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Des thématiques fortes pour un traitement « politique » de l’information

CHAPITRE 10 : La presse quotidienne nationale (PQN)

10.1. Une analyse des quotidiens Le Monde, Le Figaro et Libération

10.2.2. Des thématiques fortes pour un traitement « politique » de l’information

À cette première lecture qui prend le corpus dans sa globalité nous pouvons additionner une lecture thématisée ou classifiée de l’ensemble en fonction des relatives proximités qui se jouent entre les différents termes : à côté de quels mots se trouve le plus souvent telle entrée et comment peut-on les regrouper en « classe » ? La « Méthode Reinert » du logiciel Iramuteq nous permet ici d’appréhender le corpus sous la forme de regroupements se relevant plus ou moins (in)dépendants les uns des autres, permettant ainsi de rendre compte de l’organisation interne du corpus. Cette opération permet de prononcer le regroupement ou non de différents items par le calcul de leur proximité (de leur relative dépendance) au sein du corpus préalablement découpé en segments de texte. Cette façon de procéder permet de resituer les mots dans leur cotexte, se rapprochant ainsi de notre idée de l’analyse du discours.

La méthode Reinert est tirée de la méthode Alceste développée par Max Reinert (REINERT, 1983, 1990). Elle fait suite notamment aux travaux de Benzécri liant le matériel textuel et l’approche informatisée au tournant des années 1970 (BENZÉCRI, 1973a, 1973b). Cette méthode, qui vise au regroupement des cooccurrences d’un texte, cherche à capter les mondes lexicaux déployés et, in fine, les environnements mentaux proposés. Ces « mondes lexicaux » proposés par notre corpus PQN ont, comme nous l’avons développé dans la partie théorique, une potentielle capacité performative dans la constitution des imaginaires sociaux par la place accordée aux médias dans la société actuelle :

Un énoncé traduit donc davantage un point de vue particulier plutôt qu’une représentation, le point de vue impliquant en son centre l’existence d’un ‘‘sujet’’ dans une certaine modalité du faire ou de l’être. Cette notion n’a donc rien d’absolu. Elle est relative à l’activité ou à l’état d’un sujet et ne renvoie pas obligatoirement à un système de références préétabli, celui-ci pouvant l’être ou non, reconstruit, imaginé… Notre hypothèse principale consiste justement à considérer le vocabulaire d’un énoncé particulier comme une trace pertinente ; de ce point de vue il est à la fois la trace d’un lieu référentiel et d’une activité cohérente du sujet-énonciateur. Nous appelons mondes lexicaux, les traces les plus prégnantes de ces activités dans le lexique. (REINERT, 1993 : 11).

Cette méthode est réalisée à partir d’un principe d’agrégation hiérarchique progressif

éléments les plus proches du texte. Par la suite, les différents éléments cooccurrents repérés à ces premiers éléments vont s’agréger pour former une classe d’énoncés significatifs80. Cette « classe » créée a donc un poids particulier dans l’ensemble du corpus et ses différents

éléments peuvent être soumis à un rapport Chi2 pour déterminer leur dépendance à cette

classe et leur indépendance aux autres81. Le reste du corpus est de nouveau coupé en deux

avec une nouvelle classe soumise à l’assemblage de deux éléments les plus proches, etc. : « à

l’issue de cette étape, le problème se trouve ramené à celui de la classification de n-1 éléments. On agrège à nouveau les deux éléments les plus proches, et on réitère ce processus […] jusqu’à épuisement de l’ensemble des éléments » (LEBART, SALEM, 1994 : 113).

Une des formes matérielles obtenues est le « dendrogramme » (Cf. Illustrations N°13 et 14) qui permet de présenter sous forme d’un arbre hiérarchique les classes créées. Le nombre de classes représentées n’est pas figée, il appartient au chercheur de produire les conditions d’exploration du corpus pour le rendre schématiquement lisible. Ainsi, toutes les classes ne sont pas visibles dans le dendrogramme car certaines ont un poids faible voire ne contiennent que peu de mots associés. L’arbre constitué permet de repérer les classes plus ou moins proches les unes des autres : « plus on avance dans le regroupement […], plus le

nombre de points déjà agrégés est important et plus la distance minimale entre les classes qu’il reste à agréger est importante » (LEBART, SALEM, 1994 : 113). Nous pouvons voir alors

des regroupements de classes se former en groupes et sous-groupes, nous permettant ainsi de voir les confrontations d’univers lexicaux. À ce titre, l’analyse factorielle des correspondances proposée après le dendrogramme permettra de définir encore mieux ces rapprochements / confrontations des différentes classes.

