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CHAPITRE IV : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS

4.4. Troisième phase : Créer, faire des projets et s’engager pour se rétablir

4.4.2. Thème 7 : Les grands projets et leur mise en œuvre

Nous venons de voir que les conceptions du rétablissement chez les femmes rencontrées s’obtenaient par l’acquisition d’un sentiment d’accomplissement dans les « petites choses ». Alors nous ne serons pas surpris de constater que la réalisation des grands projets permet aussi

aux femmes de se sentir rétablies. Dans le présent thème, nous discutons de deux sous-thèmes : les arts et les projets professionnels.

4.4.2.1. Les arts

Une pratique artistique est un moyen utilisé par beaucoup de femmes rencontrées pour se rétablir. Elles le font soit chez elle, soit dans leur ressource d’appartenance ou dans une autre ressource.

Par exemple, faire de l’artisanat est d’une grande importance pour Georgette. Nous nous rappelons qu’à la ressource, c’était la première fois de sa vie où elle travaillait de ses mains. C’est, les yeux pétillants, qu’elle me racontait :

« Je faisais de l’artisanat de l’artisanat de l’artisanat. Ah j’ai aimé ça ! J’en ai appris des choses à dessiner, à faire des pantoufles, à dessiner des beaux dessins, pis des pantoufles, j’en ai pleuré chez nous tout seul parce que j’avais jamais appris à faire des pantoufles comme ça ! Té des pantoufles avec des couleurs croisées là ! … Moi je savais pas faire ça ! Ah je te dis que j’en ai appris des choses icitte ! Pis là on apprenait aussi à peinturer des morceaux de bois, des choses en bois comme eee des tits bateaux de bois, des petites maisons de bois, toutes sortes de choses en bois tsé, des coffres, des petits coffres, on peinturait des petits coffres pis on mettait la couleur qu’on voulait, on faisait de la créativité… pis ahh que j’aimais ça ! »

Georgette conserve précieusement tout ce qu’elle fait. Au début, faire de l’artisanat lui apportait une stabilité qui l’aidait dans son rétablissement afin qu’elle reprenne goût à la vie. Mais maintenant, elle continue de faire de l’art pour le simple plaisir et la valorisation que cela lui procure. À ses mots, j’ai compris l’importance de la ressource dans sa vie puisqu’elle lui permettait de continuer à faire de l’art. Et elle me le disait clairement : « Ici là [à la ressource], ça me… c’est toute pour moi ! ». Elle se comparait à l’époque où elle était hospitalisée, durant longtemps, du temps où elle n’avait plus ses enfants. Elle a beaucoup cheminé, même son médecin « n’en reviens pas », qu’elle me disait fièrement.

Cynthia aussi a des projets d’arts à réaliser. Elle me racontait que retraitée, elle ne voulait plus travailler et désirait seulement maintenir ses acquis en logement et continuer ses projets d’art. Quand je lui ai demandé ce qui la motivait à continuer ses projets, la réponse fut simple : « Parce que j’aime ça ! … Pis j’aimerais ça devenir bonne comme mes sœurs ! » Elle me racontait aussi qu’elle suivait des cours d’arts, à raison de deux fois chaque semaine.

Chantale pour sa part est danseuse, peintre à ses heures et aussi photographe. Elle veut poursuivre ses projets. Elle me disait que travailler n’était pas une priorité en ce moment puisqu’elle ne voulait pas perdre son statut de contraintes sévères à l’emploi à l’aide sociale alors qu’elle était encore relativement affectée par son trouble de santé mentale.

Pour Suzanna, ce sont les arts qui occupent aussi presque tout son temps et qui font qu’elle se sent, par rapport au passé, plus rétablie. Elle me racontait : « C’est l’artisanat, la peinture. Je fais beaucoup de tricot, de la peinture, je fais des bijoux, je fais un peu de toute. J’adore, j’aime beaucoup faire quelque chose. Moi, rester à ne rien faire je suis pas capable, j’ai de la misère. Avant je faisais rien… »

Louise aussi s’occupe en allant aux Impatients 56 : où elle y suit des ateliers d’art. Elle aime bien avoir des projets artistiques, elle se sent « plus accomplie comme personne ».

Donc, faire de l’artisanat et des arts apporte plus aux femmes rencontrées qu’une simple occupation. Grâce à cela, elles se sentent capables de faire quelque chose de leurs mains, quelque chose de beau, qu’elles sont fières de montrer aux autres, et quelque chose qui leur permet de s’améliorer, de se lancer des défis et de se sentir plus accomplies en les réussissant. Voyons maintenant d’autres « grands projets ».

4.4.2.2. Carrière, formation, travail et projets professionnels

Les rêves de carrières et d’études sont surtout constatés chez les femmes plus jeunes que j’ai rencontrées. Chez les plus âgées, certaines ont déjà travaillé et d’autres travaillent encore, à temps partiel ou occasionnellement. Voyons cela plus en détail.

