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Les figures dans le texte

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 160-169)

FANTASTIQUE, FIGURES, LECTURE

I. Lecture, spectature

I.3. Les figures dans le texte

Prenons un exemple de ce type de lecture à partir de l’analyse d’un texte. Il s’agit de l’incipit d’une nouvelle de Théophile Gautier, « Le Pied de momie »450. Attentive aux images, aux codes d’action ou encore aux présupposés de lecture, cette analyse veut rendre compte, de manière réflexive, des procès ayant cours pendant l’acte de lecture, en montrant comment les figures relèvent en grande partie, dans le cas présent, de la séquence narrative, mais sans s’y réduire : elles surgissent de la lecture par des effets de narration, mais ce sont des glissements de sens qui leur confèrent leur véritable statut de figure. L’utilisation des catégories deleuziennes du sens et de l’évènement peut permettre de saisir ce mouvement. Le récit de Théophile Gautier commence par l’introductiond’un je parlant :

J’étais entré par désœuvrement chez un de ces marchands de curiosités dits marchands de bric-à-brac dans l’argot parisien, si parfaitement inintelligible pour le reste de la France.451

450 Théophile Gautier, « Le Pied de Momie » (1840), in Récits fantastiques, Chronologie, introduction et notes de Marc Eigeldinger, Paris, GF Garnier Flammarion,1981, pp.177-193.

451 Théophile Gautier, « Le Pied de Momie », op.cit., p.179. Désormais nous noterons la référence au texte de Gautier dans le corps du texte, après la citation et comme suit : (PdM, 179).

Le narrateur est d’emblée attribué à un « je » masculin, que l’on suppose fictif. Pour l’instant, rien d’autre ne caractérise davantage le personnage. Pourtant, un horizon d’attente pré-existe au texte de Gautier. A moins que l’acte de lecture intervienne dans un cas très spécifique de méconnaissance de toute information paratextuelle452, il existe de très fortes chances pour que le lecteur ait connaissance de plusieurs éléments précédant sa lecture. « Le Pied de momie » sera ainsi lu comme inséré matériellement dans des

452 Ce peut шtre le Мas lors Н’une épreuve aМaНémique, sМolaire ou universitaire, se Нéroulant Нans une sorte Нe traНition

« ultra structuraliste » sans inНiМation Н’auteur ni Нe Нate. Il в a bien sûr le leМteur Нe 1840, НéМouvrant la nouvelle Нe Gautier dans son support original, celui du journal Le musée des familles. Mais ce lecteur est bien évidemment mort.

L’on peut enМore imaginer un leМteur trчs peu familier Нe la littérature européenne, Нu genre Нe la nouvelle ou Нu fantastique : mais même ce lecteur a-t-il au moins probablement un contact, si ténu soit-il, aveМ le Мinéma Н’inspiration fantastique, ou bien des adaptations de romans européens, etc.

453 La place du « Pied de momie » au sein de ces éditions joue également son rôle, puisque celles-ci suivent pour la plupart l’orНre Мhronologique Нes publiМations Нe l’auteur. Datée Нe 1840, « Le PieН Нe momie » n’est ni la premiчre ni la Нerniчre nouvelle Нe l’auteur. źlle se retrouve НonМ р peu prчs au milieu. Ajoutons enМore une dernière donnée : « Le PieН Нe momie » n’est Мertainement pas la nouvelle la plus Мélчbre ni la plus originale Нe Gautier. Contrairement à « La Morte amoureuse » (1836, in Récits fantastiques, op.cit., pp. 117-150) ou à « La Cafetière » (1831 in ibid, pp. 55-64), ce récit est rarement donné à titre exemplaire ou distribué singulièrement.

454 Parfois, ce je du personnage se confond avec celui de l’auteur Ś М’est le Мas Нe « La Pipe Н’opium » (1838, in Ibid., pp.153-162) ou du « Club des hachichins » (1846, in Ibid., pp.211-234), Нans lesquels М’est l’expérienМe personnelle Нe Théophile żautier qui est relatée. Mais Мette aНéquation entre le narrateur et l’auteur est р Мhaque fois signalée, sur le mode du pacte autobiographique.

