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C)   Aspects biologiques et sociaux du lien parent-­‐enfant 72

I- ­‐Approche constructiviste de la théorisation ancrée 90

4.2   Entrevue : réalisation et réactions 95

4.2.2   Exploration de la transformation du lien 104

Les questions suivantes ont permis de pousser encore plus loin la question de l'évolution de la relation dans le temps et ses facteurs; elles sont devenues les principales questions de démarrage de l'entretien deux et trois avec le groupe 'évolutif' de l'échantillon. Je les ai, autrement dit, répétées à chaque entretien pour explorer ce qui changeait, ce qui était stable, et ce qui contribuait à l'évolution, du point de vue du parent. Les autres questions ayant un caractère plus définitif, elles n'ont pas été posées à nouveau. J'ai ainsi centré ces entretiens sur la part d'évolution perçue chez l'enfant et chez le parent; comme parties distinctes mais reliables dans le 'tout' qui fait le lien.

"Je vous demanderais maintenant de penser à l’évolution générale de votre enfant depuis son arrivée.

Sous-question a) Qu’est-ce qui, selon-vous, a le plus évolué chez-lui? Sous-question b) Qu’est-ce qui, selon-vous, a le moins évolué chez-lui? Sous-question c) Vos pensées, sentiments, attentes et espoirs à cet égard?"

Ici les parents ont surtout eu tendance à d'abord répondre en identifiant l'évolution physique et développementale générale de leur enfant : combien il avait grandi et pris du poids, son alimentation, sa propreté, etc. Puis ils mentionnaient les aspects affectifs ou le tempérament qu'ils découvraient chez leur enfant; ce qui n'était pas vraiment une 'évolution' en soi pour les enfants plus âgés; mais qui était une évolution importante dans la connaissance grandissante du parent. Malgré l'aspect pragmatique des détails de l'évolution physique de l'enfant, il était intéressant de passer par ces informations 'factuelles' pour demander aux parents la signification de cet aspect pour eux. J'ai pu souligner l'importance que revêtait pour les parents de se sentir contributifs et efficaces dans l'évolution de la santé et la récupération du développement de leur enfant. À l'opposé il était particulièrement difficile pour d'autres parents de constater qu'ils n'avaient pas l'impact espéré sur l'amélioration de sa condition.

Des parents ont fréquemment exprimé qu'il leur faisait du bien de discuter de l'évolution avec une personne neutre, puisque le fait d'en parler donnait une perspective de temps qu'ils n'avaient pas lorsque 'collés' sur leur quotidien. Autrement dit les améliorations, même petites, devenaient plus visibles à leurs yeux lorsque la question était posée de l'extérieur. D'autres ont exprimé avoir trouvé 'thérapeutique' le fait de pouvoir exprimer leur découragement ou leurs incompréhension à quelqu'un lorsque les choses ne se déroulaient pas aussi bien qu'espéré. Dans une situation j'ai référé une participante en difficulté avec son enfant à des services de soutien.

L'évolution de la relation est la question qui était au coeur de l'étude : j'ai cependant dû 'travailler le terrain' de la conversation avant d'y arriver de manière plus concrète. Il était aussi difficile pour les parents d'y répondre, surtout au début; les réflexions s'enrichissaient en posant la question à nouveau aux deuxièmes et troisièmes rencontres. Les parents du groupe rétrospectif avaient pour leur part réfléchi davantage à leur relation avec leurs enfants, et aux facteurs marquants de son évolution puisqu'ils m'en ont parlé assez spontanément et facilement dans la première rencontre.

"Si je vous demandais de penser en particulier à l’évolution de la relation entre votre enfant et vous depuis son arrivée.

Sous-question a) Quels sont les aspects qui ont le plus évolué entre vous? Sous-question b) Quels sont les aspects qui ont le moins évolué entre vous? Sous-question c) Vos pensées, sentiments et attentes à cet égard?

Parlez-moi des moments où vous vous êtes senti le plus près de votre enfant, et le plus loin?"

