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De l’analyse de contenu à l’analyse du discours

L’analyse qui sera la nôtre pour ce corpus prendra ses fondements à la fois dans l’analyse de contenu et dans l’analyse de discours. Le premier servant de base pour une analyse discursive en un second temps selon notre approche théorique développée précédemment (Cf. chapitre 1 : « Réflexions épistémologiques »). Les deux analyses sont donc perçues comme complémentaires ; elles nous permettront d’engager une réflexion dans une démarche qui se veut réflexive, qualitative : il est bien question pour nous d’adopter ici une « vigilance critique », ou une « critique réflexive » (BOURDIEU, 1987 : 45) quant à nos propres intuitions de recherche afin de fournir un travail tendant vers l’interprétation de faits sociaux.

Selon Roger Mucchielli, l’analyse de contenu d’un « document » a pour objectif de

« rechercher les informations qui s’y trouvent, dégager le sens ou les sens de ce qui y est présenté, formuler et classer tout ce que “contient” ce document ou cette communication »

(MUCCHIELLI, 2006 : 24). Relativisant le caractère entier, total d’une analyse de contenu (le « classer tout »), nous chercherons plus particulièrement à dépasser le sens premier de

notre corpus – celui qui se laisse voir à l’œil profane – afin d’en apporter une interprétation sur les bases d’une connaissance scientifique : car « le but de l’analyse de contenu est

l’inférence de connaissances relatives aux conditions de production (ou éventuellement de réception), à l’aide d’indicateurs (quantitatifs ou non) » (BARDIN, 2007). Il s’agit donc

d’étudier à la fois notre corpus en surface (par une analyse de ce qui est dit) et en profondeur (analyse comparative, interprétative, laissant place à la détermination de caractéristiques liées aux « conditions de production » (HENRY, MOSCOVICI, 1968). Nous sommes donc, dans l’analyse de contenu, sur un double niveau d’analyse : un temps préalable de « déchiffrement structurel » de nos enregistrements de temps collectifs cherchant à mettre au jour les structures internes des discours et un second temps, imbriqué, développant une « transversalité thématique » entre les différents discours (BARDIN, 2007). Nous appuierons particulièrement notre analyse sur la méthode dite « thématique » et les propositions de Roger Mucchielli et Pierre Paillé quant à sa mise en œuvre (MUCCHIELLI, 2006 ; PAILLE, MUCCHIELLI, 2012).

Cette méthode semble en effet offrir la possibilité d’appréhender les discours dans leur « unité de sens implicite », leur « principe secret organisateur » (MUCCHIELLI, 2006 : 111). Dans cette analyse sémantique du contenu, le thème apparait alors après une analyse des sèmes et est un « sémème construit », autrement dit, un « axe sémantique immanent à

un ensemble de sèmes » (MUCCHIELLI, 2006 : 114). L’objectif affiché ici est donc de relever

les thèmes pertinents de chaque discours afin de procéder à leur examen et à leur comparaison (à l’intérieur même de chaque discours et entre les différents discours) : récurrence, divergence, opposition, convergence, complémentarité, parenté, subsidiarité… Nous entendons ici « thème » comme « un ensemble de mots permettant de cerner ce qui

est abordé dans l’extrait du corpus correspondant, tout en fournissant des indications sur la teneur du propos » (PAILLE, MUCCHIELLI, 2012). L’analyse se veut donc d’abord au plus près

des propos tenus, mais la thématisation oblige le chercheur à inférer sur les discours. Cette inférence est « l’opération logique par laquelle l’analyste passe de l’examen d’une portion de

matériau à l’attribution d’un thème pour cet extrait » (PAILLE, MUCCHIELLI, 2012) via la

récolte d’indices de lecture. Cette analyse amène à l’élaboration d’un « arbre thématique » et, dans notre cas, à une analyse interprétative des discours.

Cette analyse de contenu sera, dans le cas présent de cette recherche, utilisée en lien avec l’analyse des « récits de vie » (particulièrement ce qui a amené les informateurs à participer au projet) qui offre la possibilité de « discerner ce qui, en fonction de parcours

biographiques spécifiques et de totalisations subjectives spécifiques de ces parcours, a rendu les individus porteurs de schèmes de conduite différents » (BERTAUX, 1997 : 25). Cette

analyse sera complétée par une analyse de discours visant plus particulièrement à dépasser le sens premier de ceux-ci via la recherche, notamment, des positionnements énonciatifs et des co-occurrences.

Ainsi la première d’entre elle consistera en une analyse concise de l’énonciation à travers les déictiques personnels. Il s’agira ici d’étudier les positionnements énonciatifs des informateurs et informatrices quant à leur propre discours sur les « migrants », les « réfugiés » et les « étrangers ». Nous entendons ici les déictiques comme des « unités

linguistiques dont le fonctionnement sémantico-référentiel implique une prise en considération de certains des éléments constitutifs de la situation de communication, à savoir : le rôle que tiennent dans le procès d’énonciation les actants de l’énoncé, la situation spatiotemporelle du locuteur, et éventuellement de l’allocutaire » (KERBRAT-ORECCHIONI,

2009 : 41).