455 Notons au passage que nous sommes passés de la notion de narrateur à celle de personnage, ce qui soulève un certain nombre de problèmes théoriques. La caractérisation du personnage dans les récits demeure problématique dans les approches structuralistes. En effet, soit celles-ci privilégient les conditions Н’émergenМe Нe la narration (statut diégétique du personnage, points de vue), soit tentent de définir le personnage par ses caractéristiques formelles : ainsi des catégories de personnages définies par Philippe Hamon à partir des catégories de signes (comme les « personnages-embrayeurs »). Rarement les Нeux se reМoupent Ś pourtant, Нans le tвpe Нe réМit que l’on étuНie iМi, la relative absenМe Нe МaraМtéristiques Нu personnage en mшme temps qu’une Мertaine intuition Нe la part Нu leМteur quant р son mode Н’existenМe fait problчme. Voir Philippe Hamon, Le Personnel du roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d'Émile Zola, Genève, Droz, coll. « Titre courant », 1998.

Le cadre spatial est bien celui de la capitale française (« dans l’argot parisien ») et le personnage est bien le type social déjà rencontré (« par désœuvrement »), indicateur de cette oisiveté caractéristique du flâneur.

Le deuxième paragraphe s’ouvre sur un « vous », pronom dont l’apparition intervient juste après une formule d’exclusion :

J’étais entré par désœuvrement chez un de ces marchands de curiosités dits marchands de bric-à-brac dans l’argot parisien, si parfaitement inintelligible pour le reste de la France.

Vous avez sans doute jeté l’œil, à travers le carreau, dans quelques-unes de ces boutiques devenues si nombreuses depuis qu’il est de mode d’acheter des meubles anciens, et que le moindre agent de change se croit obligé d’avoir sa chambre Moyen Age. (PdM, 179)

Cinq paragraphes vont ensuite dresser la description du lieu, d’emblée clôturé puisqu’aucun extérieur ne lui a été opposé. Les images sous les mots jouent à plein leur rôle puisque que le lecteur a été métaphoriquement invité à regarder ce qui se passe dans la boutique en franchissant le « carreau ». Le locus est caractérisé par deux données majeures : l’accumulation et l’hybridation. Plusieurs dizaines de noms communs désignant des objets sont ainsi quasiment juxtaposés : lampe étrusque- armoire de Boule- sculptures- armure damasquinée- amours-nymphes-magots- cornets- tasses- plats- émaux- lampas- brocatelle- portraits (PdM, 179). L’excès relève aussi d’une indistinction, d’un entremêlement entre le support et l’objet supporté ou bien entre le contenant et le contenu, comme dans les propositions suivantes :

Une lampe étrusque de terre rouge posait sur une armoire de Boule […] (PdM, 179) Une duchesse du temps de Louis XV allongeait nonchalamment ses pieds de biche sous une épaisse table du règne de Louis XIII […] (PdM, 179-180)

Des tasses de Saxe et de vieux Sèvres encombraient les étagères et les encoignures […]

(PdM, 180)

Ou encore dans une indistinction entre l’objet et ses attributs :

Une épaisse table du règne de Louis XIII, aux lourdes spirales de bois de chêne, aux sculptures entremêlées de feuillages et de chimères […] (PdM, 179-180)

La surcharge est également lisible par les termes indiquant la profusion et le nombre presque illimité (bric-à-brac, Capharnaüm, des flots, des cascades), plusieurs occurrences de l’adjectif « tout » ou encore les nombreux adjectifs indiquant la taille ou

la densité (épaisse, immenses). Telle est la manière dont se présente, de façon immédiatement repérable, un code de surcharge.

Le deuxième est celui d’une hybridation, également excessive. Présent par les segments « à la fois », « tout », « tous », « toutes » reliés à des noms ou groupes nominaux sémantiquement différents :

C’est quelque chose qui tient à la fois de la boutique du ferrailleur, du magasin du tapissier, du laboratoire de l’alchimiste et de l’atelier du peintre […] (PdM, 179)

L’hybridation est donc spatiale et sociale, mais aussi temporelle, faisant fusionner les époques, les lieux et les civilisations. Ici encore, c’est le procédé général d’énumération qui guide le procès, que l’on peut dérouler de manière suivante, en ce qui concerne par exemple la civilisation : étrusque-Louis XV-Louis XIII-Milan-Chine-Japon, mentions auxquelles s’ajoutent des connotations plus indirectes comme « amours et nymphes » ou bien « céladon », renvoyant éventuellement à l’antiquité ou plutôt à sa représentation baroque. Les termes ici juxtaposés sont donc moins de l’ordre d’un véritable renvoi à telle ou telle époque, mais plutôt à leur imaginaire, témoignant d’une appropriation plus ou moins maniériste de l’histoire des arts.

