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Implications pour les ressources communautaires en santé mentale

CHAPITRE V : DISCUSSION RETOUR SUR LES RÉSULTATS ET IMPLICATIONS

5.3. Implications des résultats

5.3.1. Implications pour les ressources communautaires en santé mentale

Ce n’est plus à démontrer, les ressources communautaires en santé mentale apportent des bienfaits pour les personnes. Ces bienfaits ressortaient abondamment des témoignages de ces femmes.

D’abord, nous pouvons remarquer que ces ressources semblent leur apporter la stabilité et la sécurité dont elles disent avoir profondément besoin. Ensuite, nous pouvons remarquer que ces ressources sont un lieu où les femmes de ma recherche côtoient des personnes avec qui elles peuvent créer de nouvelles amitiés. Nous pouvons aussi remarquer que les trois ressources fréquentées par les participantes sont un lieu où les personnes peuvent s’impliquer de diverses manières dans différents projets, ce qui est important pour leur épanouissement et leur sentiment d’accomplissement.

Bref, les ressources communautaires en santé mentale répondent à ces besoins, comme nous venons de le voir, mais elles doivent tout de même tenir compte de deux sources de questionnement qui se dégagent des témoignages des femmes rencontrées. La première concerne le fait que ces ressources sont des endroits « protégés », c’est-à-dire réservés aux personnes ayant des troubles de santé mentale, mais que cette protection de l’extérieur a une contrepartie. La seconde touche aux services offerts et à la durée de temps maximale de fréquentation que l’on retrouve souvent dans les ressources communautaires en santé mentale. Discutons plus en détail de ces deux sources de questionnement.

5.3.1.1. Par rapport aux endroits protégés

Comme constaté à quelques reprises dans ce mémoire, certaines femmes avaient peur de s’ouvrir au monde, parce qu’elles avaient peur d’être jugées et stigmatisées. Mais tout de même, certaines affrontaient leurs peurs et disaient en récolter des bénéfices tandis que certaines autres fréquentaient exclusivement leur ressource d’appartenance.

Est-ce que nous pouvons dire qu’une manière est mieux qu’une autre ? Certainement pas. Mais, il serait tout de même intéressant de voir, dans une nouvelle étude, comment se rétablissent des personnes ayant des troubles de santé mentale à l’extérieur des organismes communautaires en santé mentale. Peut-être alors constaterions-nous des manières de se rétablir plus diverses, qui permettraient une autre forme de fierté de soi.

Peut-être aussi que nous constaterions que certaines personnes qui fréquentent des organismes ou milieux ouverts à tous se sentent beaucoup moins stigmatisées et un peu moins différentes des autres qu’elles l’auraient cru au départ. Ainsi, peut-être que ces personnes sentiraient qu’elles font plus partie de la société, comme nous l’avons vu chez certaines femmes de notre étude qui fréquentent des ressources ouvertes à tous, par exemple avec Darlène ou Cynthia. La fréquentation d’autres milieux que les groupes réservés en santé mentale serait peut-être une bonne pratique à promouvoir au sein des ressources alternatives en santé mentale et au sein de n’importe quels organismes voués exclusivement aux personnes ayant des troubles de santé mentale.

Cependant, par rapport à cela, nous pouvons nous questionner sur un aspect. Est-ce que les personnes qui l’auraient désiré auraient trouvé une place ailleurs que dans leur ressource, pour y accomplir diverses tâches d’animation et d’accueil, si elles l’avaient souhaité ? Peut-être pas. Alors peut-être que la fréquentation d’autres milieux serait une bonne chose pour y pratiquer une activité de loisirs bien précise, mais qu’elle le serait peut-être moins pour une implication plus grande. Georgette par exemple, qui faisait de l’accueil à temps plein à sa ressource, n’aurait peut-être pas trouvé la possibilité ou même l’envie de s’investir, dans un organisme ouvert à tous.

