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C)   Aspects biologiques et sociaux du lien parent-­‐enfant 72

I- ­‐Approche constructiviste de la théorisation ancrée 90

4.3   Analyse du matériel 111

Ce travail en a donc été un de déconstruction et de reconstruction constante du matériel d'entrevue; dans la phase d'analyse et dans celle de l'écriture finale. En me guidant à partir des catégories 'structurantes'; les étapes du processus d'adoption, j'ai commencé à construire des thématiques à partir du matériel d'entrevue dès qu'elles ont débuté. xix J'ai tout d'abord classifié les catégories sous deux grandes périodes chronologiques de la vie familiale : la période préadoption d'élaboration du projet familial; et la période d’accueil. Puis les étapes principales du processus de réalisation de l'adoption se sont ajoutées ('Démarches et période d'attente'; 'Désir d'enfant'; 'Motivation et préparation à l'adoption', etc.). Les dimensions plus spécifiques au lien et à ses composantes ont fait l'objet de premières catégories, plus descriptives qu'abstraites: 'Caractéristiques de l'enfant'; 'Évolution de l'enfant'; 'Évolution du parent'; 'Évolution de la relation', etc.xx

Ensuite, la rédaction de mes notes impressions suite aux entretiens sous forme de ‘mémos’ a permis de structurer davantage le matériel autour d'une réflexion, de plus en plus thématique et théorique. Ces mémosxxi ont aussi évolué au fil des conversations avec les participants et sont devenus plus raffinés, plus conceptuels que descriptifs. J'ai aussi travaillé avec ces mémos de manière à comparer d'une entrevue à l'autre pour chaque participant; et entre les participants pour ressortir leurs expériences communes et divergentes. Dans le travail de théorisation, les mémos comme la relecture des entretiens ont permis d'établir les conditions d'émergence et de variation de l'expérience, tout comme les propriétés plus spécifiques des catégories.

Après trois entrevues avec les participantes du premier groupe (évolutif), la technique de codage ‘ligne par ligne’ et ‘phrase par phrase’ [94] a été employée afin de me familiariser avec leur point de vue. Cette technique m'a été utile pour me rapprocher de leur discours, de leurs mots et pour comprendre la signification des expériences décrites. Cette lecture fine des transcriptions a mené au dégagement initial de codes, précis; que j'ai nommés en termes 'd’action' (par exemple ‘défaire les habitudes d’orphelinat’) pour mieux décrire la réalité telle que ressentie et perçue dans le monde des participantesxxii. Ces actionsxxiii décrivaient ce

que les parents faisaient, percevaient, et ressentaient dans le cours de leur nouvelle vie familiale. Cette technique a aussi permis de porter l'attention sur les façons de s'exprimer des participantes, et de nourrir la réflexion sur la signification de leurs mots, de certaines expressions, de sous-entendus, des croyances qu'ils exprimaient sur l'enfant ou sur l'éducation (‘c’est le lien qui fait tout’ en est un bon exemple).

J'ai aussi porté attention au contexte d'expression du témoignage, par l'écoute des entrevues et par la rédaction de mes impressions sur le contenu émotionnel des rencontres, à leur sortie. Cette lecture a permis d’aller toucher à des dimensions plus implicites qu’explicites dans le discours des parents; comme cette difficulté d'une mère à accepter le niveau de demande élevé d'un enfant qui est initialement couverte plus qu'ouverte. Dans les premières entrevues les parents ne confiaient pas souvent leurs sentiments de découragement ou de déception dans l'expérience; c'est en les connaissant davantage dans les conversations subséquentes qu’ils se sont ouverts plus facilement sur le sujet. C'est probablement aussi le fait d'avoir évolué dans leur expérience et d'avoir fait des prises de conscience. Pour cette raison en particulier il était utile d'utiliser la méthode d'entrevues multiples et longitudinale pour vérifier mes idées, et faire des mises au point. Le vécu des parents prend ainsi une forme plus mouvante que statique pour en rendre compte dans la recherche. 4.3.2 Travail de théorisation

Dans la dernière étape d'analyse, c’est par l'écriture et un codage plus large (ou une démarche identifiée comme ‘FOCUSED CODING’; [94]) que j'ai analysé les autres entrevues. En partant de ce découpage très fin du matériel d’entrevue, j'avais des bases suffisantes pour commencer à y voir plus clairement des thèmes qui se dessinaient, et ce qui était communs dans les expériences diverses des participants. Entre-temps les entrevues ont continué, ce qui a ajouté du matériel à l'analyse. J'ai aussi rapidement réalisé qu'il serait impossible d'arriver à coder toutes les entrevues avec un tel niveau de détail; et que cela n'apporterait pas nécessairement plus de richesse au contenu. Du plus fin (ligne par ligne), je suis alors passée à une lecture plus large; qui a ensuite permis l'émergence graduelle de grandes catégories. D'abord très descriptives ('Origines de l'enfant'; 'Obstacles au désir d'enfant') les catégories sont devenues par l'écriture plus analytiques et abstraites .La dernière étape a été le travail d'identification des 'conditions', des

propriétés et dimensions de ces catégories (aussi décrit comme travail de codage axial), tel que décrit par Charmaz [94]. Il s'agissait d'articuler autant que possible la théorie et de la confronter au matériel, puis à la littérature.