Ces déictiques prennent ainsi place dans un acte d’énonciation ou, autrement dit,

« un acte individuel d’utilisation » de la langue (BENVENISTE, 1974 : 80) marquant la

présence de l’énonciateur dans son discours via les « marques de personnes ». Il s’agit donc de voir ici si les informateurs prennent en charge certaines catégories dans leurs discours ou, autrement dit, de décrire commet les catégories « migrants », « réfugiés » et « étrangers » sont intégrées dans le discours des informateurs dans le cadre de l’interaction avec le chercheur (MAINGUENEAU, 1996 : 37). Cette étape, nécessaire dans la prise en compte des sujets informateurs de cette recherche, va ainsi nous permettre comme nous le verrons par la suite d’aborder au mieux notre seconde analyse du discours.

Celle-ci sera ainsi consacrée à l’étude des entretiens effectués avec les informateurs et informatrices à l’aide de la méthode dite de l’A.D.E.L. ou de l’Analyse de Discours à Entrée Lexicale (MARCELLESI, 1976). Elle est à entendre ici dans le cadre des travaux de l’Américain

Zellig S. Harris et de sa méthode « harrissienne » développée dès 1952 dans Discourse

Analysis et repris par l’École française dès les années 1960 (HARRIS, 1969). Celle-ci consiste

en une « analyse distributionnelle » (HARRIS, 1969 : 10) qui ne se limite pas, à l’image de ce qu’a pu faire la linguistique générale ou « descriptive », à l’analyse des récurrences à l’échelle maximale des phrases, mais qui se concentre davantage sur le discours en lui-même qui

« constitue précisément un “domaine” plus vaste que la phrase » (MAINGUENEAU, 1991 :

72). L’objectif étant ainsi de repérer dans le discours les « termes pivots » (MAINGUENEAU, 1996 : 45) qui font sens dans le discours. L’analyse du discours à entrée lexicale dépasse ainsi l’analyse harissienne pour s’affronter à de plus longs corpus : « c’est-à-dire que l’on choisit

des mots, en fonction de l’étude qu’on fait des conditions historiques, sociales et autres, que l’on réduit le discours à la partie utile pour l’étude, c’est-à-dire à ce qui est dit sur ces mots par le discours, par les environnements, les distributions, les substitutions, etc. Et donc, l’analyse de discours à entrée lexicale nécessite la recherche d’une syntaxe qui permette de réduire les phrases autour des “mots pivots” (les mots choisis) » (MARCELLESI, BULOT,

BLANCHET, 2003 : 19). Cette méthode à grande échelle ne se porte ainsi pas seulement sur le sens premier des discours car « cette méthode se veut purement formelle, indépendante de

toute recherche sur le contenu du texte ou sur des mots privilégiés à l’avance »

(MAINGUENEAU, 1991 : 72). La méthodologie se porte davantage sur les « morphèmes » d’un texte et leur corrélation qui font émerger un sens second à la structure du discours : l’objectif n’est donc pas de savoir « ce que le texte dit » mais bien de « déterminer comment

il le dit » (HARRIS, 1969 : 8).

Cette méthode vise donc à rechercher dans le discours les schèmes de récurrences. Ceux-ci sont obtenus à partir du repérage de « distributions » similaires et pouvant intégrer une même classe. À partir de cette classe, peuvent se constituer des « classes d’équivalence » reliées entre elles, de fait, par leur classe distributionnelle. Cette méthode peut être simple a priori si ces distributions sont identiques dans le texte. Cependant, l’« identité des distributions » peut être très variant et rendre impossible ce schéma basique d’équivalence. Ainsi, il est nécessaire de recourir à des « chaines d’équivalence » pour lesquelles on considère que « deux parties de l’énoncé qui ont le même environnement en un

endroit du texte sont équivalentes en un autre endroit, où elles n’ont pas le même environnement » (MAIGUENEAU, 1991 : 73). L’analyse de discours va donc, contrairement à

l’analyse de contenu qui va se limiter aux simples récurrences du texte, développer un système d’équivalence de premier et de second degré par l’apport de transformations grammaticales permettant la comparaison des différents segments et offrant une plus large vue des représentations sous-jacentes aux discours (Cf. Chapitre 15 : « Analyse des entretiens via l’Analyse du Discours à Entrée Lexicale » pour des exemples de transformations phrastiques, que nous gardons au plus près de nos analyses). Cette méthodologie d’analyse du discours peut porter à critique dans le cas où le chercheur l’utilise afin d’obtenir les classes d’équivalence permettant la satisfaction de ses propres postulats. Ainsi, Dominique Maingueneau nous met en garde quant à son utilisation : « il convient d’envisager cette

approche comme une voie d’accès parmi d’autres, qui peut être localement productive si son usage est contrôlé. Cela implique en particulier que l’on ne procède pas à une élimination “sauvage” des traces d’énonciation et que l’on fasse intervenir, autant que faire se peut, la spécificité du corpus dans la délimitation des termes pivots » (1991 : 84). C’est ainsi que nous

avons conçu notre phase d’analyse préalable et l’intégration d’extraits de corpus.

Partant de cela, nous ne devons pas oublier que les entretiens semi-directifs de cette recherche s’inscrivent, d’une part, dans un cadre d’énonciation particulier et, d’autre part, qu’ils sont le fruit d’une interaction entre deux personnes pour laquelle nous ne devons pas effacer les traces énonciatives. Notre approche empirico-inductive nous demande également de ne pas analyser ces entretiens par déduction et prérequis, mais bien en contextualisant les termes pivots et les classes d’équivalence au contexte d’énonciation : en d’autres termes, ils doivent émerger du terrain. Il s’agira, par cette méthode, de faire ressortir les représentations et les discours émergents des entretiens sur les groupes sociolinguistiques stigmatisés et ségrégés dans une dynamique de dominance (BULOT, 2008a).

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ARTIE 4 : LA