• Aucun résultat trouvé

‐ L’influence de l’environnement social et des premières interactions 53

Si nous voulons mieux comprendre la complexité du lien adoptif, les processus affectifs, identitaires et familiaux propres à l’enfant et à ses parents adoptifs ne peuvent être interprétés en vase clos. Il est nécessaire de prendre en considération le poids des normes sociales et des représentations qui sont véhiculées à travers les messages envoyés aux adoptants par leur entourage et par la société de manière générale. De plus, il importe de tenir compte des circonstances particulières entourant l’arrivée de l’enfant dans la famille, de même que les premières phases de la constitution familiale.

3.5.1 La disposition du milieu familial et social à accueillir le nouvel enfant

Le contexte dans lequel est ancrée la constitution d’une famille adoptive oppose parfois les aspirations et les choix personnels des adoptants concernant la famille qu’ils souhaitent créer, d’une part, et les messages sociaux plus ou moins positifs qui leurs sont véhiculés concernant ce projet et sa validité, d’autre part. En effet, ces messages sont souvent teintés de mises en garde quant aux “risques” de l’adoption [32, 68], et ce, même si la plupart des enfants adoptés sont accueillis de manière positive dans la famille adoptive élargie [38]. Par exemple, l’entourage peut exprimer la crainte que les parents adoptifs s’engagent dans une tâche trop lourde en incorporant dans leur famille un enfant marqué par des expériences difficiles. Un autre message est celui de faire un choix de “deuxième classe”, moins attrayant que celui de la parentalité biologique. Comment peuvent-ils aimer autant un enfant qui ne partage pas leurs caractéristiques physiques ou leur histoire de vie? Il n’est pas toujours facile pour les parents adoptifs de faire comprendre à leur

entourage qu’ils font un choix qu’ils estiment positif. Lorsque le lien est fragile ou que l’enfant présente des difficultés de santé ou comportementales qui affectent le fonctionnement familial, il arrive que les critiques provenant de l’extérieur fragilisent davantage ce lien ainsi que l’expérience de parentalité des adoptants. Toutefois, lorsque le lien avec l’enfant est solide, ces commentaires risquent davantage d’être perçus comme une intrusion désagréable qui ne remet pas en question leur relation avec l’enfant.

Dans son livre intitulé Shared Fate, Kirk [32] soulève cette question des représentations sociales de l’adoption et des impacts qu’elles peuvent avoir sur l’expérience des familles adoptives. Il suggère que le parent et l’enfant sont réunis par le fait qu’ils partagent une souffrance commune, liée à l’expérience de pertes (c'est-à-dire la perte de l’accès à la parentalité biologique pour le parent et la perte de ses parents d’origine pour l’enfant). Ils doivent reconnaître qu’ils ne sont pas une famille “comme les autres”, que le lien qui les unit est différent. Pour Kirk, la capacité du parent adoptif à reconnaître et accepter cette différence passe par l’acceptation de sa propre souffrance. C’est seulement à ce moment qu’il sera en mesure de développer un sentiment d’empathie qui lui permettra d’accueillir et de comprendre le sens de la perte éprouvée par l’enfant. C’est ce qui lui permettra également d’être disposé à construire un lien positif et solide avec son enfant.

3.5.2 Les circonstances particulières à l’arrivée de l’enfant dans sa nouvelle famille

Les nombreuses circonstances imprévisibles entourant l’arrivée de l’enfant dans sa famille adoptive peuvent influencer les parents adoptifs dans leur préparation à l’établissement d’un lien avec l’enfant. Par exemple, l’arrivée précipitée d’un enfant dans la famille peut amplifier le “choc” de la parentalité en écourtant le temps consacré à la préparation psychologique et organisationnelle de la famille. À l’inverse, une attente prolongée due à des imprévus juridiques et politiques ou au manque de disponibilité d’enfants peut faire vivre une grande impuissance aux adoptants, alors que certains se sentent déjà “parents”. En effet, leurs témoignages montrent que le lien avec l’enfant commence à se construire bien avant son adoption, comme dans les familles d’origine d’ailleurs [45]. En adoption toutefois, en l’absence de la présence physique de l’enfant dans le ventre

de sa mère, les adoptants doivent se raccrocher à d’autres éléments pour se rassurer de la concrétisation de leur démarche, par exemple la photo de l’enfant rendue disponible au moment de la proposition [72].

