• Aucun résultat trouvé

Le texte et le film par les figures : spectature, analyse, fantastique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 31-34)

Ayant établi le cinéma comme instrument heuristique, il nous faudra investir la question des éléments de cohésion méthodologiques entre les textes et les films : quelles sont les unités, ensembles, éléments qui structurent la relation critique de l’adaptation, pensée à partir du film, qui permettent d’en faire l’analyse ?

Nous explorerons alors les notions de figure et d’analyse figurative, d’abord pensées à partir du cinéma. Ceci parce que la figure part du principe que les éléments des films sont doués d’une certaine autonomie (ils ne proviennent pas d’une grille méthodologique extérieure), en même temps de plasticité (ils ne se réduisent pas au support filmique). C’est d’abord le recours à la théorie de la spectature qui nous aidera à qualifier plus précisément la manière dont l’analyse peut se faire : nous montrerons comment Martin Lefebvre propose d’étudier la manière dont le spectateur sémiotise le film, c’est-à-dire le comprend, lui confère du sens, l’intègre à son imaginaire et à sa mémoire, et surtout peut être impressionné par une figure50. La figure n’est pas matérielle, elle est portée par le support filmique mais ne s’y réduit pas. Les figures peuvent ainsi élaborer des séries.

Ce qui nous intéresse est que les figures filmiques peuvent ainsi éclairer, créer ou entrer en collision avec des figures textuelles, et ainsi fournir un bon moyen de penser l’interaМtion des textes et des films. Une autre raison du choix de ces instruments est que les figures procèdent Н’une analyse qui fait des éléments du film leur propre règle analytique, ce qui peut qualifier plus précisément notre démarche Н’étuНier les textes par les films. C’est ici

49 Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Ecraniques, Le film du texte. Lille, Presses universitaires de Lille, 1990.

50 Martin Lefebvre, Psycho, de la figure au musée imaginaire. Théorie et pratique de lacte de spectature, Paris, L’Harmattan, 1998.

xxxi

à l’analвse figurative, telle que décrite par Nicole Brenez, que nous recourrons51. Elle montre comment les films peuvent révéler des économies figuratives (le tout du film, ses dynamiques Н’ensemble)52, des logiques figurales ou des montages figuraux (des éléments qui créent une disjonction et peuvent donner lieu à de nouvelles dynamiques, parfois contradictoires avec l’éМonomie)53.

À l’instar de l’idée de Jacques Aumont, pour qui l’analyse filmique peut créer ses propres expériences de pensée, Nicole Brenez montre comment l’analyse filmique crée des problématisations figurales, c’est-à-dire élabore un savoir neuf sur des questions fondamentales, par exemple celle du corps54. Enfin, l’analyse figurative révèle comment toutes ces logiques, ces économies peuvent parfois s’inscrire littéralement : « Un film en effet se consacre parfois à expliciter son système figuratif, selon des modalités très diverses, en des moments de littéralisation. »55 Ceci ressemble aux propos de Christian Metz, qui distingue des « opérations figurales » dans les films, des figures statiques qui ne sont que des moments de cristallisation, d’émergence de signifiance de ces mouvements56.

Afin de faire jouer ces approches, il nous faudra montrer que l’analyse textuelle est également sujette à ce type d’analyses, possédant aussi la capacité de mettre à jour ces opérations figurales et ces figures. Pour faire jouer le jeu de l’écart imaginaire des films sur les textes, nous montrerons comment les textes peuvent déclencher des images qui sont adossées à la narration, mais qui parviennent à s’en échapper. Nous prendrons ainsi appui sur l’incipit d’un texte de Théophile Gautier, « Le Pied de Momie », en montrant comment, là aussi, la figure émerge par effets de rupture, surtout entre des séries événementielles.

Ce qui ressortira de cette réflexion sur la lecture, la spectature et les théories de la figure, est que, dans certains textes même pré-cinématographiques, une pensée du visible et de l’apparition est particulièrement à l’œuvre : l’imagicité, la projection sont autant d’outils qui peuvent saisir cette nature du texte. On verra aussi que les inscriptions littérales des procédés figuraux qui régissent une analyse textuelle ou filmique sont particulièrement

51 Nicole Brenez, De la figure en général et du corps en particulier. Linvention figurative au cinéma, op.cit.

52 Ibid., pp.12-14.

53 Ibid., pp. 13-17.

54 Ibid., p.17.

55 Ibid., p.61.

56 Christian Metz, Le Signifiant imaginaire, op.cit., p. IV.

xxxii

stimulées par des traits génériques, qui peuvent aussi révéler des éléments de pensée à propos des médiums, de la fiction. Le fantastique, décliné selon plusieurs de ses approches, fournit un modèle intéressant pour interroger la puissance du cinéma à convoquer le texte et à inscrire littéralement les relations problématiques qu’il entretient avec les textes. La théorie fantastique d’inspiration structuraliste pose ainsi le fantastique comme un problème d’énonciation, de modalisateurs, tout ce qui participe de l’indétermination, de l’ambiguïté57. Dès lors, ceci est particulièrement bien mis en demeure par un fantastique, au contraire, de l’excès et de la visibilité exacerbée (qui se pose plutôt la question de la persistance des images fantastiques, de leurs effets). On examinera aussi le lien puissant du fantastique à la modernité, qui passe par les spectres et des dispositifs d’« hanthologie », pour employer l’expression de Jacques Derrida58.

D’autres exemples de figures fantastiques interviendront comme métaphores ou au contraire inscriptions littérales de la relation problématique entre le visible et le lisible : la figure du double questionne le fondement de la relation entre le moi et le monde, le corps et le sujet, ainsi que le personnage comme horizon mental à la lecture ou pour le visionnage du film. La figure de l’automate féminin, comme locus intermedialis59, inscrit la symbiose entre désir et désir de technologie (donc par exemple, de cinéma), entre science et fiction. Le morcellement du corps témoigne d’un imaginaire mécanicien du cinéma, présent dans l’épistémographie du montage, comme le montre François Albera60.

C’est surtout l’épreuve de corpus du cinéaste Wojciech Has et des textes qu’il adapte qui montrera cette vocation du fantastique à incarner des points de passage et de rupture entre textes et films.

57 Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1977.

58 Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993 ; et « Le cinéma et ses fantômes », entretien avec Antoine de Baecque et Thierry Jousse, Les Cahiers du cinéma n°556, avril 2001.

59 Andrew Webber, « About Face: Hoffmann, Weimar Films, and the Technological Afterlife of Gothic Physiognomy », in Andrew Cusack et Barry Murnane (dir.), Popular Revenants: The German Gothic and its International Reception, 1800-2000, Rochester, Camden House, 2012, pp.161-180.

60 François Albera, « Pour une épistémographie du montage », art.cit.

xxxiii

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 31-34)