Cette façon de faire voir au lecteur un espace-temps particulier en deux codes éclaire la notion de signifiance que Roland Barthes discute dans « L’effet de réel », à propos de la description. Barthes appelle ainsi « notations insignifiantes456» les détails qui semblent a priori superflus, soustraits de la structure sémiotique du récit, les « détails inutiles ».

Ici, certains éléments de la description peuvent apparaître comme insignifiants à plusieurs titres. Si les termes des deux codes dégagés apparaissent comme extrêmement signifiants, faisant voir pleinement l’image, dans une description presque ekphrastique, d’autres sont à l’inverse beaucoup plus obscurs, reposant sur des tournures énigmatiques :

Une armure damasquinée […] des cornets de céladon et de craquelé […] tablettes denticulées des dressoirs (PdM, 180)

456 Roland Barthes, « L’effet Нe réel », in Littérature et réalité, op.cit., p. 82.

La signifiance est ici plus ambiguë, parce que l’objet ou la chose ne trouvent pas d’écho visuel immédiat chez le lecteur. Dans le cadre d’une analyse structurale, l’herméneute se posera alors la question de savoir si « tout » — dans la description de Gautier — est à interpréter. Dans le cadre d’un acte de lecture comme lecture-en-progression, cette question est de moindre importance par rapport à l’effet de curiosité ou d’étrangeté produit, sur lequel nous voulons nous arrêter.

La présence passe du côté de l’action. En effet, le mode de présentation des objets est d’abord celui d’un « il y a » vers celui d’objets agissants par le passage de la stase (allongeait-posait-encombraient, PdM, 180) au dynamisme (rayonnaient-souriaient, PdM, 180) : les objets s’animent déjà.

La mémoire commence peu à peu à élaborer des associations, comme celle d’un sabbat des objets présent dans de nombreux récits fantastiques457. Une ébauche de figure se fait par l’émergence de l’objet singulier : la présentation du bric-à-brac a pour but de faire émerger un objet. L’objet diégétique attendu connaît déjà ici ses conditions d’existence, celles du magasin d’antiquités. Le même ressort intervient dans La peau de chagrin de Balzac, « Le portrait » de Gogol ou dans « Omphale » de Gautier458. L’objet changera l’existence du personnage, l’objet sera probablement surnaturel et affectera non seulement l’« ethos » du narrateur, mais également la « scénographie » de l’œuvre459.

La compréhension de la notion de figure se fait si l’on fait apparaître clairement la manière dont le sens se produit, à partir de séries signifiantes que l’on commence à dégager. Ces séries se construisent à partir de certains stéréotypes du fantastique et de la nouvelle, que Camille Dumoulié, dans un essai sur la nouvelle fantastique, caractérise comme séries, à partir des notions amenées par Gilles Deleuze460. Dans Logique du sens,

457 Voire Théophile Gautier, « La Cafetière » (1831), in op.cit.

458 Honoré de Balzac, La Peau de chagrin (1831), Paris, Gallimard, coll. « Folio classiques », 2006 ; а а ь ь (Nicolas Gogol), « П (Le Portrait) » (1835), in Nouvelles de Pétersbourg, trad. du russe par Gustave Aucouturier, Sylvie Luneau et Henri Mongault. Préface de Georges Nivat, Paris, Gallimard, coll. « Folio classiques », 1998 ; Théophile Gautier, « Omphale » (1834), in Récits fantastiques, op.cit., pp. 103-113.

459 Dans le sens Нe l’énonМiation que l’œuvre se Нonne elle-mшme (Мatégories Н’analвse Нe НisМours Нonnées par Dominique Mainguenau dans Nouvelles tendances en analyse du discours, Paris, Hachette, 1988, p. 29).

460 Camille Dumoulié, Cet obscur objet de désir, Essai sur les amours fantastiques, Paris, L’Harmattan, 1995.

Deleuze propose les séries et leurs points de contact comme concepts d’articulation de la catégorie d’évènement : « L’événements est conte ou nouvelle, jamais actualité. C’est en ce sens que les événements sont des signes. »461 Ce n’est pas en tant que simple accident que l’évènement se comprend : il envoie aux propositions « ce qui arrive », ce qui « nous fait signe » dans ce qui se produit.

