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3. L ES PROBLÈMES RENCONTRÉS ET POINTS À AMÉLIORER

1.1 Dépasser la perception « intemporelle » d’un genre

1.1.4 Un texte assonancé

Attirer l’attention des élèves sur la version en ancien français, permet de faire remarquer que les rimes à la fin des octosyllabes ne sont pas respectées dans la traduction en français moderne. Comment ont pu être utilisées ces rimes ? A quels effets ? L’étude de ces phénomènes d’écriture réinvestit des apprentissages enclenchés lors de l’objet d’étude sur la poésie. La rime plate de « curage » / « furmage » est celle qu’une élève relève car le rapprochement de ces deux mots souligne pour elle que le courage du renard est comparé à la grosseur du fromage, c’est-à- dire au reflet de la lune. Je la félicite de cette tentative, mais lui indique que « le curage » ici signifie le désir, la pensée239. Alors, elle me rétorque que c’est peut-être son désir qui est aussi

gros que la lune ! Je réponds, qu’effectivement, la rime qui rapproche ces deux mots ne les rapproche pas par hasard et que cela souligne l’énormité de son illusion : ce que ne retransmet pas vraiment la traduction en français moderne. Je leur fais remarquer que le mot « veü » apparaissait encore deux vers en dessous, que cela était à rapprocher du verbe « reguarda » : champ lexical de la vue. Mais le hiatus eü –prononcé [ø] en ancien français– n’apparaissait-il pas ailleurs ? C’est alors, qu’une élève découvre l’assonance en u –[y]– traversant tous les vers : « gupil », « une », « sur », « une », « lune », « fu », « curage », « furmage », « fust » et « furmage » : deux répétitions assonancées par vers, sur les douze premiers. Puis, « veü » (2

238 Ces différentes informations sont tirées de l’article d’H. Maurel-Indart, « Le plagiat littéraire : une contradiction

en soi ? », L'information littéraire, 2008/3 (Vol. 60), p. 55-61. URL :<https://www.cairn.info/revue-l-information- litteraire-2008-3-page-55.htm> (Consulté en 2018)

occurrences), « peüst », « beü » en diagonale du texte ; le son [a] prenant ensuite le relais (3 occurrences par distique dès le quatrième). Ces assonances rythment et scandent tout le poème, lui conférant une musicalité propre à la textualité médiévale.

Il est à noter que cette assonance en u est un point problématique240 : la lettre u dans le

texte en anglo-normand ne correspond pas toujours au son [y]… Je n’ai pas tenu compte de cette réalité devant les élèves, l’ignorant moi-même. Il peut cependant être intéressant de soulever ce problème avec les élèves la prochaine fois, dans la mesure où il pose d’emblée certains problèmes liés à la réception du texte médiéval. A l’opposition oral/écrit se substituent les oppositions concrètes oreille/œil et ouïr/lire (P. Zumthor241), car plus que dans son mode de

constitution, c’est dans l’acte de perception d’un texte que peuvent se distinguer les caractéristiques de l’oralité. Ce problème posé par l’anglo-normand illustre cette complexité qui peut intervenir pour certains textes, dans le contexte d’un plurilinguisme, qui ne s’intègre aucunement à l’enseignement des lettres en classe de Seconde. Au-delà du fait, que ces informations appartiennent à des débats de spécialistes, et que ces variantes dialectales touchent surtout à la prononciation, l’existence de cet anglo-normand, « ce faus franceis »242 ne

peut-il servir à évoquer l’histoire de la place du français, langue vernaculaire parlée spontanément par la noblesse, acquérant le statut de langue officielle, face au vil anglais des laboratores et au latin des oratores, dans la France et l’Angleterre du XIIème siècle (L. Christopher243) ? Mais ces informations relèvent de la seule culture générale, et ne s’intègrent en

aucun cas à cette « culture commune » qu’évoque les programmes.

Revenons à notre fable. Les répétitions lexicales, elles furent également relevées, et sans poser là grand problème : « sun deduit/sun curage/sun penser », « mare » (2 occurrences), « ewe » (3 occurrences), et « furmage » (2 occurrences) : soit 4 répétitions lexicales réparties sur douze vers. Bref, les rimes et le lexique permettaient de structurer le texte par des répétitions, apportant une certaine musicalité.

240 Point souligné par Mme de Rochelois, maître de conférences à l’UPPA, directrice de recherche pour ce mémoire. 241 P. Zumthor, La lettre et la voix, op. cit., p.24.

242 Expression employée par la nonne de Barking, rappelée par L. Christopher, « Le beau français d’Angleterre.

: 56, §4. URL - 35 68), p. , 2015/1 (n° Médiévales », normand et invention du bon usage -

Altérité de l’anglo

<https://www.cairn.info/revue-medievales-2015-1-page-35.htm> (Consulté en 2018)

Parfois surprenante pour le lecteur moderne, la densité des répétitions alimente l’émotion dramatique mais également l’émotion esthétique. Car le dispositif répétitif joue évidemment de la fonction poétique du langage. Redire le mot permet de s’en imprégner, prolonger sa saveur à l’affût d’arrière-goûts subtils et finalement renouer avec le ravissement – peut-être enfantin ? – d’un rapport magique à la parole : le texte se fait délectable, et dans les délices partagés des mots

et des échos se rejoignent les univers séparés d’un conteur et de son lecteur-auditeur 244.

De cet usage de la répétition, les élèves peuvent saisir « l’effet d’intensification »245 créé dans ce

récit bref : certaines répétitions de mots scandent le discours, soulignent et rythment la fable. Cette approche prosodique sur un texte en ancien français relativement abordable, présente le mérite de fixer des techniques d’analyse, de façon remarquable pour les élèves me semble-t-il, le caractère saillant relavant de l’intercompréhension, encore une fois246. L’étude menée en ancien

français, d’un abord simple dans cette fable, révèle ses bienfaits non pas dans la compréhension d’une langue ici, mais dans l’approche des techniques prosodiques.

1.2 Comparaison du Renard et le reflet de la lune avec La Femme et son amant