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Nouveaux aspects de l’altérité des textes médiévaux

3. L ES PROBLÈMES RENCONTRÉS ET POINTS À AMÉLIORER

2.1 Nouveaux aspects de l’altérité des textes médiévaux

2.1.1 A propos de l’auteur de La Chanson de Roland, du titre et de sa lecture Lors de la présentation liminaire de Roland, il est rappelé que Charlemagne appartient à l’époque carolingienne (VIII siècle189), tandis que le texte de La Chanson de Roland date des

environs de 1086190, et correspond à la version trouvée sur un manuscrit dit « d’Oxford ». Des

notions nouvelles sont abordées, qui les ayant surpris, les ont intéressés à en croire leur grand entrain à m’interroger à ce sujet : l’auteur de cette histoire n’est pas identifié. Cet anonymat en soit n’est pas très important et n’empêche pas de lire l’œuvre. De la même manière, celui qui a écrit sur le manuscrit, le copiste, inconnu lui aussi, s’applique à transcrire à l’écrit une histoire ayant traversé les siècles, grâce souvent à une longue tradition orale, parfois grâce à la transmission d’autres nombreux manuscrits antérieurs. De ces aléas divers subsiste un récit, dont il existe plusieurs variantes dans plusieurs manuscrits, et qui ne sont que de multiples interprétations d’une histoire dont nous ne connaîtrons jamais l’archétype original. L’important ne réside d’ailleurs pas dans la connaissance d’une version qui serait la première apparue, mais bel et bien dans le fait qu’à une époque où la majorité des laïcs ne savait pas lire, « la voix [était] (selon l’expression de Paul Zumthor) le seul mass medium alors existant »191.

De cette oralité, les élèves peuvent aujourd’hui constater les effets dans le texte (hors des laisses du corpus : lecture magistrale des laisses 9 et 13) : des répétitions, certaines transitions entre des évènements reprenant des éléments déjà évoqués…, autant de procédés visant à aider la mémoire de celui qui dit et raconte, autant que pour s’adapter à celui qui écoute, et dont l’attention a besoin aussi de repères. J’insiste grandement, auprès d’eux sur l’idée imagée de jongleurs colportant de château en château et de foire en foire moult histoires qui ne devenaient des textes, que sous la plume de laïcs, parfois des clercs au gré de nécessités ou de motivations

188 Infra, p. 110.

189 Je tente d’éveiller leurs souvenirs, en citant la date du sacre de Charlemagne. 190 I. Short, La chanson de Roland, op. cit., Introduction.

diverses. La forme mouvante des œuvres est à retenir comme une constante de la culture médiévale, sans aucun rapport avec les règles « qui président actuellement à notre lecture solitaire et silencieuse du texte imprimé »192. Par voie de conséquence, il est alors convenu que

plusieurs personnes peuvent avoir collaboré à l’écriture de tous ces textes.

Le manuscrit dit « d’Oxford », le plus ancien des neufs manuscrits parvenus jusqu’à nous, ne présente, par ailleurs, aucun titre (I. Short). L’expression du titre actuel relève d’un choix et d’une habitude éditoriale, à mettre en rapport avec le nom donné aux poèmes épiques, « les chansons de geste »193. C’est aussi une différence de taille, avec l’idée communément admise de

la littérature auctoriale. Les élèves peuvent également prendre conscience que parmi les principes et règles éditoriales de notre siècle, le travail même de traduction engendre parfois des modifications d’un autre ordre : la correction de certaines « incuries des copistes […], irrégularités graphiques dans la prosodie » par exemple, « dans le but de rendre le texte plus lisible et plus accessible aux lecteurs non spécialistes »194.

Toutes ces informations et cette complexité peuvent apparaître aux élèves comme autant d’énigmes à résoudre et être source de fascination, attirés qu’ils sont habituellement, à leurs âges, par les mystères. Il n’est pas exclu, que l’évocation de cette altérité éveille des vocations. Ce fut mon cas. Cette découverte de l’altérité médiévale, s’affirmant comme une ouverture sur le monde et celui en particulier de la recherche, ne trouve-t-elle pas naturellement sa place en classe de Seconde, à l’heure où l’on nous encourage à informer le plus possible les élèves sur les orientations possibles, à les soutenir dans la découverte de parcours étudiants, et à consacrer des heures d’AP à la recherche des orientations ?

2.1.2 Littérature entre Histoire et Légende

L’étude de ce corpus porte sur l’étude des personnages. Or, comme l’affirme I. Short, « c’est peut-être à propos des personnages que le lecteur moderne aura le plus de difficulté à se faire aux habitudes et aux procédés du texte épique médiéval. La notion même de personnage doit être remise en question : mieux vaudrait parler de figures types ». L’idéalisation

192 I. Short, La chanson de Roland, op. cit. p. 14.

193 « Chansons d’exploits héroïques situés dans un passé lignager » selon Ian Short. 194 I. Short, La chanson de Roland, Introduction, op. cit.

littéraire, au centre de cette question de corpus, donne accès aux élèves au second degré de lecture, leur permet d’envisager le questionnement du rapport de la littérature à la réalité.

La question du rapport entre Histoire et Légende en ce qui concerne Roland illustre à merveille ce point. En leur montrant une photo du pas de Roland à Itxasu, je leur apprends que des libertés ont été prises avec l’histoire, en particulier « en donnant à Roland une importance qu’il n’a jamais eue »195, puisque selon des sources anciennes, Roland est le moins considérable

des trois morts illustres de la bataille, et le seul dont nous ne savons rien, sans compter la substitution des Basques par les Sarrasins. Pourquoi mêler personnages historiques et récits légendaires ? Ne s’agit-il que d’Histoire déformée ? C’est ainsi que le terme de littérature s’enrichit dans l’esprit des élèves de l’acceptation de narration poétique, en dépit d’éléments attestés et indubitablement réels (bataille de Roncevaux, Charlemagne). Ils peuvent ainsi après Jean Bodel, élargir encore un peu leur définition de la littérature, et apprendre à enrichir la manière de questionner un texte : la littérature comme un phénomène d’abord à observer ou, mieux, comme un monde foncièrement autre, où il peut être déroutant autant que fascinant de plonger.