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La conception officielle du fait littéraire

2. L A POÉSIE MÉDIÉVALE À L ’ ÉPREUVE DE LA CONCEPTION OFFICIELLE DE LA LITTÉRATURE

2.1 La conception officielle du fait littéraire

Définir la littérature, a fortiori dans des documents à l’attention des enseignants, c’est rappeler à ce corps de lecteurs tout ce à quoi elle sert et doit servir dans « la formation du citoyen » (B.O. Préambule. Finalités générales). A quoi donc sert « la lecture et l’étude des textes majeurs de notre patrimoine »68 dans une classe de Seconde ? D’abord la

littérature communique et informe ; ainsi s’agit-il avant tout d’amener les élèves à dégager les significations des textes et des œuvres. (B.O. Présentation générale). Elle est le support à la constitution d’une « culture commune », à « l’appropriation personnelle des savoirs » et, donc se veut fédérative et instructive, éducative et constitutive de connaissances à vocation civilisatrice et « humaniste ». Tout cela renvoie inexorablement à un certain mode de lecture référentiel qui dépend du monde auquel le texte se réfère. L’ « émotion » (deux récurrences dans le B.O) qu’elle suscite est source de plaisir et d’interrogations, en ce qu’elle doit générer « l’analyse [de cette] émotion », une appréciation, « un jugement » en plus du développement d’un « esprit critique ». Elle est donc psychologie, parfois sociologie. La littérature est également le support de connaissances historiques importantes (« connaître quelques grandes périodes », « les mouvements majeurs de l’histoire littéraire »). Elle est donc histoire. Faisant tout cela avec éloquence, elle est rhétorique enfin, permettant la pratique et l’apprentissage de la langue, de la grammaire, de l’orthographe, « des principales figures de style et [des] effets [tant] rhétoriques [que] poétiques ». Notons que la construction formelle, à laquelle les compétences langagières et linguistiques s’attachent relève d’un aspect arbitraire et d’une étude proprement synchronique si elle n’est pas

rattachée à la fonction poétique, à l’expérience littéraire du sujet lecteur. Par ailleurs, la littérature officielle est canonique en ce qu’elle s’inclut, par les objets d’étude proposés, dans un espace temporel délimité par le XVIIème et le XXème siècle. Ce cadrage historique détermine dès lors les contours d’une littérature, qui s’inscrit, somme toute, toute entière dans une poétique classique traditionnelle : la notion omniprésente de genres renvoie en effet à une sorte de valeur intemporelle, et classificatrice des textes. Comme le regrettait déjà H.R Jauss, la force de l’idée d’une théorie normative préalable (La Poétique d’Aristote en l’occurrence ayant influencé toute la littérature occidentale) règle ainsi tous les rapports de cette littérature post-médiévale. La littérature institutionnelle est donc relativement délimitée, et l’attention portée à l’Antiquité dans nos programmes déjà relevée, ne vient en fait que confirmer cette référence gréco-latine comme une limite définitoire. Les concepteurs des programmes valident ainsi l’idée qu’une « “littérature” ne fut […] identifiée comme classe particulière de discours qu’à partir du XVIIème siècle »69. Rendant hommage à

la malice de M. Marghescu70, j’interroge : à quel moment la littérature est-elle littérature ?

Mais les concepteurs des programmes n’ont pas oublié les autres régimes de lecture. Affirmant la place de la littérature parmi les arts (B.O chapitre L’histoire des arts), il est bien rappelé l’importance de « la conscience esthétique » qui lui est immanente, par sa capacité à influer sur le lecteur, à l’émouvoir autant qu’à l’interroger. La fonction poétique est ainsi implicite dans les programmes. Nous pouvons la reconnaître là où elle travaille le symbole au-delà du simple référent du signe, selon le « code strict de la correspondance entre signes et vécu humain […] [en respectant] la dynamique de l’âme qu’elle avait la tâche de poursuivre » : en tant qu’art, la littérature « révèle [le sujet] à lui-même […] et œuvre à sa transformation » (M. Marghescu71). Ainsi pouvons-nous comprendre la deuxième finalité

générale des lettres, « la formation personnelle » et celle du « citoyen », ainsi que les compétences visant « à forger des critères d’appréciation ». Notons cependant, que dans cette tentative de reconstitution d’une définition institutionnelle de la littérature, la fonction poétique ne génère pas la majeure partie des compétences visées. La fonction poétique, telle qu’expliquée ci-dessus, semble être reléguée aux finalités générales des lettres en

69 Zumthor. P., La lettre et la voix. De la littérature médiévale, Paris, Seuil, 1987. 70 M. Marghescu, « La question de la littérarité aujourd’hui », op. cit., §10. 71 Ibid., §17.

Seconde. Il est par ailleurs, impossible de juger de son efficience à la fin des années de lycée, comme si aucune méthodologie ne pouvait assurer l’apprentissage de cette fonction auprès des élèves.

Cette rapide analyse nous ramène à une certaine conception toute moderne du texte, uniforme et institutionnelle : le texte littéraire se ramène à la production écrite et publiée (donc fixée et stable) d’un auteur, à une époque déterminée par une histoire littéraire, et à laquelle se rattache des genres littéraires précis. Cette activité autotélique se soumet à des études de la forme et des procédés rhétoriques que doivent apprendre à maîtriser les élèves –en cela le texte est un objet statique, conformément à la conception des formalistes du XXème siècle–, mais conformément aux théories de la lecture, le texte acquiert également une certaine dynamique que chaque lecteur particulier peut enclencher en autant de « mondes possibles » (U. Eco73), ce qui correspond dans les programmes à la

place accordée, même si succincte, au sujet lecteur et à « ses hypothèses » et « ses interprétations ». Ces analyses des termes officiels mises bout à bout fournissent donc une réflexion d’ensemble de la littérature fort traditionnelle, mais qui intègre cependant implicitement les acquis des théories de la lecture, en accordant l’attention due à la réception.