La surprise, la mise en crise du réel, sont autant de manières classiques de caractériser le fantastique (« une déchirure, une irruption insolite » pour Roger Caillois462) qui renvoient aussi à son corollaire : l’irruption se fait dans un univers réglé, répétitif. La notion d’événement permet de concilier ces deux pôles, en qualifiant son point de rencontre entre les deux. La nouvelle semble avoir été un des genres privilégiés du fantastique : sans doute parce que l’époque romantique, qui a vu le fantastique s’épanouir, a accordé beaucoup d’importance à la forme courte (aphorisme, conte, nouvelle), comme en témoigne l’intérêt de Goethe et Novalis pour l’esthétique du fragment et pour le Witz. Mais c’est aussi en raison d’un lien privilégié de la nouvelle à la catégorie d’événement :

L’essence de la nouvelle comme genre littéraire, n’est pas très difficile à déterminer : il y a nouvelle lorsque tout est organisé autour de la question : « Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? » Le conte est le contraire de la nouvelle, parce qu’il tient le lecteur haletant sous une toute autre question : qu’est-ce qui va se passer ?463

L’événement survient par la coexistence de deux séries : lune est personnelle (l’énoncé, l’anecdote, personnages) et l’autre impersonnelle (émergence des singularités, anonymes, nomades), formant « le champ transcendantal de l’événement »464 selon Deleuze). La touche est le point de rencontre et de résonance entre deux séries. Avec la touche, un mot semble manquer ou venir en excès, ce que Deleuze appelle un signifiant flottant. Les signifiants sont flottés également : les objets sont à la fois un et non coïncidant avec eux-mêmes. Deleuze se réfère à l’analyse que fait Lacan de la nouvelle d’Edgar Poe, « La Lettre volée » : dans ce récit, il y a deux séries signifiantes. La première est constituée par

461 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p.79.

462 Roger Caillois, Préface à Anthologie du fantastique, t.I, Paris, NRF Gallimard, 1966, p.8.

463 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 235.

464 Gilles Deleuze, Logique du sens, op.cit., p.79.

le roi, la reine et le ministre. Le roi ne voit pas la lettre compromettante reçue par sa femme, la reine est soulagée de l’avoir cachée, et le ministre s’empare de la lettre. La deuxième série est celle constiuée par la police, le ministre qui a caché la lettre et Dupin qui voit la lettre et comprend tout465. De même, Deleuze dégage des séries chez James Joyce dans Żinnegan’s Wake et chez Witold Gombrowicz dans Cosmos466. Puis il fait trois remarques sur le fonctionnement de ces séries.

Tout d’abord, les termes de chaque série sont en déplacement relatif par rapport à ceux de l’autre (le ministre dans les deux séries de Poe), ce qui créé toujours un déséquilibre d’une série par rapport à une autre, « un décalage essentiel »467. Deuxièmement, ce déséquilibre détermine un surplus : une série est toujours en excès sur l’autre. Enfin, ce surplus est généré par une instance « très spéciale et paradoxale qui ne se laisse réduire à aucun terme des séries, à aucun rapport entre ces termes »468. Chez Edgar Poe, il s’agit de la lettre. L’instance paradoxale est donc une instance à double face, « à la fois mot et chose, nom et objet, sens et désigné, expression et désignation, etc. »469. Par ces différents aspects, on peut rattacher cette description de l’instance paradoxale à la figure.

Les termes que nous avons relevés participent de l’instauration de ces séries, créant de multiples figures potentielles. La suite du texte esquisse la figure de manière plus nette encore : la description affecte désormais le marchand. Là aussi, le pouvoir imaginal du lecteur le rattache à l’inquiétant antiquaire que l’on trouve chez Balzac, Hoffmann, Gogol ou encore Stevenson470.

La rencontre avec l’objet intervient en effet, assez classiquement, au sein d’une même phrase qui subordonne la rencontre dans une relative « quand » :

465 Jacques Lacan, « Le Séminaire sur la Lettre volée » in Ecrits, Paris, Éditions du Seuil, 1966, cité par Gilles Deleuze, Logique du sens, op.cit., p. 52.

