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CHAPITRE IV : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS

4.2. Première phase : Réussir à se déposer et à s’apaiser

4.2.1. Thème 1 : Trouver la sécurité

4.2.1.1. Le chez-soi et le sentiment d’accomplissement

Les parcours des différentes femmes ayant participé à la recherche comportent, pour la plupart, un ou plusieurs moments dans leur vie où le « logement » n’était pas un acquis. Je parle de sept femmes sur les onze de ma recherche qui ont vécu de grandes difficultés, par exemple une rupture, une perte des enfants ou une situation de violence les ayant obligées à quitter le domicile. S’en suivaient des logements de transition, des foyers de groupe, de longs séjours en institutions psychiatriques, des situations de colocation difficiles et même des situations d’itinérance. Ces situations ont été nuisibles à leur bien-être personnel et à leur sécurité. C’est pourquoi, après ces tumultes et l’instabilité qui en résultaient, le fait d’avoir à nouveau un logement est devenu réparateur, un peu du moins, de ces difficultés.

Un logement pour Stéphanie45 : un point de départ pour son rétablissement

Pour Stéphanie, réussir à avoir sa place où se loger a nécessité une assez longue démarche. Elle a d’abord été admise en foyer de groupe pour être ensuite en appartement supervisé durant deux ans. Actuellement, elle ne se sent plus vraiment supervisée ; des personnes viennent visiter les lieux une fois tous les quatre mois, sans plus. C’est maintenant : « son appartement à elle » et elle est très fière. D’ailleurs, quand je lui ai demandé le point de départ de son rétablissement, elle m’a répondu sans hésiter que pour elle, c’est d’avoir eu son logement, sa place à elle. Ses mots ont été : « La journée que j’ai décidé de partir de chez moi. … Si j’avais pas posé c’te geste-là, je ne serais pas rendue où est-ce que je suis. »

Elle m’a raconté toute sa progression et son cheminement depuis qu’elle est arrivée à la ressource, détaillant sa réussite d’avoir réussie à « gravir les échelons. » Elle m’a dit :

« … C’est une place qui, au départ, quand t’arrives, t’es en foyer de groupe. Pis quand ça va bien, ben là tu montes de grade, y te mettent en appartement où tu dors, tu te laves pis tu continues à manger avec le groupe. Pis à mesure que ça va bien, ben, tu commences à être en milieu de vie. Pis en milieu de vie ben, t’as un appartement là-bas, t’apprends à vivre toute seule, tu fais ta commande, toute ça, t’as pu accès vraiment à la maison, faut que t’apprennes ton autonomie pis ton indépendance. Pis moi j’ai fait, on a une période de deux ans là-bas, moi j’ai fait deux ans et deux mois, pis j’ai eu le temps de ramasser toute mon trousseau, mettre de l’argent de côté, ramasser mes meubles, tout ça. Pis entre- temps y’a une intervenante de là-bas qui m’a aidé à trouver une place pour un

appartement. Faque là j’ai un appartement [en foyer de groupe], j’ai vraiment un gros cheminement pis c’est vraiment mon appartement… Là où que je suis, t’a Phase 1 pis Phase 2, mais moi je suis dans une passe où c’est pas vraiment supervisé. Aux 4 mois, y vienne faire une inspection générale… mais le reste du temps, t’es autonome ! »

Consciente de l’importance de garder son logement, de la chance qu’elle a eu d’être aidée, elle prend son temps avant de s’installer avec son ami de cœur.

« Ben moi c’est parce que j’ai rencontré quelqu’un… en gardant mon appartement pour ma sécurité. … S’assurer que c’est toujours correct pis après ça on va s’installer ensemble. Moi j’y dis, je peux pas partir au bout de deux mois pis après ça me ramasser dans la rue ! … Pis la ressource où je suis je suis arrivé vraiment à l’âge maximum faque, j’ai pas vraiment de chances ! Faut vraiment que ça fonctionne ! »

Le logement de Cynthia : sa plus grande fierté

Pouvoir se maintenir en logement est un grand élément de fierté. Pour plusieurs femmes rencontrées, c’est la réalisation dont elles se sentent les plus fières. Cette fierté est particulièrement significative pour Cynthia. Elle disait qu’avoir son logement, à elle seule, c’était son plus grand sentiment d’accomplissement. Pourtant, son récit de vie regorgeait d’éléments de réussites importantes, ayant, par exemple, ouvert son propre salon de coiffure. Mais, étonnamment, c’est le simple fait d’avoir son logement à elle qui lui a procuré sa plus grande fierté. C’est du moins ce qu’elle m’a mentionné lorsque je lui faisais remarquer ses réussites.

