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L ’analyse figurative

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 157-160)

FANTASTIQUE, FIGURES, LECTURE

I. Lecture, spectature

I.2. L ’analyse figurative

Une autre approche doit être signalée, qui a trait à la figure et à l’analyse filmique. Il s’agit de l’analyse figurative telle que décrite par Nicole Brenez dans son essai De la figure en général et du corps en particulier439. L’objet de ce livre est moins « la » notion de figure, ou celle de spectature, mais plutôt l’analyse filmique. L’analyse figurative repose, comme la spectature, sur une approche qui ne cherche pas la réglementation terminologique. Elle s’en distingue cependant, dans la mesure où l’analyse figurative ne prend pas le parti du spectateur, l’ouverture analytique se fait à partir des films et non de la mémoire et de l’imagination du spectateur. Elle repose sur quatre principes.

D’abord, l’analyse figurative s’affranchit de l’enquête objectifiante et considère les éléments du film comme leurs propres instruments d’analyse : « il s’agit, tout autrement, de considérer les images comme acte critique et ainsi, de chercher à en déployer les puissances propres »440.

Deuxièmement, l’analyse figurative s’intéresse à l’économie figurative du film, c’est-à-dire son réseau figural, le « tout » du film, le présupposé de base étant qu’au cinéma, « tout se trouve pris dans une circulation »441. Ce ne sont pas seulement les motifs qui se répètent, mais aussi n’importe quel élément du film qui peut être pris dans une dynamique de dispersion, d’intermittence : les « maillages » entre le corps et l’individu sont serrés dans le réel, mais pas nécessairement dans un film, et ils peuvent ainsi circuler de manière autonome442.

438 Ibid. p.241.

439 Nicole Brenez, De la figure en général et du corps en partТcuХТОr. L’ТnvОntТon ПТРuratТvО au cТnéma, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 1998.

440 Ibid., p. 11.

441 Ibid., p. 12.

442 Ibid., p. 13.

Troisièmement, l’analyse figurative implique une « logique figurative ».

L’expérience du film se fait sous forme de questions, parfois « primitives », parce que l’analyse figurative peut élaborer des savoirs, par exemple sur le corps :

Comment un film prélève, suppose, élabore, donne ou soustrait-il le corps ? De quelle texture le corps filmique est-il fait (chair, ombre, projet, affect, doxa) ? Sur quelle ossature tient-il (squelette, semblance, devenir, plastiques de l’informe) ? A quel régime de visibilté est-il soumis (apparition, épiphanie, extinction, hantise, lacune)? Quels sont ses modes de manifestation plastique (clarté des contours, opacité, tactilité, transârence, intermittences, techniques mixtes) ? Par quels évènements est-il défait (l’autre, l’histoire, la déformation des contours) ? Quel genre de communauté son geste laisse-t-il entrevoir (peuple, collection, alignement du même) ? En quoi consiste véritablement son histoire (une aventure, une description, une panoplie) ? Quelle créature au fond est-il (un sujet, un organisme, un cas, un idéologème, une hypothèse)? Il s’agit de chercher, en somme, comment un film invente une logique figurative.443

L’économie figurative concerne l’ensemble du film, alors que la logique figurative en interroge certains traits seulement. Enfin, l’analyse figurative a pour objet l’élément qui

« problématise ce dont il traite », c’est-à-dire des inscriptions figurales. Elles sont entendues par Nicole Brenez, très souvent, comme des effets de littéralisation, quand le film se consacre à expliciter son système figuratif. Par exemple, dans son investigation sur le corps chez John Woo et Rosselini ; ces effets sont par exemples les figurines (dans Les Fioretti) et le spectre (dans Meurtre d’un Bookmaker chinois)444.

C’est surtout le deuxième principe qui nous intéresse, car Nicole Brenez appelle aussi l’économie figurative le « montage figural ». Cette association des notions de figure et de montage nous apparaît particulièrement pertinente en tant qu’elle présente un élément d’articulation entre le montage comme réécriture et la notion d’analyse filmique liée à la figure. Le montage figural est un réseau, un ensemble —puisqu’une économie figurative — mais surtout, il repose sur le mode de la dissemblance cinématographique.

