• Aucun résultat trouvé

Cette perspective aide à comprendre les facteurs qui contribuent à l’élaboration d’un lien parent-enfant : à l’intérieur de la famille comme “système”, dans son environnement social, et dans les interactions qui s’établissent entre ces systèmes. Appliquée à la famille, la théorie des systèmes aborde les dynamiques des relations entre les membres; elle aide surtout à comprendre les ajustements qui s'effectuent lors de points de transition et de changements [78]. Par exemple, la période de constitution familiale qui implique des modifications dans les rôles et les relations entre les membres d'une famille ou d'un couple pour incorporer l'enfant. Ce cadre attire également notre attention sur les processus par lesquels les familles agissent pour retrouver un équilibre fonctionnel suite à un événement stressant ou une transition.

Le psychologue américain David M. Brodzinsky a proposé une approche systémique de l’ajustement familial postadoption. En suite de la nouvelle perspective qui fût avant lui amenée par David Kirk, l'auteur a poussé l'exploration des dimensions psychogiques de l'adoption en retenant la notion de tâches spécifiques des parents adoptifs, le vécu des pertes chez l'enfant et ses parents, et le fait d'évoluer dans une famille avec la question de la différence. Ses travaux sont aussi reconnus dans le domaine pour leur contribution à la psychologie de l’enfant adopté. L’auteur propose une analyse de l’ajustement postadoption de l'enfant tel qu'influencé par le processus de deuil qu'il doit traverser suite à la perte de ses figures d’attachement, de son milieu de vie antérieur, et d'autres parties de sa vie.

La perte qui se vit en adoption se distingue pour Brodzinsky d’autres pertes plus universelles (décès, divorce, etc.) à plusieurs égards : les pertes vécues par l’enfant adopté sont à la fois réelles (le fait d’être séparé ou abandonné par un parent biologique, qui peut aussi être décédé avant l’adoption), et symboliques. L’adoption implique aussi la perte moins “palpable” d’un statut, d’une culture d’origine, d’une généalogie et de la reconnaissance sociale du deuil. Le sens d’appartenance à la famille adoptive pour l’enfant peut aussi, selon l'auteur, être fragilisé lorsqu’il réalise le sens de sa perte.

L’ajustement des parents à la relation adoptive est aussi une variable importante. Pour Brodzinsky [64], la manière dont ces derniers s'accommodent à l'arrivée de l'enfant dans la famille aurait un impact majeur sur son ajustement. Les facteurs psychopathologiques des parents adoptifs et leurs difficultés personnelles ou familiales (décès, divorce, pertes importantes) seraient susceptibles de faire ressortir les “vulnérabilités psychologiques” déjà présentes chez ces enfants. Brodzinsky [64, 80, 81] associe les exigences de la transition parentale à des facteurs de complication : l’infertilité, l’incertitude du processus d’adoption, l’intrusion de l’évaluation, la stigmatisation du modèle familial ainsi que le manque de modèles de rôles parentaux. Ces facteurs particuliers ajoutent au stress normal de la nouvelle parentalité, et pourraient avoir un impact négatif sur la relation parent-enfant dans les premières années, bien que l'auteur ne l'ait pas démontré de manière empirique. Brodzinsky et Pinderhughes [81] établissent leur théorie sur le principe de la théorie des systèmes, qui suppose que toute famille qui intègre un nouveau membre soit forcée de modifier ses modes de fonctionnement. Cette

transition implique de nouveaux rôles et responsabilités pour les membres, incluant aussi des changements pour les autres enfants dont la place change dans le rang familial; la modification et la création de relations dyadiques dans le système, et la modification des routines habituelles. La moindre prévisibilité du processus de constitution familiale et son intensité accrue jouent, surtout dans le cas d’une adoption d’enfant à “besoins spéciaux”. Ce processus peut impliquer la création d'un lien parent-enfant moins gratifiant que celui avec un nouveau-né dans la famille. La présence d’expériences antérieures traumatisantes pour l’enfant peut aussi influencer la qualité de la relation adoptive lorsqu'elle s'établit. Cet élément peut compliquer la transition “systémique” dans la famille; pour Brodzinsky et Pinderhughes [81], la faillite du système familial d'origine de l'enfant peut affecter son sentiment de confiance envers sa nouvelle famille pour établir avec elle des liens durables.

La relation adoptive peut aussi se compliquer, à l'inverse, en raison d'un attachement antérieur de l'enfant à un parent ou autre personne qui en a pris soin. Du côté des parents adoptifs, le manque d’informations dont ils disposent sur cette histoire, sur le développement, la santé et le vécu relationnel de leur enfant contribue aussi à la complexité de leur expérience d'accueil.

Enfin, la théorie systémique de l'adoption attire notre attention pour la dimension du soutien offert et demandé par les familles adoptives dans leur constitution. Pour ses auteurs, le sous-système conjugal et son adaptation à l'arrivée de l'enfant jouent un rôle dans le succès de l'adoption. Les éléments de communication et de soutien mutuel; voire de répit lorsque l'enfant pose des exigences particulièrement demandantes sont mentionnés. Le soutien au sein du couple adoptif a été relié à moins d’échecs de placement [83]; [84]. Les relations dans le sous-système de la fratrie sont aussi affectées par une adoption; ce sont ici surtout les difficultés potentielles d'inclusion d'un enfant troublé qui ont été soulevées dans l'analyse. Pour les auteurs, l’enjeu du maintien des relations existantes dans la famille d'adoption coexiste avec celui d'y intégrer le nouvel enfant.

L’importance des ressources de soutien informel et formel au système familial qui accueille l’enfant adopté est aussi soulignée; son manque a été associé empiriquement à des échecs de placement. Alors que le soutien apporté par d'autres

adoptants et l'entourage favorise le succès des placements adoptifs [85]; [86]. Les bénéfices identifiés sont la normalisation des émotions des parents, le soulagement de l’isolement ou du sentiment d’aliénation, le sentiment d’appartenance de l’enfant, l’empowerment des parents dans leur rôle, le partage d’informations et d’habiletés, et la recherche d’aide professionnelle en cas de besoin. L’accès aux ressources matérielles et financières par le système familial est aussi important pour payer des services et thérapies spéciales, surtout lorsque l’enfant adopté a des besoins spéciaux [87]. La perspective systémique appliquée à l'adoption encourage le développement de ressources de soutien communautaires et spécialisées, et de subventions financières pour les adoptants.

La théorie des systèmes décrit les implications de l'intégration d'un enfant par adoption dans les interactions existantes : entre les membres d'une famille, et entre la famille et son environnement. Les auteurs qui ont développé cette perspective en adoption incitent à considérer les aspects plus larges ou macrosystémiques (politiques, pratiques, idéologiques) en jeu dans les situations familiales; elle les a cependant explorés plus en surface qu'en profondeur. L'impact des politiques et services de soutien aux familles adoptives commence à être exploré, de même que la relation des familles adoptives avec leur entourage. Il serait avantageux pour la compréhension du phénomène de considérer ces aspects pour leur impact sur le déroulement de la relation adoptive; notamment lorsqu'il y a difficulté dans la famille.

III- Théories anthropologiques de l'adoption et de la