Chez les plus jeunes, il y avait Louise qui voulait mettre à jour ses connaissances du baccalauréat en physiothérapie et qui voulait peut-être travailler à temps plein, si elle réussissait à vaincre l’angoisse perpétuelle qu’elle ressent encore devant les personnes. Elle travaille déjà une journée par semaine, comme aide-physiothérapeute. « Oui. Moi je sens que je veux retourner sur le marché du travail… C’est sûr faudrait je refasse, j’me suis informée, faudrait je refasse des stages, des cours, je me suis informé sur qu’est-ce qui fallait je fasse ». Elle m’a mentionné que

56 « Les Impatients » est le nom d’un organisme où l’on y fait des cours d’arts et où toutes les personnes ayant un

diagnostic en santé mentale peuvent y faire un projet artistique. C’est un organisme implanté dans plusieurs régions du Québec.

c’était dans son travail qu’elle ressentait le plus grand sentiment d’accomplissement : « Parce que je suis fière de travailler, je suis contente. Je suis contente pis je suis fière quand j’ai fini ma journée ».

Il y a aussi Stéphanie qui me racontait qu’elle voulait peut-être finir son secondaire pour aller faire des cours pour travailler avec les enfants, en tant qu’éducatrice peut-être. Pour l’instant, elle me disait être sur un Pass-Action57, afin d’apprendre à maintenir un horaire à temps plein. Les femmes rencontrées qui étaient un peu plus âgées avaient aussi des projets, bien que ceux- ci ne soient pas reliés à une formation. Notons tout de même que Darlène a terminé son secondaire 5 à l’âge de 52 ans ! Comme quoi il n’est jamais trop tard ! Ainsi, pour Darlène, c’est dans le travail qu’elle se sent la plus accomplie. Elle me disait vouloir augmenter son travail à trois jours par semaine. Elle disait qu’elle allait avoir sa pension de vieillesse dans quelques années et qu’elle était vraiment fière de dire qu’elle avait réussi à se maintenir au travail au même endroit.

Denise m’expliquait aussi que, pour elle, le rétablissement se passait dans l’action. Elle m’a dit : « Ça, j’ai appris ça, la vie s’enchaîne une chose après l’autre, ça se met en place, pis j’ai passé à autre chose, j’ai traversé… Comme c’est là, moi j’ai toujours un projet quelque part. Quand j’ai un projet, je suis heureuse, je suis épanouie. C’est plus facile que d’aller voir les affaires du passé qui ont été difficiles, parce que je ne mets pas mon focus là. » Pour elle aussi donc, ce serait dans l’action, sans nécessairement devoir se questionner sur le passé, qu’elle se sent rétablie.

D’ailleurs, sa plus grande fierté c’était le fait de réussir ses projets. D’ailleurs, quand je lui ai demandé à quel moment elle s’était senti la plus rétablie, elle m’a répondu, du tact au tact :

« Quand j’ai travaillé aux élections [tous] les autres contrats que j’ai eus, je me sentais [aussi] comme ça. Quand je travaille, je me sens comme ça. C’est comme un dynamisme du travail. C’est quand je me prépare à travailler… quand je suis cédulé, c’est là que ça se passe. Y’a un dynamisme, y’a quelque chose ! »

C’est ce dynamisme qui lui donne, en fait, le sentiment de se rétablir. C’est pourquoi elle n’a pas renoncé à travailler, même si c’est seulement à temps partiel, comme agente de sécurité.

Et pour Yolande, elle me disait espéré beaucoup développer son projet de devenir une famille d’accueil pour les animaux. Elle me racontait son rêve qui s’inspirait d’un travail qu’elle avait déjà fait. Elle me racontait son rêve :

« Ouin pis voir si je peux pas peut-être aider pour être famille d’accueil, zoothérapie, ça j’y pense pis ça me fait ça, pis ça me coûterait rien parce qu’eux autres y défraient toutes les coûts ! Autant la bouffe, les soins pis tout ça, j’ai rien qu’à m’occuper de l’animal. T’as rien qu’à le brosser pis en prendre soin, c’est quoi ? Ça, c’est ce que j’aime le plus au monde ! J’ai travaillé 4 ans dans une clinique vétérinaire à faire le ménage pis à les soigner pis les dorloter… [Ça m’apporte] de la paix, beaucoup de paix, si tu savais… Ça me donne tellement de paix pis de calme en dedans de moi, ça me donne de la joie. »

Donc, en ce qui concerne les projets professionnels, les résultats montrent qu’aucune des femmes rencontrées ne travaille à temps plein. Il n’y a que Louise qui souhaiterait peut-être y arriver, mais pour l’instant, travailler même trois jours par semaine n’est pas possible, comme elle me le disait : « J’ai trouvé ça dur là ! Juste travailler eee… C’est trop pour moi ! »

En somme, les plus grands projets, qu’ils soient personnels ou professionnels, procurent, lorsqu’ils sont mis en œuvre et sont réussis, un grand sentiment de fierté. Le simple fait d’en rêver et de les planifier donne, aux femmes rencontrées, l’envie de se réaliser elles-mêmes.