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A NALYSE D ’ UN SONDAGE PROPOSÉ À MES COLLÈGUES DE FRANÇAIS

Cherchant à mieux comprendre les réticences que semblait susciter l’abord de ces textes avec leurs élèves, j’ai proposé à mon équipe pédagogique, un sondage dont voici les questions et les résultats (voir page suivante). Rappelons que l’équipe pédagogique du Lycée n’est constituée que de 9 personnes (l’une d’entre elles n’a pas répondu au sondage). Nous sommes donc en présence de 8 professeurs de français, ayant toutes plus de dix ans d’expérience.

142 G. Oriol, « La place des études médiévales dans la définition des curricula (enseignement secondaire et

CPGE) », Perspectives médiévales [En ligne depuis décembre 2017], n°39, 2018, §8. URL : http://journals.openedition.org/peme/13874 ; DOI : 10.4000/peme.13874 (Consulté en septembre 2018)

Nous devons d’abord envisager ce que certaines questions peuvent avoir d’embarrassant, malgré l’anonymat du sondage (Q3 et Q4, qui si elles paraissent redondantes, avaient justement pour objectif de forcer la porte des pudeurs persistantes). Un professeur peut hésiter à livrer ses jugements sur les programmes. Par ailleurs, un nouveau professeur stagiaire qui vient interroger la pratique des lettres médiévales des collègues (qu’elle connait peu), à une époque où l’usage n’est pas explicitement prescrit dans les programmes, si elle n’encourt pas le risque d’être taxée d’élitiste peut tout du moins paraître déconcertante et ennuyeuse. Quoi qu’il en soit, Q1 vient confirmer l’abandon de cette pratique chez la majorité de mes collègues. L’évidence que cette littérature semble constituer un sujet difficile pour les élèves les convainc davantage que l’idée selon laquelle ces textes ne sauraient plaire aux élèves (Q2). Si aucun membre de l’équipe pédagogique n’a choisi d’évoquer un quelconque déplaisir personnel, ou un manque de compétences professionnelles (Q3 et Q4) préférant justifier leur abandon par une difficile intégration dans les sujets d’étude (Q3), et par l’idée que les autres époques suffisent largement à la formation des élèves de Seconde (Q5), le comble du paradoxe réside bien dans le fait qu’une majorité (mais non la totalité !) reconnait les atouts que constituerait la découverte de cette littérature (Q6). Mon interprétation de ce sondage révèle en premier lieu une difficulté (pour les élèves selon Q2, et pour les enseignants selon Q3) qui selon moi cache en réalité un manque d’interrogation sur la manière de présenter ces textes ; un manque par conséquent de familiarité avec ces textes. Par ailleurs, le sous-entendu d’inutilité contenu en filigrane dans Q5, semble révéler que peu prennent en compte sa spécificité : aucun n’a coché la première réponse proposée, rappelant la présence de la littérature médiévale en classe de Première, révélant ainsi que l’omission dans les programmes de Seconde ne pourrait pas s’expliquer par une logique diachronique du cycle terminal. Nous conclurons donc ce commentaire sur l’idée qu’une forme de routine pourrait parfois s’installer dans la carrière des collègues, dans la mesure où ils se cantonnent à des sujets maitrisés, qui ont fait leur preuve auprès des élèves, ou à des ouvrages beaucoup moins marqués par une quelconque altérité. La difficulté à enseigner à des élèves coupés de la culture scolaire et littéraire, doit refroidir de nombreux élans élitistes de professeurs éprouvés par les difficultés de l’enseignement. Pourtant, le regain d’intérêt suscité chez l’une de mes collègues, en évoquant cette culture médiévale montre à quel point l’omission des

programmes est lourde de conséquences, et qu’une simple suggestion officielle suffirait pour activer d’anciennes connaissances universitaires, susciter des ouvertures pédagogiques et didactiques originales en lien avec l’univers référentiel de nombreux élèves. Ne pas mettre en valeur des connaissances engrangées dans la formation des enseignants, n’apparait pas, par ailleurs, cohérent. Rappelons en effet, que les épreuves du CAPES et de l’Agrégation comprennent depuis leur origine des parties dédiées au maniement de l’ancien français, et à un texte ancien de la littérature française d’avant 1500, sur lequel des questions de graphie, de syntaxe ou de lexie sont posées.

Les textes choisis par les enseignants –ou l’absence de certains, comme ceux issus de la culture médiévale– nous apprennent aussi sur la conception que ceux-ci se font de la lecture et de la culture, comme le souligne déjà J. Crinon143. Ici, au lycée Louis de Foix, la

distance entre prescriptions et usages ne semble donc pas la règle : je perçois ici l’influence considérable et déterminante des épreuves du baccalauréat sur les enseignements, « tropisme du lycée français » comme le rappelle d’ailleurs le Conseil Supérieur des Programmes dans sa « Note d’analyses et de propositions sur les programmes du lycée et sur les épreuves du baccalauréat »144:

Il s’agit de desserrer l’étau qui soumet actuellement les enseignements à l’emprise du baccalauréat, qui influence les pratiques de classe et le choix, souvent restreint, des exercices.

Mais, qu’en est-il du public de l’établissement scolaire ? Nous nous intéresserons donc à présent à son point de vue, aux effets sur lui de la pratique de la littérature médiévale. Il est fait mention dans les programmes actuels de Seconde, des « besoins de tous les élèves en termes de formation intellectuelle »145 : définition démocratique, prônant l’antiélitisme ?

Qu’en est-il donc de la culture « à visée émancipatrice » (J. Crinon)146 ? Comment prendre en

143 J. Crinon, « Bilan et perspectives : regards croisés. Les textes du patrimoine, les didacticiens, les enseignants,

les élèves », sous la direction de de Peretti I. et Ferrier, B., Enseigner les « classiques » aujourd’hui. Approches

critiques et didactiques, Bruxelles, Éditions Peter Lang, collection « ThéoCrit », 2012, tome 5, p. 289-297,

p. 291.

144 Conseil Supérieur des Programmes, « Note d’analyses et de propositions sur les programmes du lycée et sur

les épreuves du baccalauréat », op. cit., p. 17.

145 J. Crinon, « Bilan et perspectives : regards croisés. Les textes du patrimoine, les didacticiens, les enseignants,

les élèves », op. cit. p. 291.

compte alors la différence des publics selon les classes et selon les établissements ? Interrogeons les intéressés.

CHAPITREII

LERAPPORTDESÉLÈVESALALITTÉRATUREMÉDIÉVALE