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Ouest-France, les « mineurs isolés étrangers » et les autres « migrants »

CHAPITRE 11 : La presse quotidienne régionale (PQR)

11.2. Ouest-France et ses caractéristiques

11.2.2. Ouest-France, les « mineurs isolés étrangers » et les autres « migrants »

Même s’il n’existe pas de définition « officielle » à proprement parler des mineurs isolés étrangers, le rapport Debré en 2010 pose la définition suivante : un mineur isolé

étranger109 est « une personne âgée de moins de 18 ans qui se trouve en dehors de son pays

109 La tendance actuelle est à la dénomination « mineur non accompagné » (MNA) se rapprochant des directives européennes. Cette dernière n’était pas encore attestée dans le corpus médiatique au moment

d’origine sans être accompagnée d’un titulaire ou d’une personne exerçant l’autorité parentale, c’est-à-dire sans quelqu’un pour la protéger et prendre les décisions importantes la concernant »110. Nous voyons bien par cette définition qu’il est assigné à une seule catégorie une pluralité de situations. Pour la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l'homme), ce statut confère à ces jeunes un droit compris dans la protection de l’enfance :

« l'isolement du mineur et le fait qu'il soit étranger constituent en eux-mêmes un danger, en raison de l'absence d'hébergement, de restauration, de connaissance de la langue française, d'accès aux soins et à l'instruction, et d'un représentant légal susceptible d'accomplir les actes relatifs à l'exercice de l'autorité parentale. Autrement dit, le fait d'être mineur, isolé et étranger présume le danger et fonde, par voie de conséquence, la compétence du juge des enfants »111, ou en tout cas relevant de ce qu’on appelle la « protection de l’enfance ».

Il s’agit ici de comprendre comment une telle dénomination relevant de prime abord de la protection due à la minorité s’est transformée, à partir de ce que Sophie Moirand a appelé un « moment discursif » (MOIRAND, 2007), en une catégorie de judiciarisables. En effet, « l’évènementialisation » opérée dans ce journal aura de nombreuses conséquences, nous le verrons, sur les attributs accordés à ce public. Notre objectif est ici « d’analyser [les]

différentes réactions discursives pour ce qu'elles sont et ce dans leur contexte à la fois socio-économique et politico-identitaire, contexte dans lequel elles résonnent particulièrement »

(GUILBERT, 2015).

Avant de revenir sur ces évènements, revenons au processus diachronique ayant conduit à l’émergence de ce sujet, pourtant inexistant en septembre 2015, date du début de l’enquête. Le graphique suivant nous permet d’observer la présence / absence des différentes catégorisations sur les 13 mois d’enquête. Le choix des catégorisations retenues est issu de la trame de sélection des articles, choix argumenté dans la partie

méthodologique112. Nous avons retiré du graphique les formes clandestin.s et de nationalité,

peu attestées dans le corpus Ouest-France113.

de cette enquête.

110 Source : [http://www.justice.gouv.fr/_telechargement/rapport_mineur_20100510.pdf].

111 Source : [www.legifrance.gouv.fr].

112 Trame Europresse : « SECT= Rennes& TEXT= (réfugiés|migrant+|"sans-papier"|"sans-papiers"|immigré+| demandeur+d'asile|clandestin+|étrangers|mineur+isolé+|"d'origine"|"de nationalité")! TEXT= (LPO! oiseau!football!sport) »

Illustration 20: Fréquences relatives des désignations dans Ouest-France par le logiciel Lexico3

Ce graphique regroupe les fréquences relatives des formes réfugié+ (réfugié·e attesté 4 fois, réfugié·e·s attesté 83 fois), migrants+ (migrant·e attesté 4 fois, migrant·e·s 115 fois),

MIE+ (comprenant de multiples formes : mineur isolé, mineur étranger, mineur isolé étranger, mineur étranger délinquant, étrangers isolés… attestées 74 fois au singulier et 15

fois au pluriel), d’origine+ (d’origine attesté 39 fois, originaire 9 fois, originaires 8 fois),

demandeurs d’asile (attesté seulement au pluriel 28 fois), étranger+ (étranger attesté 15 fois, étranger 2 fois114) et sans-papiers (attesté 33 fois). La fréquence relative nous permet ici de gommer les effets de disproportionnalité liés à des mois de forte ou de faible abondance d’articles sur le sujet.