Il serait donc intéressant de faire une recherche à ce sujet avec, par exemple, un plus large groupe de personnes ayant des troubles de santé mentale divers qui fréquentent beaucoup d’organismes

ouverts à tous. Nous pourrions, par exemple, comparer les rétablissements ressentis dans ce groupe avec ceux ressentis dans un autre groupe qui fréquente exclusivement les milieux réservés à la clientèle « santé mentale ».

Dans un autre ordre d’idées, je ne peux faire autrement que de me questionner sur l’envers, quelque peu négatif, peut-être, des milieux protégés et exclusifs à une clientèle en santé mentale. Est-ce que parfois la ressource est moins un tremplin vers la vie, le monde et la société, et plus un doux cocon où s’isoler d’un monde perçu comme menaçant ? Mais d’un autre côté, cette sécurité est peut-être nécessaire à des personnes qui sont craintives et/ou particulièrement marquées par les blessures du passé et les contacts avec les autres.

Mon point est que la ressource doit rester un tremplin pour les personnes. Non pas à cause d’une limite de temps maximal à la ressource, ce genre de limites serait difficile à imposer parce que le besoin est variable d’une personne à l’autre. Nous en discutons d’ailleurs plus loin. Mais simplement parce qu’en restant un tremplin, la ressource éviterait de renforcer les craintes et les peurs des personnes60.

Parce que ce n’est pas en s’isolant de ce qui nous fait peur que nous grandissons et que nous nous épanouissons. Au contraire ! En laissant la personne s’isoler de la société en fréquentant exclusivement des ressources pour la clientèle santé mentale, nous renforçons peut-être l’idée que la société est menaçante et que les personnes aux prises avec des troubles mentaux ont une limitation de leurs capacités. Comme travailleuses sociales, cette idée est très loin de ce que nous voulons promouvoir.

Alors, il semble important de se questionner, sur ce qu’on doit faire pour que la ressource, vouée aux personnes ayant des troubles de santé mentale, reste un tremplin. Peut-être en offrant des ateliers de groupe favorisant l’ouverture au monde. Ce pourrait être des ateliers où les personnes seraient aidées dans leur recherche d’intérêts personnels et dans la recherche d’autres

60 Ce renforcement des craintes et des peurs se fait bien involontairement. C’est parce que, la personne se sentant

en sécurité à sa ressource et ayant accès à tout ce dont elle a besoin, et cela beaucoup plus qu’à l’extérieur, elle ne voudra pas prendre le risque d’aller voir ce qu’elle peut obtenir comme avantages dans des organismes ouverts à tous.

La psychologie enseigne depuis longtemps que la fuite ou l’isolement de l’objet de ses peurs et de ses phobies ne ferait que renforcer celles-ci. Et cela parce qu’automatiquement, la fuite et l’isolement lui apportent du bien-être et renforcissent, du même coup, l’idée que l’objet de ses peurs et phobies est réellement menaçant.

organismes ouverts à tous ou d’autres endroits (centres sportifs, ressources pour femmes, formations, bénévolat) où elles pourraient exercer ces nouveaux champs d’intérêt. Ainsi, la personne pourrait faire des essais, poursuivre ses passions et trouver de nouveaux champs d’intérêt61.

Du même coup, en faisant cela, nous pourrions trouver, partiellement du moins, une solution à l’obligation d’imposer une limite à la durée maximale des services offerts aux personnes. Deux ressources sur les trois où a eu lieu le recrutement pour cette recherche avaient cette obligation. C’est le prochain point discuté.

