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CHAPITRE IV : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS

4.2. Première phase : Réussir à se déposer et à s’apaiser

4.2.3. Thème 3 : Apaiser une trop grande souffrance

4.2.3.1. Survivre aux grandes pertes : Sandra et Stéphanie

Nous pouvons tous nous imaginer la difficulté de se rétablir après le drame du décès de son enfant. C’est ce qui est arrivé à Sandra. En entrevue, elle témoignait de sa souffrance, une souffrance encore présente. Elle était tellement grande qu’il a été difficile pour elle de se reconstruire et de se rétablir.

Et pour Stéphanie aussi, qui a vécu l’adoption de sa fille, ce fut difficile. Même si l’adoption semble moins définitive que le décès d’un enfant, ce fut tout de même une grande perte pour elle, bien qu’elle mentionne avoir fait ce choix.

Sandra

Sandra a perdu sa fille, morte d’une embolie dans la trentaine. Pour Sandra, avant de se rétablir, il a fallu qu’elle arrête de penser au suicide constamment. Même après 10 ans, elle pense encore avec douleur à sa fille. Elle m’expliquait :

« J’ai toujours des ennuis à cause de ça. Je me sens toujours coupable, j’aurais dû, j’aurais dû faire mieux, ça là, c’est flagrant, là la période des fêtes arrive… Je vais te dire

que ça m’a mis deux ans à m’en remettre. Y’a des périodes où c’est plus flagrant que d’autres. Un manque ! Le manque ! [Elle me montre ce manque comme si elle le ressentait encore physiquement] Té si quelqu’un est malade, tu souhaites que sa souffrance arrête. Tu souhaites ça, quand tu vois quelqu’un souffrir, mais ça [silence, la souffrance est ressentie] ».

Cette souffrance, sourde, poignante, qui la ramène toujours à la même souffrance sous-jacente de la mort : la sienne, parce qu’elle a envie de mourir depuis sa première tentative de suicide après la mort de son père. Elle a fait plusieurs tentatives de suicide. Selon elle, sa vie fût comme une boucle infinie de trop grande souffrance : décès de son père, tentative de suicide, décès de sa fille, culpabilité, tentative de suicide..., plusieurs fois : cette boucle de souffrances. Elle m’a dit : « Rationnellement je le sais que j’ai pas tué mon père, j’ai pas tué mon père, j’ai pas tué ma fille. Je sais tout ça. … Je rationalise. Pas de problèmes. Pis ça reste avec les années-là ! T’as beau rationaliser les émotions ! [Ça ne passe pas qu’elle m’exprime avec ses mains] ». Je me suis donc dit que si sa souffrance revenait sans cesse, que c’était peut-être dû au fait qu’elle n’avait pas réussi à exprimer l’émotion par rapport à la mort de son père. Alors délicatement, je lui ai demandé si elle avait déjà exprimé ses émotions par rapport à tout ça. Elle m’a répondu : « Je les exprime, mais c’est comme pogné là ! … Ça fait 60 ans ! » Heureusement, j’ai compris, dans la suite de son discours, qu’elle avait commencé à s’exprimer sur ce sujet. Grâce à la ressource à laquelle elle est rattachée aujourd’hui, elle a pu s’exprimer et retrouver une envie de vivre. Voici ses mots :

« … Oui, faque… J’ai de la misère ! … Malgré que… avec X [le nom de son intervenante] tout ça, je serais pas là sinon ! Ça fait longtemps que je vivais juste pour mourir ! … J’ai passé à l’acte souvent ! … Maintenant, je vois plus de beau ! … Je vois plus de beau, OK ? C’est pas toujours beau, mais je ne pense que personne a une vie toujours belle où tout est parfait ! Mais je tiens à la vie ! Maintenant, le suicide ne fait plus partie de ma vie. Fais pu parti de ma vie. »

C’est donc seulement à partir du moment où elle a exprimé sa souffrance qu’elle a pu s’apaiser assez pour retrouver le goût de vivre. Ainsi le rétablissement a pu s’amorcer même si la tristesse de perte de sa fille reste là, comme l’a mentionné Sandra.

