Le Moyen Âge des romantiques : un héritage

Afin de leur faire plaisir, la fin de semaine s’est terminée par le visionnage de quatre passages de la série Game of thrones. Série américaine au succès planétaire, elle témoigne du phénomène de la sériphilie au XXIème siècle, sujet que je souhaitais aborder avec mes élèves196_.

Créée par D. Benioff et D. B. Weiss, elle est une adaptation des romans de G. R. R. Martin publiés en 1996, et s’inspire d’événements, lieux et personnages médiévaux. Les programmes de Seconde accordent une large place au décryptage et à l’analyse d’images quelles qu’elles soient, et encouragent donc à former à côté des lecteurs, des spectateurs avertis. Les deux ont effectivement en commun de faire intervenir une lecture subjective des œuvres « [qui puise dans

195 _{I. Short, La chanson de Roland, op. cit., p. 8.}

196 _{La semaine qui précédait, nous avions mené une séance en salle informatique, sur le décryptage des images et la}

reconnaissance des fake news en particulier. La place des images, des vidéos et des séries dans leur quotidien, le phénomène de la sériphilie furent évoqués et débattus en fin de séance. Nous avons pu conclure que la sériphilie au

la personnalité profonde, la culture intime, l’imaginaire de l’élève »197_{. Cette activité vise donc à}

interpréter avec eux « quelques codes narratifs […] filmiques, et [à] les initier à un mode de spectature198 _{pertinent ». Cette série qui leur est à tous familière, où merveilleux et fantastique}

se croisent permet un questionnement sur les référents culturels et littéraires de ces œuvres. De même, la vérification de l’absence définitive de confusion entre le fantastique et le merveilleux est un autre des objectifs. Le poème d’A. Bertrand avait été choisi dans le but d’aborder la naissance du registre fantastique, et les effets de celui-ci199_{. Lors du visionnage des extraits de la}

série, la confrontation aux scènes merveilleuses et fantastiques révèle que les élèves restent encore cantonnés à leur lecture subjective, sans jamais accéder à l’approche anthologique ou à la lecture analytique. Or, devant l’importance des différentes manifestations du médiévalisme à notre époque, dans les différents médias, il apparaît nécessaire de donner aux élèves des outils pour que leur réception soit plus critique, et qu’ils ne soient pas amenés à cultiver l’imprécision ou l’anachronisme sur une période aussi influente sur notre imaginaire collectif. Ici, l’enseignement des lettres et de la culture médiévales répond à une nécessité toute spécifique à notre société du XXIème siècle. La SLLMO l’a affirmé haut et fort, lors de sa dernière journée d’étude :

Plus que toute autre période de l’Histoire européenne, le Moyen Âge et sa culture apparaissent sans ambiguïté comme une matrice propre à mettre en fiction et en scène le contemporain et notre modernité, nos problématiques socio-politiques, économiques, culturelles les plus brûlantes. L’analyse et la compréhension des enjeux de cet investissement sociétal du médiéval par le contemporain nécessite des connaissances a minima que l’école se doit de fournir à ses élèves.200

197 _{N. Lacelle et G. Langlade, « Former des lecteurs/spectateurs par la lecture subjective des œuvres », sous la dir. J.-}

L. Dufays, Enseigner et apprendre la littérature aujourd’hui, pour quoi faire ? Sens, utilité, évaluation, Louvain-la- Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2008, p. 55.

198 _{Le terme spectature est utilisé par Martin Lefèvre (1997) pour désigner l’acte de lecture du film comme étant}

constitué d’un ensemble de processus –perceptif, cognitif, argumentatif, affectif et symbolique– qui règlent l’interaction entre un spectateur et un film et assurent la construction de l’objet filmique en tant que texte. Cité par N. Lacelle et G. Langlade, « Former des lecteurs/spectateurs par la lecture subjective des œuvres », ibid, p. 55.

199 _{Registre fantastique : un élément surnaturel surgit sans que l’on puisse expliquer son surgissement. Cette}

absence d’explication de ce phénomène fait surgir un sentiment de peur, d’angoisse.

Registre merveilleux : un élément surnaturel surgit, mais sans chercher à l’expliquer, il est perçu comme un phénomène auquel on croit, tous croient comme faisant partie intégrante du quotidien.

(Définitions rédigées à partir de celles établies par Todorov)

200 _{V. Dominguez et S. Douchet (sous la dir.), « Enseigner la langue et la littérature du Moyen Âge en France}

aujourd'hui Histoire, expériences, perspectives », Perspectives médiévales [En ligne], n° 39, 2018, Introduction. URL :< https://journals.openedition.org/peme/13779> (Consulté en 2018)

Le travail dans un premier temps est un exercice d’application ayant pour objectif de leur faire reconnaître le registre dont il s’agissait (merveilleux ou fantastique). Puis, à la fin du visionnage des capsules vidéo, le débat s’ouvre. Le Moyen Age tel que les élèves le perçoivent dans cette série, ou dans Harry Potter, ou à travers leurs jeux vidéo, leur apparait-il un monde à leur portée, voir un monde où ils aimeraient vivre ? Tous trouvent matière à répondre. Force est de reconnaître que sans ces éléments merveilleux ou fantastiques, leurs médias perdent en intrigue et mystère : un rapport est dès lors établi avec l’image du Moyen Age telle qu’elle a été véhiculée par les poètes romantiques. La puissance évocatoire très forte de la salle de repas de Poudlard dans Harry Potter en témoigne également : d’inspiration gothique, elle y est liée au registre merveilleux. Ainsi, sommes-nous tous des enfants des romantiques du XIXème _{siècle, dans notre}

goût et notre consommation de ce Moyen Age qui nous paraît si proche. Les élèves doivent réfléchir sur cet héritage. En « tentant de privilégier les connexions entre le monde du lecteur et le monde de ces œuvres variées, entre la vie du spectateur et celle des personnages [merveilleux et fantastiques], […] les textes du corpus ont cessé d’être les supports distants d’objets d’étude pour devenir des lieux d’interrogation sur soi et le monde »201_.

Revenant sur la place du registre merveilleux dans la série Game of thrones, nous reconnaissons, ensuite, ensemble qu’il prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure des saisons. Quelle pouvait être la raison de cet attrait à l’égard du merveilleux ? L’une des fonctions du merveilleux au Moyen Age est de compenser la banalité du quotidien à côté d’être un élément d’intégration religieuse202_{. Trois élèves sont restés à la fin du cours pour en discuter,}

et m’interroger.