Nous pouvons remarquer ici, ce qui corrobore ce que nous avons déjà vu, que la question des réfugiés est très présente médiatiquement au mois de septembre 2015 alors qu’elle finit par disparaitre après un petit rebond en janvier 2016. Cela semble appuyer la constatation d’un discours politique fort sur le fait « d’accueillir des familles de réfugiés » par la ville de Rennes non suivi d’actions : ce graphique illustre ainsi la temporalité d’une 114 Nous avons retiré de la liste étranger+ toutes les formes liées aux étudiants étrangers, chercheurs

étrangers, doctorants étrangers, lycéens étrangers attestées 25 fois. Traités exclusivement de manière

positive et bienveillante, ces groupes ont tous les privilèges des « bons » migrants, éduqués et cultivés. Si l’on en croit le Ouest-France, ils n’ont cependant pas de vocation à rester, tant leur accueil semble cyclique, sur quelques jours, quelques mois, voire sur une, deux ou trois années scolaires au maximum. Ils sont également les représentants d’un tourisme voulu par la ville de Rennes : tourisme culturel et « de congrès ».

disparition progressive de la thématique réfugié+ dans le discours de la ville. La forme

migrant+ quant à elle, si elle parait suivre au début la courbe de réfugié+, connait plusieurs

rebonds successifs : il semble évident que sur la période 2015-2016, le terme migrants (utilisé presque exclusivement au pluriel) soit devenu une dénomination médiatique incontournable, fourre-tout et bien évidemment problématique tant il semble être usité chez les journalistes dans de multiples contextes (voir tableau ci-dessous). S’il n’est pas le lieu ici de développer cette installation progressive de l’usage médiatique du terme migrants, une simple étude rapide sur Europresse nous permet de comprendre que l’évolution diachronique de son usage n’est pas le simple fait du journal Ouest-France :

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000 Sud Ouest Le Progrès La Voix du Nord Ouest-France Libération Le Figaro Le Monde

Illustration 21: Partition du terme migrants dans les PQN et PQR entre 2000 et 2016

Nous voyons ici, dans ce diagramme empilé, exprimé en nombre d’articles recensés comprenant la forme migrants, que les courbes regroupées des PQN & PQR de notre corpus sont sensiblement proches de celle de Ouest-France. La période précédant 2003 voit une quasi inexistence de l’usage du terme migrants dans la presse (voire aucune trace dans le cas de Ouest-France). La période 2003 / 2014 voit son implantation faible mais progressive, particulièrement dans les PQR et 2015 sonne son utilisation intensive de la part de tous les médias ; seul Libération voit son utilisation baisser entre 2015 et 2016. Nous pouvons

remarquer que son usage dans les PQR Ouest-France et La Voix du Nord est particulièrement répandue à partir de cette période, bien plus que dans les PQN. Le recul est encore faible mais souhaitons que des chercheurs se saisissent de cette question au long terme.

Outre migrant+, d’origine+, demandeurs d’asile, étranger+ et sans-papiers reviennent, à moindre échelle, de manière cyclique, au fil de l’actualité. Sans-papiers à la propriété remarquable de ne jamais sortir de l’agenda médiatique, même à faible échelle par mois : cela est sans nul doute lié à la présence médiatique régulière du Collectif des sans-papiers et de ses actions. La question des origines, réelles ou supposées, est également toujours à l’actualité, à plus ou moins grande échelle.

C’est cependant l’entrée MIE+ qui, comme réfugié+, fait montre de la plus grande irrégularité. Leurs apparitions sont cependant diamétralement opposées et quand il est principalement question du sort des réfugiés (et par là-même des migrants) en septembre 2015, c’est celui des MIE dont il est question en septembre 2016 dans Ouest-France, après une apparition en mars 2016. Cela est d’autant plus vrai si l’on considère les fréquences absolues des différentes formes, comme le présente le graphique ci-dessous tiré de la

Partition de Lexico3.

Illustration 22: Partition des fréquences absolues des désignations dans Ouest-France par le logiciel Lexico3

Cette double apparition semble d’autant plus problématique qu’elle s’accompagne progressivement d’une diversification des dénominations de ce public. Fait surprenant, l’étude de cette diversification fait ressortir de nouveaux articles sur la période étudiée ayant échappé à notre vigilance car n’utilisant aucune des formes sélectionnées tout en y faisant référence, fonctionnant alors sur un principe d’allusion (notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer des faits de délinquance : « faux mineur pickpocket », « jeunes primo-délinquants » …). Nous nous pencherons désormais sur le traitement de ce public faisant la particularité de

Ouest-France parmi les PQR sur la période septembre 2015 – septembre 2016115.