80 Une classe va ainsi se distinguer lorsque ses éléments seront proches entre eux et le plus distinctif possibles des autres classes.

81 La méthode Reinert offre de fait un grand nombre d’analyses et de représentations possibles : formes associées, calcul Chi2 par classe, dendrogramme, graphe du mot, concordancier…

Illustration 13: Dendrogramme 1 du corpus PQN par le logiciel Iramuteq

Ce dendrogramme est formé de cinq classes regroupant 82,46 % du corpus total, en faisant d’ores et déjà une représentation significative. Il traite de 38 600 segments de texte sur les 46 808 édifiés par le logiciel. Les cinq classes sont différemment regroupées dans l’arbre hiérarchique. La classe 1 est seule et s’oppose au reste du corpus. Les classes 2 et 5 sont réputées proches et s’opposent à l’intérieur du deuxième groupe (hors classe 1) aux classes 3 et 4. Les cinq classes sont proportionnées entre elles ainsi : classe 1 23,9 % du total, classe 2 14,9 %, classe 3 22,4 %, classe 4 22,6 % et classe 5 16,2 %. Ainsi, si la classe 1 représente à elle seul la plus grande part du corpus (23,9 %), la relative proximité des classes 3 et 4 génèrent à elles seules 45 % du corpus tandis que l’addition des classes 2 et 5 ne regroupe que 31,1 % du corpus. Voyons comment se distribuent les éléments (toujours lemmatisés) à l’intérieur de ces classes :

Illustration 14: Dendrogramme 2 du corpus PQN par le logiciel Iramuteq

Ce dendrogramme permet de repérer les cooccurrences des classes. Ces dernières se sont constituées à partir de l’agrégation de deux éléments proches, rentrant en relative opposition par rapport aux éléments des autres classes, que l’on appellera « ainé » et « benjamin » (LEBART, SALEM, 1994 : 113) et qui permettent ensuite l’addition d’autres éléments lexicaux.

La classe 1 est menée par l’ainé droite et le benjamin gauche. Ces deux éléments

traduisent les oppositions de l’échiquier droite / gauche de la politique française sur les questions migratoires. Il s’agit bien dans l’ensemble de la classe du traitement du sujet par la classe politique en place. Ainsi, les acteurs politiques du discours (et les partis) ici représentés font tous partis de l’instance politique (pris en opposition ici aux instances médiatiques et citoyennes) : droite, gauche, FN, Marine Le Pen, Nicolas

Sarkozy, Les Républicains, PS, Socialiste, François Hollande, Extrême Droite. Ces

discours sont émis dans ce qui semble être des cadres politiques précis : élection,

importante du lien qu’elle entretient avec ses éléments, traduit par des rapports Chi2

très élevés82 avec une probabilité de fausseté du test minimale (<0,0001 pour droite également soit 0,01 % de probabilité d’erreur de dépendance quand la probabilité d’erreur acceptée en sciences humaines s’étend à 0,05 (soit 5 %)). Notons un fait non négligeable : nous avons repéré via une analyse par concordancier, puis par le repérage de segments répétés que l’élément droite est de fait associé 392 fois à

extrême, ce qui semble d’autant plus rajouter d’importance à la place prise par l’extrême droite et le Front National dans le discours médiatique des politiques sur la

question migratoire.

La classe 2 est menée par l’ainé femme et le benjamin petit. Si sa place dans le corpus

global semble toute relative (14,9 %), elle vient de fait en rupture avec la première classe. Il semble ici que le logiciel Iramuteq ait dégagé ici les formes narratives employées pour parler d’histoires de « migrants ». On y retrouve en effet les éléments raconter (forme lemmatisée à l’infinitif d’éléments comme raconte,

raconté, racontent, etc.), histoire, souvenir (forme lemmatisée d’éléments comme souvient, souvenir, souvenirs, souviens, etc.) abordant « l’histoire » de personnages : femme, petit, homme, mère, enfant, jeune, amis, fils, fille, sœur, père, gens, frère. Une

histoire ressort particulièrement, celle de la mort du « petit Aylan83 », sur une plage turque. Nous avons pu repérer ici via un concordancier que la forme femme est particulièrement représentée dans les journaux Le Monde (en premier) et Libération (en second), seul le traitement du « petit Aylan » semble à moindre mesure ressortir dans Le Figaro.

La classe 5, que nous traitons maintenant car proche in fine de la classe 2, est menée

par l’ainé Calais et le benjamin jungle. Nous pouvons donc voir que 16,2 % du corpus global retenu est entièrement consacré à la « jungle de Calais » (et à moindre mesure de Grande-Synthe) autrement qualifié de camps ou de campement en fonction des situations. On y repère plusieurs protagonistes : (1) les personnes hétéro-désignées 82 Par exemple, le Chi2 de droite est de 3279.84 alors que le seuil de significativité de la dépendance est

établie 3,84 et plus selon cette méthode.

