’étude de Thierry Bulot (2006) sur les pratiques linguistiques à Rennes décrivait ainsi la ville au milieu des années 2000 :

La ville de Rennes constitue un autre cas spécifique pour l’approche de l’urbanité langagière. D’abord 1) parce que contrairement à Rouen marquée par la ségrégation sociospatiale, la ville est, pour sa part, une championne déclarée (et par ailleurs attestée par les données officielles) de la mixité sociale (Guy et Givord, 2004) ; 2) parce que son statut de ville universitaire a pour corolaire que la proportion des 15-29 ans y atteint les 34 % contre 19,9 % à l’échelon national ; et 3) parce que, même si le nombre d’étrangers y est moindre eu égard à la situation française (4 % contre 5,6 %), il convient de noter que la ville accueille à elle-seule 26 % de l’ensemble des étrangers de la région Bretagne et plus encore plus de 66 % des étrangers du département d’Ille-et-Vilaine. Des langues autres que le français y sont ainsi diversement attestées. (BULOT, 2006 : 315-316).

33 Source Rennes Métropole : [ http://metropole.rennes.fr/actualites/institutions-citoyennete/institution/refugies-l-accueil-est-dans-l-adn-de-rennes/], dernière date de consultation le 07/03/2018.

34 Source France 3 Bretagne : [ https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/ille-et-vilaine/rennes/rennes-la-justice-ordonne-l-expulsion-de-refugies-somaliens-la-demande-de-la-mairie-821187.html], dernière date de consultation le 07/03/2018.

35 Une simple recherche à partir du mot clé « squat de la Poterie » dans une barre de recherche permet d’observer un nombre très important d’articles médiatiques.

Ce discours – renvoyant à une apparente « mixité sociale » qui, comme nous l’avons vu, renvoie à une politique de solidarité de la ville sur ses « quartiers » et l’humanisme des acteurs politiques vis-à-vis des situations sociales précaires – ne semble pourtant pas chez Thierry Bulot masquer une réalité sociale ségrégative et stéréotypique, comme révélée chez les informateurs de sa recherche :

Lorsque les locuteurs que nous avons interrogés ont eu à dénommer les lieux de la norme (« Où parle-t-on le mieux le français à Rennes ? »), ils ont, de fait, mis en mots un espace de référence, une centralité sociolinguistique en partie conforme aux stéréotypes impartis aux villes du Nord-Ouest de la France et qu’on a déjà trouvés à Rouen : la norme est au centre-ville ; en partie seulement car c’est un autre quartier, proche du Centre mais nettement distinct, qui possède pleinement les attributs positifs de la référence socio-spatiale : le Thabor […]. (BULOT, 2006 : 317).

Et de conclure :

Cette distinction est d’importance car elle signale une disjonction entre une centralité urbaine correspondant à la mise à disposition d’un espace collectif (le centre-ville en grande partie historique donc touristique), et une centralité sociolinguistique posant une portion de l’espace rennais comme l’espace de référence absolu pour le français normé. Une telle disjonction introduit une rupture qui semble corroborée par les discours tenus sur le contre-espace de référence (« où parle-t-on le plus mal le français à Rennes ? ») qui exclut du centre-ville et du Thabor (et plus largement des zones proches du Centre) toutes formes normées de français, les formes régionales romanes (donc gallèses) et les formes de français perçues comme marquées par les migrations récentes ou en cours. Sont ainsi désignés les quartiers Rennes Sud (majoritairement) et Villejean (dans une moindre mesure), avec pour corolaire et justificatif la forte présence perçue d’étrangers. Au bilan, le français de référence est parlé dans deux zones centrales valorisantes et valorisées par l’habitat, le patrimoine architectural, la renommée des équipements culturels… et les formes stigmatisées dans deux zones périphériques surtout marquées par la présence de migrants et dans une moindre mesure par les classes populaires ainsi que par un habitat récent, collectif. (BULOT, 2006 : 317).