La question du sentiment de proximité et d'éloignement était posée lorsqu'un certain degré d'aisance avait été établie avec le parent participant, et a permis d'aller chercher les insatisfactions et frustrations; qui ne sont pas toujours socialement 'acceptables' à exprimer. Toute la question de l'ambivalence des sentiments entre un parent et un enfant et sa dynamique mouvante a pu émerger; ce qui donnait aussi une vision plus réaliste de la vraie nature des relations : les sentiment peuvent être multiples, complexes, et changeants. Au-delà de la 'stabilisation' du lien ou de la sécurisation de l'attachement qui sont souvent l'objet de la recherche en adoption, les nuances des sentiments qui se vivent ne peuvent être obtenues que par les parents eux-mêmes.

Plus tard dans l'entretien j'ai ouvert sur la vie sociale; je voulais explorer les perceptions que les parents avaient de leur propre famille tout en explorant le regard posé sur eux par leur entourage.. Les parents ont beaucoup discuté de l'accueil de leurs besoins particuliers par leurs familles; par moments des tensions vécues lorsque celle-ci ne se synchronisait pas bien à leurs demandes (soit de préserver leur intimité familiale, soit d'offrir un plus grand soutien). La perception de l'enfant dans son milieu a aussi été abordée par l'entrevue; puisqu'elle touchait à l'expérience du parent et à son rapport avec lui, bien qu'indirectement. Par exemple, des parents avaient une expérience différente de leur enfant à la maison, par rapport à celle de personnes extérieures (à la garderie, les grand-parents, etc.). Ceci créait des tensions occasionnelles et affectait l'expérience émotionnelle du parent; surtout dans le cas de ceux qui sentaient que leur enfant était plus proche d'autres membres de la famille. Leur demander une description externe fréquente au sujet de leur enfant était une façon d'entrer en matière :

"Quels mots décriraient le mieux votre enfant selon vous?

Comment vos familles respectives et votre entourage ont-ils réagi à l’arrivée de votre enfant? Que vous est-il venu à l’esprit à cet égard?

Comment votre enfant est-il perçu par votre famille et votre entourage? Et par la société en général à votre avis?

Comment est-il perçu par ses frères et sœurs (si applicable)?

Comment pensez-vous que la société (en général) perçoit votre famille? Sous-question a) Comment percevez-vous votre famille à l’heure actuelle?"

Les autres liens (frère-soeur; grand-parents; voisinage, etc.) étaient aussi explorés par la question et ont permis de constater que les parents valorisaient, et de plus en plus au fil du temps, les autres influences positives sur leur enfant. Cela leur donnait aussi l'occasion de 'décentraliser' le lien parent-enfant qui les préoccupait tellement au début. À la fin du processus d'entretiens plusieurs ont mentionné le rôle très important qu'avaient joué un frère ou une soeur, un milieu de garde de qualité, ou autre dans l'évolution de leur enfant. Il ne s'agissait plus que de leur seule influence parentale; ce qui leur enlevait un peu de cette pression de performance à laquelle ils faisaient allusion au début.

La perception sociale de l'enfant et de la famille faisait aussi allusion aux phénomènes de racisme, de préjugés et stéréotypes fréquemment rencontrés par les familles qui adoptent à l'international. Ces événements ont été amenés par les parents, mais aussi en préparation à l'adoption alors qu'ils réfléchissaient sur l'impact de la différence dans leur milieu. Les participantes ont aussi apporté un élément intéressant : celui de leur relation avec les gens qui partagent la nationalité ou l'origine de leur enfant. Les contacts qu'ils ont pu avoir avec eux lorsqu'avec l'enfant ont été à la fois positifs et négatifs; leur geste étant autant apprécié que jugé selon les cas par ces personnes.

La relation personnelle des parents adoptifs avec les origines de leur enfant était un autre sujet important à aborder :

"Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand vous pensez aux origines de votre enfant, à ses parents biologiques et le fait qu’il ait dû en être séparé pour être adopté dans votre famille?

Sous-question a) Que ressentez-vous à l’idée que votre enfant puisse se questionner ou vous questionner concernant son adoption et ses origines dans le futur?

Sous-question b) Qu’estimez-vous être le meilleur moyen de l’accompagner dans son expérience de perte?

Sous-question c) Parlez-moi de vos impressions ou ce que vous imaginez de ses parents biologiques? Vos sentiments quand vous pensez à eux?"

