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De « la fabrique du Moyen Âge » par les romantiques

3. L ES PROBLÈMES RENCONTRÉS ET POINTS À AMÉLIORER

1.3. De « la fabrique du Moyen Âge » par les romantiques

A partir de ce tableau, une réflexion plus poussée est ensuite menée en classe, sur des attitudes communes aux trois poètes romantiques du corpus. Le texte médiéval joue le rôle de pierre de touche de tout l’édifice interprétatif, et de référent textuel. S’établit le constat d’une contagion, dans deux des poèmes, de l’idéal chevaleresque contenu dans l’épopée médiévale : comme si le héros, a fortiori au charisme royal et impérial, était appelé à renaître de ses cendres dans la poésie romantique. La distance historique ne freine ici en rien la création poétique romantique : la lecture voulue passionnante d’une chanson de geste suffit à déclencher l’imagination créatrice dans l’acte d’écriture des poètes du XIXème siècle. L’importance de ce temps épique des héros, facilement rattaché au temps historique (la bataille de Roncevaux est dans tous les manuels d’histoire) se révèle pour deux des poètes et pour Napoléon, comme vecteur de nombreux sentiments et émotions personnelles. La mention de Carlus Magnus sur le rocher au pied du cheval de Napoléon, cherche à établir une lignée entre lui et la légende médiévale, tout à son profit, empereur qu’il deviendra lui-même, peu de temps après la réalisation de ce tableau. Il s’agit donc ici de l’aspiration à devenir un autre Charlemagne (la notion d’identification est alors évoquée, et comparée à celle qui touche les élèves dans leurs propres lectures). Pour Hugo, le genre de l’épopée devient un nouveau genre poétique dans lequel il se lance en tant que poète (puisque longtemps absent de l’histoire littéraire) : ce sera la dernière grande épopée de l’histoire littéraire française. Cela est prétexte, comme souvent dans sa poésie, à émettre ses avis politiques engagés contre le régime en place : Charlemagne devient l’anti-Napoléon III. Vigny, enfin, est dans une posture de désenchantement, axée sur la tristesse, une douleur intérieure et contenue. Certains élèves réussissent à rapprocher cette intériorité des sentiments à la solitude et à la mélancolie typique des héros romantiques, analysée en début de séquence. Avec Vigny, Roland devient un héros romantique. A. Bertrand témoigne quant à lui,

d’une imagination d’un autre ordre : c’est le décor médiéval gothique, et non pas les héros épiques, qui suscite son intérêt. Les élèves reconnaissent leur propre goût pour ce décorum que les différentes manifestations du médiévalisme contemporain leur ont rendu familier.

L’approche intertextuelle à laquelle donne lieu cette séance, leur fait prendre conscience combien l’épopée de Roland réussit à toucher l’âme des poètes romantiques, au même titre que la leur. Ils comprennent comment le Moyen Âge a pu et peut influencer d’autres époques, comment cette influence passe aussi par le texte et les émotions suscitées par la lecture, autant que par des personnages légendaires, voulus historiques et devenus, de véritables modèles politiques. Le récit extraordinaire (par la présence du registre merveilleux) de l’épopée médiévale, ses actions épiques et héroïques sont réinvestis avec intelligence et originalité par la nostalgie romantique : ce sont leur déception politique, leur désamour de leur époque qui les font se tourner vers un idéal qu’ils placent naturellement dans le passé médiéval, qu’ils découvrent à cette époque, grâce à la première édition en 1837 de La Chanson de Roland par exemple. Le Moyen Âge devient une sorte d’âge d’or dans l’imagination romantique, ce sans se référer à aucune étude proprement historique : la légende tient lieu d’histoire, et la figure de Charlemagne ou de Roland qu’ils entretiennent, sont celles de la légende du texte médiéval. Ainsi, Napoléon tente-t-il de construire son propre mythe, en se positionnant l’héritier du grand Charlemagne légendaire, et merveilleux. Un respect presque sacré est entretenu à l’égard de ces héros épiques. Ces poètes réinventent et déconstruisent donc l’histoire, en y mélangeant un imaginaire véhiculé et entretenu par La Chanson de Roland. Ils « fabriquent » une représentation du Moyen Âge, qui n’est pas conforme à l’Histoire. Ces représentations et ces images qu’ils participent à créer et à intégrer à leur monde contemporain en tant que modèles, vont alors par la diffusion de leur poésie alimenter l’imaginaire de leurs lecteurs, jusqu’à nous. L’idéalisation sociale de ce Moyen Âge qu’ils imaginent, accompagnent alors leur aspiration ou leur défense de la liberté contre l’arbitraire de la politique de Napoléon III (I. Durand-Le Guern187). A l’issu de ces

constats, j’espérai que les élèves allaient pouvoir entretenir le même genre d’analyses critiques à l’égard des différentes productions visuelles, audio-visuelles auxquelles ils consacraient leur

187 I. DURAND-LE GUERN , Le Moyen Age des Romantiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001, p. 153-164

temps libre. Une nouvelle activité interviendra afin de leur démontrer combien ces dernières véhiculent effectivement de nombreuses idées communes à ce Moyen Âge romantique.

Au tableau, sont inscrites, en guise de bilan, toutes les idées auxquelles la classe conclut de ce débat interprétatif à propos de l’identité romantique :

1) Ce qui fut constaté par la lecture comparative, et l’approche intertextuelle des textes : - Goût pour la période du Moyen Age : les valeurs chevaleresques, la force idéale de Charlemagne, le courage de Roland, le décor gothique d’une cathédrale.

- Fascination pour le passé médiéval marqué par le regret et la nostalgie (registre élégiaque) : ils semblent vouloir rétablir une continuité entre le Moyen Âge et leur époque (Tableau de Louis David avec la mention de Charlemagne…).

(Idées qui se posent en opposition aux philosophes des Lumières, qui croyaient au progrès et qui étaient tournés davantage vers le changement et l’avenir. Pour eux, le Moyen Age était un âge sombre).

- Goût pour le merveilleux (marques des registres du merveilleux dans les textes) et le caractère légendaire (l’épée Joyeuse, le cri de guerre Montjoie, la barbe fleurie) et le fantastique.

- Goût pour le politique : recherche dans le passé médiéval d’un idéal héroïque politique commun (Charlemagne et Roland chez Hugo et Vigny) par opposition au présent politique déçu (Restauration et Napoléon III). Bonaparte (l’aigle chez Hugo) demeure la référence contemporaine idéale.

2)Conclusion sur l’identité romantique :

ð Ces poètes romantiques sont à la recherche d’une nouvelle identité littéraire (ex :prose de A. Bertrand, renouer avec l’épopée, un genre longtemps oublié pour Hugo).

ð Ils sont à la recherche d’un renouveau politique qu’incarne la figure du héros (mythe fondateur), modèle que l’on admire. Volonté de renouvellement.

ð Ils partagent l’idée que par leurs armes (la littérature, ici la poésie) ces auteurs pensent pouvoir changer le monde, la vie, crier leurs aspirations sur le présent.

Les élèves disposent désormais d’une vision plus fine et pertinente de l’identité romantique française. Ceci pourrait servir de parfaite introduction à une séquence sur le héros romantique, au théâtre. Les analyses menées sur l’inspiration médiévale dans la production littéraire

romantique allaient pouvoir s’appliquer à des productions médiatiques contemporaines diverses. C’est là aussi, l’un des grands enjeux de cette étude textuelle188.

2. LES POINTS POSITIFS ET LES RÉELS APPORTS AUX ÉLÈVES