83 Notons ici que son prénom est en fait Alan Kurdi malgré l’orthographe proposée par ces médias. Âgé de 3 ans à sa mort, il s’est noyé le 2 septembre 2015, un jour après le début du regroupement de ce corpus.

comme migrant(s), regroupant les éléments afghan, soudanais et mineur84 ; (2) les « aidants » via les éléments association, bénévole ; (3) et les représentants étatiques et régaliens préfecture, ville, police, policier. Si la situation est variable pour la jungle

de Calais sur l’année de collecte du corpus, la destinée du campement et des migrants l’est moins avec des éléments comme évacuation et accueil en centre, qu’il

soient d’ailleurs centre d’accueil, centre de rétention administrative ou centre

d’hébergement ou encore mise à l’abri (remplaçant la tente) en hébergement. Paris

est également un lieu d’arrivée, mais aussi un lieu de comparaison des « situations » ou encore un lieu de prise de décision quant à l’avenir de la jungle de Calais. Principalement traitée comme un fait journalistique, la jungle de Calais porte cependant dans sa propre dénomination sémantico-spatialisée des indices d’une stéréotypie de ses « résidents ». D’ailleurs, nous avons pu relever des repères brouillés quant à la dénomination de la jungle de Calais via une utilisation / abandon des guillemets : la forme « jungle » étant attestée 323 fois, « jungle » de Calais attestée 131 fois, jungle seule attestée 562 fois.

La classe 3 est menée par l’ainé réfugié et le benjamin européen. La cooccurrence

établie entre ces deux éléments traduit de fait la réaction de l’Union Européenne (souvent désignée par son acronyme UE ou, à tort, mais dans un souci d’économie, par Europe) et des pays européens et de leurs frontières face aux réfugiés. Les protagonistes de cette classe sont : d’un côté (1) les réfugiés et les demandeurs

d’asile, migrants, d’un autre côté (2) les instances et marchés européens Union Européenne, UE, Europe, Bruxelles, espace Schengen et (3) les pays européens

principalement représentés par la Grèce, l’Allemagne (et Berlin), la Turquie, l’Italie, la

Hongrie et le Royaume-Uni. Nous voyons dans cette classe un traitement

particulièrement macroscopique et gestionnaire de la situation, l’opposant ainsi aux deux classes précédentes : sont évoqués pêlemêle les éléments accord, crise,

accueillir, contrôle, unir, répartition.

84 Le terme mineur regroupe ici une pluralité de situations, notons tout de même une présence de la catégorie « mineur isolé étranger » sous différentes acceptions : mineurs isolés, mineurs étrangers isolés,

La classe 4, proche de la classe précédente, est menée par l’ainé euro et le benjamin

social. L’ainé euro est de fait une lemmatisation regroupant euros (attesté 480 fois

dans cette classe) et euro (attesté quant à lui 293 fois). Les deux éléments s’inscrivent de fait dans deux contextes différents : le premier pluriel traitant d’un rapport

financier (nous parlons de X euros, relativement proche de l’élément milliard) et le

second singulier étant généralement rattaché à la zone euro. Très proche de la classe 3 dans son importance dans le corpus (22,6 % pour 22,4 %) et dans son traitement macroscopique de l’information, la classe 4 la complète par un traitement

socioéconomique des questions migratoires. Nous retrouvons deux champs lexicaux

bien marqués : (1) champ économique donc avec économie, croissance,

investissement, marché, cout, taux, budget, rapport financier, PIB, fonds, dépense, budgétaire ; (2) champ social et du travail avec emploi, chômage, public, entreprise, public, impôt, population. Ce traitement de l’information semble dépersonnifié et

quantitatif là où il traite d’une situation pourtant vécue par les lecteurs. Nous pouvons également questionner le rôle des « problématiques » migratoires dans les aspects économiques et sociaux au niveau français et européen ici évoqués. Les médias sembleraient les tenir en forte corrélation. Nous nous questionnons sur le traitement axiologique qui est fait : quels sont les effets positifs ou négatifs de la « migration » et des « migrants » sur l’économie et le social ? Les premiers éléments sembleraient indiquer une répercussion sur l’économie, la croissance et le chômage ; une analyse du discours plus poussée sur ce corpus serait possible pour en déterminer les tenants et aboutissants, nous nous contenterons toutefois d’une lecture globale, notre sujet étant ailleurs.