J'ai volontairement inclu les parents de naissance dans la question des origines pour aller explorer au-delà des dimensions 'culturelles' ou folkloriques de l'adoption internationale. J'ai aussi posé cette question pour voir comment les adoptants se reliaient aux aspects personnels de l'histoire de leur enfant et à 'l'autre mère'. En fait la majorité a exprimé le souci de bien connaître la provenance non seulement géographique de leur enfant mais son histoire personnelle, psychologique, lorsque possible. Les parents d'origine sont aussi un sujet de leurs interrogations, puiqu'ils ne pourront probablement jamais les rencontrer. Les informations sur papier ou de bouche à oreille qu'ils obtiennent sur eux sont précieuses pour eux; mais la relation qu'ils entretiennent avec les parents de naissance dans leur esprit est ambigüe.

Cette question m'a permis de constater les aspects les plus difficiles du 'devoir de transparence' que de plus en plus de parents s'imposent vis à vis la communication de l'histoire à leur enfant. Ils veulent dire du bien des parents d'origine à ce dernier pour lui permettre de s'identifier positivement; en même temps ils ne peuvent faire abstraction des informations qui leur indiquent des mauvais traitements ou de la négligence de ses besoins fondamentaux. Ces aspects sont revenus très souvent dans les réponses; beaucoup plus que la question de l'abandon. C'est difficile pour les parents adoptifs d'absorber les détails 'crus' et troublants de l'histoire de leur enfant; ce l'est encore plus pour eux de trouver une manière d'en discuter avec lui. J'aurais aimé pousser cette dimension davantage; la richesse du matériel obtenu pourrait certainement ouvrir sur une autre étude concernant la communication des informations à l'enfant sur son histoire et les perceptions des parents à ce sujet. Dans la présente étude, la période de vie familiale qui était abordée limitait aussi les participants dans la discussion de ces aspects, qui prennent habituellement forme plus tard, quand l'enfant est en mesure de parler et de comprendre au sens cognitif son adoption. Cela nous informe toutefois que des préoccupations existent déjà à ce sujet et que des stratégies de communication au sujet des origines et de l'histoire personnelle prennent forme dans l'esprit des parents très tôt.

Enfin, je demandais aux parents de résumer leur expérience, en laissant ouverte la dimension qui avait pour eux pris le plus d'importance dans l'accueil de

leur enfant :

" Que pensez-vous a été le plus important pour bien accueillir votre enfant dans votre famille à date?

Qu’auriez-vous à ajouter, en quelques mots, qui n’a pas été mentionné dans notre entretien et que vous trouvez important?"

La plupart des parents formulaient ce témoignage comme une recommandation ou une 'mise en garde', à communiquer par le moyen de la recherche aux autres adoptants. Plusieurs mentionnaient ce qu'il leur aurait été bénéfique de savoir à l'avance, le besoin de temps avec l'enfant et le besoin d'être bien informé. Au bilan certains ont annoncé leur intention d'adopter à nouveau ou l'entreprise de démarches à l'international; et ce malgré les difficultés rencontrées à cet égard dans la première expérience. Dans les familles qui ont rencontré le plus de difficultés, les parents partageaient que c'était souvent les adoptions ultérieures qui avaient permis d'accéder à l'expérience parentale désirée initialement. Toutefois, ils donnaient une note positive et réfléchissaient sur les forces qu'ils avaient acquises par l'expérience de la première adoption: la 'résilience' de leur enfant; la leur; les apprentissages; la solidification de réseaux de soutien; etc. Les parents semblaient parfois émus d'être parvenus à passer au travers de difficultés importantes, et ont exprimé que la recherche avait été une expérience enrichissante pour eux de pouvoir revenir sur leur expérience en en parlant de manière périodique. Certains ont dit qu'ils auraient aimé connaître les ressources de soutien au début de leur adoption, lorsqu'ils ont rencontré de grandes difficultés. D'autres parents ont souhaité introduire une vision plus critique ou mûrie par leur expérience au sujet de l'adoption, et ont exprimé l'espoir que la recherche les diffuse pour défaire des mythes et des stéréotypes reliés à au processus d'adoption, ou aux besoins de l'enfant adopté.