Stéphanie

Stéphanie aussi vivait une situation de souffrance trop criante. Elle vivait avec sa fille chez sa mère qui l’exploitait financièrement et qui faisait vivre à sa petite fille des situations la ramenant à sa propre enfance à elle. Elle m’a raconté :

« Parce que là, c’est pas juste ma maladie c’est parce que ma mère faisait du mal à ma fille. Pis des fois, ma fille me ressemblait tellement ! C’est comme si ma mémoire avait bloqué des souvenirs dans mon passé quand j’étais petite pis que là, j’m’en souvenais quand je la voyais. Faque ce qu’a faisait à elle c’est comme si a le faisait à moi. »

Ce que j’ai compris de son discours, c’est que tant que Stéphanie n’a pas pu se distancer du joug de sa mère, elle n’a pas pu mettre fin à la réactivation de ses propres blessures. De plus, selon elle, ce n’est pas tant la perte de sa fille qui l’aurait plongée dans les troubles de santé mentale, mais plutôt la réactivation de ces blessures d’enfance. Elle m’expliquait que c’était cela qui l’avait plongé dans les psychoses.

Mais, au moins, sa psychose lui a permis de sortir de l’emprise de sa mère. Parce qu’à ce moment-là, on lui avait enlevé sa fille et qu’elle avait donc pu, après son hospitalisation, partir de chez mère. Elle m’a expliqué :

« Je te dirais que c’est le fait qu’ils aillent emmener ma petite qui m’a aidée parce que quand je suis partie de chez ma mère, parce que je ne savais pas comment m’en aller avec un enfant, je savais pas si y avait des maisons qui pouvaient nous aider pis toute ça. Faque le fait qui sont venus la chercher, ça m’a donné la force de pouvoir partir. »

Donc Stéphanie a, selon ce qu’elle racontait, fait ce qu’elle croyait le mieux pour sa fille à l’époque, c’est-à-dire qu’elle a accepté de la laisser aller en adoption. Mais je sentais, à son discours rationnel et au ton de sa voix, qu’elle essayait encore de se convaincre qu’elle avait pris la bonne décision.

« Ça l’a été un choix personnel que j’ai fait étant donné que j’meeee étant donné que… Oui, j’ai un appartement, mais j’ai un 1 et demi. J’étais stable oui, mais j’pas capable m’occuper d’un enfant 24 heures sur 24. Pis le père a jamais été présent té je veux dire y m’a laissé quand j’étais enceinte. C’était un choix pour le bien-être de ma fille. Je savais qu’en faisant ça j’y donnais une enfance que moi j’ai pas eue. C’était plus important pour moi qu’a soit heureuse pis qu’a l’aille une belle enfance parce que moi j’en ai pas [eue] d’enfance chez ma mère. »

La décision de la faire adopter a été difficile, complexe en émotions, d’autant plus que c’était la naissance de sa fille qui lui avait enlevé l’envie de se suicider. Mais elle a réussi à la laisser

partir, c’était là « un cadeau d’une vie qu’elle lui faisait ». Malgré les jugements des gens, les jugements de sa propre famille, elle a fini par être fière de sa décision. Mais elle a tout de même besoin de s’accrocher à son désir de revoir sa fille un jour lorsque celle-ci sera en âge de la revoir. J’ai pu le sentir dans ses mots : « C’est ça qui me maintient en vie le plus ! »

D’autres femmes rencontrées avaient, elles aussi, vécu une séparation d’avec leurs enfants qui avaient sûrement exacerbé, à l’époque, leurs troubles de santé mentale. Bien que leur souffrance soit très grande pour elles aussi, j’ai décidé d’en discuter séparément. Et cela puisque j’ai constaté que pour elles, leur souffrance s’était résorbée avec la reconstruction du lien brisé et que je pourrais donc en discuter dans le thème des relations interpersonnelles.

Pour l’instant, rappelons-nous que la souffrance extrême ou trop grande peut empêcher de faire face aux émotions du présent et rendre difficile la mise en œuvre du rétablissement. Elle peut même enlever l’envie de vivre et ainsi, nuire grandement au rétablissement.

Notons aussi qu’une souffrance temporaire, reliée à une crise par exemple, ne nuit pas nécessairement au rétablissement, comme nous le verrons dans le prochain thème.