5.3.1.2. Par rapport à la durée des services

Les conceptions du rétablissement des femmes que j’ai rencontrées nous montrent l’importance, pour elles, d’avoir des moyens ou des outils pour travailler sur elles-mêmes. Les témoignages de ces femmes montrent aussi que certaines d’entre elles ont eu besoin de plusieurs années pour faire ce travail sur elles-mêmes et qu’en plus, ce travail ne se faisait pas dans un temps contigu, mais plutôt dans des périodes de temps itératives comme se fait le rétablissement. Cela laisse entrevoir des difficultés lorsqu’une ressource a l’obligation, vu le manque de moyens et le nombre de demandes d’aide62, de restreindre la durée de services de suivis individuels63. En fait, les difficultés sont là parce que, entre autres, le rétablissement semble progresser par phases itératives. Ainsi, le travail sur soi peut durer plusieurs années, en plus de se faire à coups de périodes de quelques semaines ou quelques mois, entrecoupés parfois de longues périodes de pause, nécessaires pour « souffler » ou pour « ventiler » et de périodes de crise.

De plus, il ne faut pas oublier que la personne aux prises avec des troubles mentaux n’est pas à l’abri de périodes plus difficiles. Alors si la ressource offre ces services de suivi individuel sur un maximum de cinq ans par exemple, qu’adviendra-t-il de la personne après ce délai atteint ?

61 Rappelons-nous que, dans la problématique, nous relevions l’importance de stimuler les objectifs chez les

personnes, usagères des services en santé mentale, parce qu’il était anormal de constater que c’était presque toujours les trois mêmes objectifs qui revenaient sans cesse dans les plans d’intervention. Voir notamment la page 30.

62 À ce propos, il nous faudrait voir à quel point les listes d’attentes des ressources communautaires vouées aux

personnes ayant des troubles de santé mentale débordent.

63 D’ailleurs, je sais que les deux ressources sur les trois offrant un suivi individuel aux personnes ont une limite à

Les ressources vouées aux personnes ayant des troubles de santé mentale qui offrent des suivis individuels sont prises avec un problème dont personne ne veut : celui du besoin bien réel des personnes d’avoir un « suivi thérapeutique »64 plus long. De plus, elles sont obligées de prendre des décisions très difficiles à savoir : de limiter les suivis individuels offerts.

La solution réside peut-être dans l’application d’une limite de temps, mais, peut-être que cette limite de temps devrait s’appliquer non pas à la fréquentation de la ressource, mais seulement au suivi individuel65. Et, de plus, cette limite de temps au suivi pourrait peut-être prendre en compte seulement les périodes où un suivi est vraiment donné. La personne pourrait donc accumuler ses périodes de suivi et utiliser son temps (d’une limite de x séances par exemple) seulement lors d’un besoin majeur ou lorsqu’elle fait réellement un travail sur elle-même, c’est- à-dire lorsqu’elle fait un travail intérieur comme dans le premier « mouvement de l’être » discuté par Corin et ses collègues (2011).

Bref, ce n’est sûrement pas une façon de résoudre l’ensemble du problème, mais cette solution a au moins l’avantage d’éviter une perte de repères drastiques pour les personnes qui arrivent au terme de la limite maximale appliquée.

Et si nous l’appliquons, en plus de la solution d’offrir des ateliers « d’ouverture sur le monde », comme j’en ai discuté plus haut, afin d’éviter que la personne ne s’enlise trop dans un milieu surprotecteur, alors la personne aura moins de chances de se retrouver isolée, sans aucune ressource, lorsque le délai de fréquentation de la ressource arrivera à son terme. D’ailleurs, c’est peut-être déjà ce qui arrive aujourd’hui aux personnes fréquentant des ressources qui appliquent rigoureusement une limite de temps de fréquentation de la ressource.

64 Les travailleurs sociaux font des suivis individuels et ces suivis sont à différencier d’une « thérapie ». Ce terme

est protégé et seulement utilisé par ceux qui font de la psychothérapie et qui sont membres accrédités par l’Ordre des psychologues. Les travailleurs sociaux sont parfois psychothérapeutes accrédités.

65 Une des trois ressources a d’ailleurs mis en œuvre cette manière de limiter le temps de suivi individuel afin

d’offrir le plus possible des services d’aide à des personnes qui le demandent et qui sont en attente depuis longtemps. Cette ressource a même réussi à créer un groupe pour les anciens qui ont atteint la limite de temps afin