J’ai aussi pu comprendre que sa fierté était liée à l’acquisition de son autonomie lorsqu’elle m’a dit que c’était le fait « d’être seule, en appartement, et d’être capable de prendre ses rendez- vous médicaux, de se déplacer pour ses rendez-vous », qui l’avait rendue la plus fière d’elle- même. Cette fierté de soi était associée à ce moment où elle s’était sentie la plus rétablie. Elle m’a dit : « Ouais, depuis que je suis revenue toute seule. Qui [qu’il] m’aille mis dehors, c’est une bonne chose ! »

Ce fut la rupture d’avec son ex-fiancé, devenu son compagnon de vie puis un simple colocataire, qui a été un tremplin pour elle, un tremplin qui lui a permis de se construire une place à elle pour sa fierté d’elle-même.

Darlène et Suzanne : un logement pour leur indépendance

Pour Darlène aussi c’est de vivre seule pour la première fois qui était son plus grand sentiment d’accomplissement. Elle s’est choisie pour la première fois de sa vie. Ainsi, quand je lui ai demandé dans quels domaines elle s’est sentie la plus accomplie, elle m’a répondu :

« Ça l’air drôle à dire, mais pour moi c’est eee, de, eee, de vivre seule ! Moi c’est la première fois que je vis seule de ma vie là ! Je m’en vas sur mes soixante46 là pis (rire)

c’est la première fois je vis seule pis je suis contente ! Parce que je vis seule, pis je suis très bien ! Parce que té, souvent avant, j’avais souvent resté avec des hommes que je connaissais pas pis eee, j’avais peur de vivre seule, juste le côté monétaire, té j’avais peur, parce que j’étais une dépendante affective, moi j’étais ben ben dépendante affective. … Le quitter a été la plus belle décision de ma vie ! ... Faque pour moi vivre toute seule, je trouve que c’est un bel accomplissement pour moi, pis d’avoir décidé aussi de ne plus avoir un chum à n’importe quel prix aussi ! »

Paradoxalement, Darlène me disait que pour elle, être en couple était synonyme de bien-être, mais qu’en même temps, c’était lorsqu’elle était célibataire qu’elle se sentait la plus guérie. Elle m’a dit :

« Té quand tout va bien, c’est sûr tu te sens plus guérie, mais là, quand je me sens plus guérie c’est quand ? Ben c’est ça, c’est quand mettons que je suis ben ben en amour pis tout va bien ou là là, quand je suis célibataire, j’en ai pas de problèmes je te dis, je pense que j’ai acheté deux boites de Kleenex depuis 2 ans, je pleure pus ! (Rire) »

Et pour Suzanne aussi c’était de réussir à avoir un logement à elle seule et d’avoir son indépendance qui était synonyme de réalisation de soi et d’un sentiment d’accomplissement. Bien qu’elle partage sa vie avec un compagnon et cohabite quelquefois avec lui, elle croyait qu’elle devait non seulement garder son propre logement, mais aussi l’habiter pour continuer à se rétablir. Elle m’a raconté ce qui suit.

« Les fins de semaine arrivent, c’est le fun, mais là je commence à aller chez moi plus souvent dans la semaine… Pis les fins de semaine, je vas le voir, pour m’habituer à être dans mon cheminement, parce que sans ça j’vas toujours vouloir rester là pis je voudrai pas partir, pis ça c’est pas bon… C’est beau chez eux c’est propre, mais c’est pas chez nous pis c’est pas pareil ! »

Georgette : un logement pour son bien-être

Pour Georgette, ce n’est pas tant un sentiment d’accomplissement qu’elle ressentait face au fait d’avoir réussi à vivre seule. C’était surtout un bien-être que lui procurait son chez-soi, un chez-soi qui, dans son cas, était une chambre avec des services personnels plutôt qu’un logement. Elle considérait que le fait d’avoir eu un endroit où elle se sentait en sécurité, confortable, bien aménagé et décoré à son goût était une chance pour elle, puisqu’elle avait connu l’itinérance avant son long vécu en institution psychiatrique.

« La couleur, la chambre que je voulais, pis toute ça pis, ahhhh ! C’était lavé comme tous les jours, ben pas tous les jours, mais y lavait ça toutes les semaines, ben surtout le lit pis tout ça là, pis y changeait les rideaux aussi, y’é lavait, y’é changeait, aaaah ! On était assez ben, j’étais assez ben là, c’tun vrai miracle que j’aille eu ça ! C’ta partir de ce moment-là que j’étais bien ! »

Enfin ! Elle avait un peu plus de répit et de la facilité pour combler ses besoins de base. Aujourd’hui, maintenant qu’elle est seule en appartement, elle trouve ça difficile de prendre son autonomie. Elle me racontait : « J’chus chez moi, en appartement, seule, mais tsé, c’est un peu difficile des fois. Mais je m’encourage ! »

Chez Georgette, je pouvais constater que l’aspect logement n’était pas, comme chez les autres femmes rencontrées, encore associé à une fierté d’être complètement autonome. Nous constaterons plus loin que cette fierté et ce sentiment d’accomplissement sont venus que récemment pour Georgette, bien que cela fait maintenant quelques années qu’elle a quitté la rue. Elle semble avoir eu besoin de « souffler », après avoir connu énormément de difficultés.