466 Gilles Deleuze, Logique du sens, op.cit., p. 53-54.

467 Ibid., p. 54.

468 Idem.

469 Ibid., p. 55.

470 Voire l’artiМle Нe Maxime Leroв, « Images Нu magasin Н’antiquités Ś DiМkens, Stevenson, James » in (Нir.) MiМhel Briand et Anne-Cécile Guilbard Autour du Tiers pictural, Thanks to Liliane Louvel, Poitiers, La Licorne, pp.89-104.

J’hésitais entre un dragon de porcelaine tout constellé de verrues, la gueule ornée de crocs et de barbelures, et un petit fétiche mexicain fort abominable, représentant au naturel le dieu Witziliputzili, quand j’aperçus un pied charmant que je pris d’abord pour un fragment de Vénus antique. (PdM, 181)

En se situant sur un plan évènementiel et intuitif de la lecture, la figure fait saisir un mécanisme à l’œuvre au sein des processus de la lecture, voulant qu’un défilement global et plus ou moins guidé par l’intérêt et le plaisir de la lecture se soucient moins de l’utilité de tel ou tel détail ponctuel, que de leur participation à une série événementielle qui doit déboucher sur une rupture.

La notion de touche éclaire ici la vocation de la figure à intervenir comme fragment événementiel. Le paradoxe réside dans l’aspect étrange, incongru —un pied, partie peu noble, de momie— et, en même temps, dans l’aspect attendu de ce caractère étrange : comme la peau de chagrin, l’objet est insolite et repose sur une poétique de la fragmentation du corps471. La figure se lie donc au plaisir de l’indétermination, qui appartient lui-même à la lecture progressive, à une forme de jouissance du texte à visée non rationalisante. Elle apparaît dans la reconnaissance d’un sens, donné par une mise en relation de segments qui se fait sur le mode du choc entre des séries événementielles.

Mais ce que le fantastique exacerbe particulièrement, c’est que le sens jaillit presque uniquement de cet effet de choc, puisque l’objet en lui-même n’a souvent pas d’existence dans le réel (un vampire, un loup-garou), ni de charge surnaturelle évidente (en soi, un pied n’est pas forcément fantastique).

Il en va ainsi de la figure du pied dans la nouvelle de Gautier : un jeune homme désœuvré surgit dans une boutique étrange, y est entouré de bric-à-brac insolite, dans laquelle le marchand apparaît comme gardien énigmatique de l’insolite - et où un objet singulier va venir perturber définitivement l’existence du personnage. S’agissant d’un morceau de corps, l’objet va par la suite s’animer et créer une frayeur chez le personnage.

A partir de là, la mise en signe va varier d’une mémoire à l’autre et va activer certains pans de l’imaginaire, selon la connaissance que l’on a du genre, des intertextes, mais aussi selon ses images personnelles. On peut faire de ce fragment cohérent une

471 Voire Deborah A. Harter, Bodes in Pieces. Fantastic Narrative and the Poetics of the Fragment, Stanford University Press, 1996.

figure sexualisée, si on décide d’intégrer à cette ébauche tous les éléments érotisés de la suite du récit : la figure devient dès lors celle de l’objet fétichiste morbide, ici le pied, semblable à « la cafetière », aux bijoux dans « Arria Marcella » ou au nez de Gogol. On peut aussi en faire une figure métonymique de l’existence individuelle, si on prélève les fragments qui répondent à la dimension statuaire du pied de momie ainsi que sa capacité de suspendre la vie du héros : la figure sera alors celle de la peau qui rétrécit de La peau de chagrin, du portrait ou du manteau de Gogol. Catégorie de l’attention, point de contact, fragment imaginaire, la figure peut apparaître comme l’un de ces éléments mis au jour par une acception roparienne du montage et non pas seulement pour la raison de leur affiliation commune à la Traumdeutung. Figure et montage échappent au déterminisme médiatique et supposent une mise en marche active du récepteur, que cette activité ait lieu dans les méandres de la mémoire ou dans l’immédiateté de la relation matérielle à l’objet artistique. Il s’agit cependant bien de voir que le montage est producteur de figures, mais en même temps, il n’est pas le substrat de ces figures.

En effet, si la figure s’incarne particulièrement dans le fantastique, en ce que

En effet, si la figure s’incarne particulièrement dans le fantastique, en ce que

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