3.5.3 Les premières phases de constitution de la famille adoptive Des auteurs tels que Reitz et Watson [73], ainsi que Pinderhughes [74] ont décrit le processus d’adoption en termes de phases à travers lesquelles les parents adoptifs et l’enfant s’apprivoisent. Je crois que ces phases permettent une certaine compréhension de ce que peuvent vivre les familles adoptives, sans toutefois adhérer au principe de linéarité proposé par ces auteurs. Ainsi, en attendant l’arrivée de l’enfant, les parents adoptifs traversent une phase d’anticipation. De futurs adoptants relatent à la fois leur anticipation d’un moment de joie intense, qui représente l’aboutissement de leur rêve d’avoir un enfant, mais aussi des angoisses à savoir s’ils seront acceptés par l’enfant. Tel que mentionné précédemment, au moment de l’accueil de l’enfant, cette expérience est décrite par plusieurs parents adoptifs avec une grande émotion comme un “accouchement”. Même en sachant que ce premier contact avec l’enfant ne peut faire foi de l’ensemble du lien qui va les unir, les parents ont souvent de grandes attentes face à ce moment qu’ils perçoivent comme magique.

Pinderhughes, Reitz et Watson identifient également une phase d’accommodation, où les membres de la famille explorent et testent de nouveaux arrangements familiaux et de nouvelles relations. Sur le plan de la routine quotidienne par exemple, l’enfant qui arrive avec ses propres expériences sensorielles et relationnelles devra réapprendre beaucoup de choses : habitudes alimentaires, routine entourant le sommeil, disposition des lieux, aspect et quantité des gens qui gravitent autour de lui, etc. En ce sens, l’adaptation de l’enfant à son environnement peut prendre plus de place dans son univers que le lien qui se construit avec ses nouveaux parents. L’établissement d’un cadre et de règles de fonctionnement familial, qui respectent le rythme d’un enfant vivant des bouleversements majeurs, représente un certain défi. Au-delà de la dimension de l’adaptation, des gestes typiques, tels que le premier bain donné à l’enfant, peuvent prendre davantage le sens d’un rite de passage pour certains parents adoptifs, permettant de nettoyer l’enfant des odeurs marquant sa vie antérieure, plutôt qu’un

simple acte d’apprivoisement ou d’hygiène [94].

Ces rites et passages se vivent souvent difficilement pour l’enfant, mais aussi pour ses parents qui se retrouvent partagés entre les conseils plus traditionnels visant à favoriser l’apprentissage de l’autonomie chez l’enfant, et leur désir de rassurer un enfant qui vient de traverser beaucoup d’épreuves. Plusieurs seront également partagés entre leur désir d’instaurer un cadre, un mode de fonctionnement qui leur est propre dans les routines et leur souci de préserver autant que possible des éléments de l’univers antérieur de l’enfant. Ainsi, ils tenteront de minimiser les nouveautés sensorielles pour ce dernier (p. ex. en lui trouvant une couchette faite du même matériel auquel il était habitué, en gardant ses petits objets et jouets, ses vêtements d’origine) et de respecter le rythme de l’enfant et ses préférences, afin de faciliter non seulement sa transition dans la famille, mais aussi leur relation avec lui.

Certains parents craindront que l’imposition de limites à un enfant adopté à un âge avancé affecte de manière néfaste le lien qu’ils souhaitent développer avec lui. Au contraire, le lien sera parfois consolidé lors des premières tentatives de l’enfant d’enfreindre les règles de la maison. Dans le meilleur des cas, il réalisera que ses parents peuvent à la fois l’aimer et être mécontents de son comportement. Pour d’autres enfants plus marqués par les bris dans la continuité de leurs relations avec les adultes significatifs, les réactions négatives et pourtant naturelles du parent face à un comportement non désiré peuvent faire craindre une nouvelle rupture, alors qu’il n’en est rien. Le lien peut à certains moments révéler sa fragilité encore présente, ce qui amène certains parents adoptifs à constamment devoir rassurer l’enfant quant à sa permanence.

3.3 Théories et études empiriques : Sommaire

I- Étude des facteurs qui participent à la construction d'un lien adoptif