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L E QUESTIONNAIRE DE P ROUST PROPOSÉ LE JOUR DE LA RENTRÉE

Le 1er jour de la rentrée en septembre –mon congé maternité commença le soir même–

je leur fis remplir un petit questionnaire à la manière de Proust, qui visait à dévoiler leurs goûts et leurs aspirations. Les questions portaient sur les items suivants (Annexes VI) :

1. Votre activité préférée

2. Le métier que vous aimeriez exercer 3. Le genre de musique que vous préférez

4. Votre héros/héroïne préféré(e) repérée au cours de votre vie, dans des livres, dans des films ou dans l’Histoire

5. Votre qualité préférée tenue par le personnage principal d’un livre, d’un film, d’un jeu…

6. Ce qu’il faut à un livre pour qu’il vous plaise 7. Votre livre ou auteur favori

8. Le livre étudié au collège, que vous avez préféré 9. Celui que vous avez détesté

10. En quelques lignes, dites comment vous définiriez votre monde intime ? Quelles sont les choses, les personnes qui vous aident à le construire ?

Sans passer trop de temps au commentaire des 57 réponses récoltées, nous analyserons les réponses au travers de ce qu’elles révèlent du rapport de ces adolescents au monde du livre, et à l’imaginaire. D’emblée, ce qui frappe sont les nombreuses mentions explicites « je ne lis pas » et « je n’aime pas lire » : aucun élève n’a donc mentionné la lecture comme activité favorite ! Le sport est le plus plébiscité, « rester avec sa famille » et la musique viennent ensuite, l’informatique et les jeux vidéo occupent quant à eux la 4ème

position ; la cuisine et « s’occuper des enfants » apparaissent pour de nombreuses filles. Deux mentions seulement évoquent la lecture (« j’aime lire » et « lire des mangas ») comme activité de prédilection.

Leurs héros et héroïnes appartiennent dans une large majorité à leur monde familial et très réel (« mon père », « mon grand-père » en grande proportion) ou aux films américains

de la série Marvel (filles et garçons confondus) ; viennent ensuite les personnages des séries ou films pour adolescents, parmi lesquels apparaissent le plus souvent – ce qui mérite d’être noté pour leur rapport avec la culture médiévale–, Game of throne et Harry Potter. Les filles ont souvent cité l’héroïne de Nos étoiles contraires, film relatant l’histoire d’une adolescente malade et vivant un amour passionné et tragique. Aucun héros ne provient de lecture de livre (!), à part le personnage de manga Dragon Ball. Notons que De Gaulle apparait deux fois, et Simone Weil est citée une fois, à côté de Churchill, rappelant l’ancrage de ces élèves dans la réalité historique.

Parler des livres semble difficile : beaucoup n’ont pas répondu à la question 6 (sur les qualités attendues d’un livre), ou ont tout bonnement détourné la question, en faisant référence aux films. Quant aux autres questions concernant les livres (questions 7 à 9), de très nombreuses fois, les réponses sont « j’aime pas lire », ou « je ne me souviens pas » ou « je ne lis pas ». Deux élèves signalent n’avoir pas beaucoup lu au collège ou ne pas avoir beaucoup aimé de livres au collège, et un avoue n’avoir lu qu’un livre ces quatre dernières années (Voir annexe VI, copie 2). Nos beaux classiques du XVIIème siècle et de l’Antiquité occupent la place d’honneur comme livre honni : en tête Le Cid, puis Antigone. Ceux de 14, Vendredi ou la vie sauvage, Les Misérables, L’Odyssée et Croc Blanc sont également cités plusieurs fois. Deux élèves citent « le chevalier de la table ronde » et Perceval, mais chose étrange, souvent les élèves semblent confondre les questions 8 et 9 sur la lecture qu’ils ont détesté et préféré, mettant toute l’importance non pas dans ce qu’ils ont pensé du livre mais dans le fait de pouvoir se souvenir, et retrouver le titre d’au moins un ouvrage. Parmi les lectures scolaires dont certains ont gardé un très bon souvenir, Le Horla est plusieurs fois plébiscité avec Cyrano de Bergerac, et Tristan et Iseut semble avoir ravi deux élèves !

Concernant les lecteurs somme toute affirmés, la littérature contemporaine pour adolescents apparait comme la grande favorite : No et Moi147, Nos étoiles contraires148 dont

ils ont su transcrire le nom de l’auteur John Green, Harry Potter dont la plupart ont

147 No et moi est un roman de Delphine de Vigan, paru chez Jacob-Duvernet (FG), en livre de poche, en 2007, et

a obtenu le Prix des Librairies en 2008. Une adaptation cinématographique a été réalisée par Zabou Breitman, en 2010.