Au sein de la dynamique générale du film, des choses se redécoupent, d’autres lignes se tracent, selon parfois d’autres logiques, éventuellement contradictoires ou incompatibles avec celles que le film semble suivre445. Le montage figural instaure d’autres regroupements, au sein d’une logique d’« identité »446.

443 Ibid., p. 14.

444 Ibid., p. 61.

445 Ibid., p. 50.

446 Ibid., p. 55.

Peut-on ainsi trouver de telles logiques figurales, des figures dans l’acte de lecture? Si la figure s’articule, dans les films, à des analyses singulières, à quel niveau et de quel type d’analyse la figure peut provenir ? La notion de spectature s’est en partie modelée sur celles de la lecture : les processus qui régissent l’acte de spectature sont

« adoptés et adaptés » des processus décrits par Gilles Thérien sur l’acte de lecture447. La spectature est la mise en place d’une interface entre un sujet-spectateur et un film-objet-du-monde, pour reprendre une expression de Gilles Thérien448.

Il ne s’agit pas de déclarer l’évidence de l’analogie entre l’analyse des films et celle des textes : nous avons vu avec Marie-Claire Ropars que l’analyse textuelle se fait dans le morcellement, alors que l’analyse du film considére la verticalité de l’image animée. Mais afin de voir comment le film « nourrit » la lecture du texte, il faut découvrir ce qui, dans la lecture, peut être activé : les figures, qui sont de l’ordre des images du lecteur pour Gilles Thérien449. En analysant le début du roman de Pascal Quignard, Tous les matins du monde, la lecture tente de reconstituer des réseaux d’images orphiques de la descente aux Enfers. L’image, dans la lecture, est à envisager dans le sens antique du locus, la tablette de cire et les signes qui y sont inscrits, métaphore que la rhétorique utilise : on crée des images pour se souvenir et parce qu’on se souvient. La mémoire est liée à l’imagination et est un principe organisateur du savoir.

Gilles Thérien analyse d’autres textes (un extrait de l’Antiphonaire d’Hubert Aquin, un autre des Fous de Bassan d’Anne Hébert) et tente de découvrir comment le personnage s’incarne dans l’horizon mental du lecteur. Gilles Thérien, en comparant ces incarnations de personnage avec celles construites par les films (par exemple l’adaptation cinématographique de Tous les matins du monde par Alain Corneau), conclut que si, parfois, la figure de personnage dans la lecture propose un « horizon instable », à construire — parce que le personnage n’est pas caractérisé, il est pure énonciation — il n’en va pas de même pour les films, puisque les personnages sont toujours déjà donnés.

Ces deux exemples montrent que le statut du personnage est cognitif et pas seulement

447 Martin Lefebvre, Psycho, op.cit., p. 29.

448 Ibid., p. 25.

449 Gilles Thérien, « Les images sous les mots », in Bertrand Gervais et Rachel Bouvet (dir), Théories et pratiques de la lecture, op.cit., p. 208.

diégétique, car il agit comme une instance de médiation entre l’univers du texte et celui du lecteur.

Cependant, on pourrait envisager les choses de manière inversée, en voyant comment les films impressionnent et laissent des traces plus profondes sur le spectateur, quand le travail de construction opéré à la lecture fait des figures des lieux essentiellement diégétiques. Afin de dégager la voie d’accès de la figure dans le texte littéraire et sa lecture, pour ensuite la mesurer à l’aune d’une pensée sur l’analyse figurative au cinéma, nous proposons de voir comment les réseaux figuraux, dans l’acte de lecture, n’ont pas seulement trait à la séquence narrative, mais aussi à des catégories qui s’apparentent à celles de l’analyse figurative telle que décrite par Nicole Brenez. En effet, les catégories de l’événement sont à même de saisir ce qui, à la lecture, relève d’une économie et d’une logique figurative. On verra aussi comment la mémoire et l’imagination opèrent à la lecture.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 157-160)