Le codage sélectif a terminé le processus par la révision des témoignages et la sélection finale de dimensions conceptuelles qui forment l'ensemble de la théorie. Cette sélection a permis d’identifier deux principaux axes conceptuels d’analyse : la dimension temporelle de la construction du lien; et la construction sociale de la relation adoptive. L'axe temporel identifie les aspects évolutifs de ce lien : l'enfant, le parent et la relation du point de vue parental. C'est l'analyse de la transformation vécue par le parent à travers son processus de devenir parent; entre ce qu'il attendait de l'adoption et ce que la famille vit.

Sous cet axe se retrouvent les catégories théoriques qui structurent l'expérience de nos participantes : le processus que j'ai nommé 'Renoncements et réévaluations'; et le processus de 'construction active d'un lien normal' par le parent. Ils parlent de la façon dont les adoptants évoluent de leur perception de l'adoption à son vécu réel par une définition de plus en plus complexe de leur rôle envers l'enfant à venir. Ils identifient aussi les différents processus de deuil qu'ils tentent de surmonter et leur impact dans l'accueil de leur enfant. La construction active réfère aux efforts de maîtrise de l'expérience que les adoptants emploient pour parvenir au lien espéré, et à une normalité dans leur vie familiale dans la période de transition.

Dans la période d'accueil sont regroupées les catégories théoriques qui discutent de deux processus : le premier vise la reconnaissance mutuelle entre parent et enfant adopté (les signes de normalité, de confiance que les parents espèrent et interprètent comme indicateurs d'un lien plus solide). Le deuxième est un processus identificatoire dans lequel le parent définit les frontières du soi parental (le soi parent et le soi thérapeute). Le sens que les parents donnent au fait d'être reconnus de manière unique par leur enfant pour se démarquer des autres donneurs de soin de sa vie précédente donne lieu à une autre catégorie.

La 'Construction sociale de la relation adoptive' est une synthèse analytique qui clôt la discussion autour du contexte environnemental et culturel dans lequel ces familles adoptives se construisent. La relation qui s'établit entre les parents et

un contexte de pratique de l'adoption de plus en plus encadré par des discours développementaux est discutée dans 'La prescription de l'attachement'. Elle est aussi mise en perspective historique dans 'La valeur psychologique de la relation parent-enfant contemporaine', qui situe le phénomène du parent 'psychologique' et l'importance accordée au lien affectif dans les familles d'aujourd'hui. 'L'impact des savoirs spécialisés sur l'expérience parentale' met en discussion les apports respectifs des professionnels et des parents dans la planification de services spécialisés en adoption. .

J'ai intégré la discussion de la littérature tout au long de l'analyse et dans les conclusions; dans une approche plus 'classique' (utilisée par Strauss), c'est en tout dernier lieu que j'ai effectué un retour à la littérature. Ma démarche de revue avait toutefois été initiée bien avant la recherche, dans le cadre de mon expérience professionnelle, dans la préparation de demandes de subvention et du projet de thèse. Dans ce deuxième temps de lecture j'ai surtout guidé la recherche de sources (ou le retour aux théories connues) par la reconstruction du discours des participantes. L'utilité était de situer le discours et les expériences de ce groupe au sein du corpus de connaissance actuel sur les familles adoptives. Les aspects de l'expérience parentale que j'ai pu toucher par mes entretiens avec les parents m'ont aussi incitée à considérer davantage la littérature éclaire les aspects sociaux et culturels dans l'adoption (notamment les travaux anthropologiques et sociologiques). J'ai aussi pu constater que la vision des participantes apportait une originalité, qui permet de mieux comprendre certaines nuances de l'expérience adoptive qui échappe parfois à la recherche et aux spécialistes. Notamment, cette tension qui se pose entre les discours sur le parent, le lien ou l'enfant et leur application quotidienne; de même que les impacts identitaires des exigences sur les parents en difficulté. À d'autres moments les théories de l'adoption se sont vues confirmées pour leur pertinence par les témoignages; comme l'importance de tenir compte des expériences de la perte non seulement chez l'enfant mais aussi chez le parent adoptif.