148 Nos étoiles contraires est un roman américain de John Green, datant de 2012, paru chez Dutton. Le film

réalisé par John Boone a été réalisé en 2014, avec comme tête d’affiche l’actrice à succès Shailene Woodley, célèbre pour avoir joué dans la saga Divergente.

également su citer le nom de l’auteur H.K. Rowling, La Vague149, « les tomes de Game of

throne ». Toutes ces lectures qui ont réussi à entretenir l’intérêt de plusieurs élèves sont à mettre en rapport avec l’adaptation cinématographique qui semble définitivement avoir provoqué l’envie de lire chez eux. Une autre élève révélant également son statut de réelle lectrice, a cité la saga littéraire érotique After et ses « 5 tomes d’Anna Todd ».

Ce qui est encourageant, c’est qu’il ressort nettement que parmi ces Secondes se comptent de réels lecteurs, capables de citer un auteur et intégralement le titre de l’ouvrage150…et que ces derniers sont bel et bien la majorité ! Les 20 élèves qui ont inscrit

qu’ils n’aimaient pas lire ou qu’ils ne lisaient pas ne représentent en fait qu’un tiers seulement des élèves. Mieux, seuls 2 écrivent qu’ils « ne lisent jamais », 4 qui « ne lisent pas », 2 qui « ne lisent pas souvent », et 12 qui « n’aiment pas lire » (dont deux qui pourtant savent parler de lectures personnelles !) ou qui « détestent lire ». Par ailleurs, même parmi ces récalcitrants, seuls 5 se sont montrés réellement incapables de citer le titre d’un ouvrage, tous les autres en ont cité au moins un, ce qui fait d’eux des lecteurs que nous dirons malgré tout potentiels, puisqu’ils gardent la mémoire précise de leur lecture.

Pour tous ceux qui ont su déterminer ce qui leur plait dans un livre151, « le

suspense », « l’aventure », « le fantastique », « le policier », les amours « romantiques » pour les filles, « les bandes dessinées » et « les mangas » sont les caractéristiques de genre qui reviennent le plus souvent. Un élève a déclaré officiellement sa préférence pour « l’époque médiévale » (voir annexe VI, copie 1). Mais un fait notable est à souligner à travers les mentions nombreuses faites au « réel » (cité 2 fois) et au « vrai » (cité 2 fois), à la « normalité » (citée une fois). Ce besoin d’ancrage dans la réalité, qui pouvait déjà se noter dans l’importance des héros choisis parmi les membres de la famille, et dans le succès des romans typiquement adolescents et réalistes (Nos étoiles contraires, La Vague, No et moi) semble en revanche en totale contradiction avec l’important plébiscite accordé aux héros Marvel. Ne pourrait-on ici résoudre cet antagonisme en y percevant le besoin fort d’identification fonctionnant autant avec les super-héros que d’autres héros plus réalistes,

149 La vague est un roman américain de Tod Stresser, datant de 1981 ; son adaptation cinématographique en

Allemagne, par Dennis Gansel date de 2009.

150 Ce fait est à mentionner puisque d’aucuns ont avoué ne pas se souvenir du titre dans l’intégralité, ou n’ont

cité qu’un mot du titre.

ce qui compte étant en réalité le type de vertu mis en jeu ? Car, si l’on analyse le type de qualité apprécié chez le héros ou l’héroïne (question 5), c’est un véritable refrain qui surgit, chanté à l’unisson : le sens de l’honneur, le courage, la générosité et l’intelligence. Et ces vertus ne révèleraient-elles pas la projection qu’ils entretiennent de l’être qu’ils aspirent à devenir ?

Quoi qu’il en soit, toutes ces informations nous livrent un profil particulier de lecteurs effectifs, et de spectateurs réels empreints de goûts affirmés pour certains univers fictifs que l’enseignant aurait bien tort de ne pas prendre en compte pour tenter d’éveiller les élèves à la littérature. La culture médiévale apparait bien, à travers ce sondage, comme une porte d’accès au dialogue littéraire, et semblerait pouvoir répondre à leur besoin d’ancrer les lectures dans leur quotidien et leur monde référentiel. L’ancrage dans la réalité révélé dans ce questionnaire, confirme dans tous les cas, la pertinence de la didactique de la proximité dans le choix des textes.