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Les problèmes que pourrait poser l’étude des textes médiévaux

2. L A POÉSIE MÉDIÉVALE À L ’ ÉPREUVE DE LA CONCEPTION OFFICIELLE DE LA LITTÉRATURE

2.3 Les problèmes que pourrait poser l’étude des textes médiévaux

A quels problèmes pourrait avoir à faire face l’enseignant menant en Seconde, l’étude de textes médiévaux ? Nous ne pouvons omettre la plus haute valeur qui est attribuée aux siècles classiques dans les discours littéraires : la lisibilité (au sens où la définit R. Barthes) qu’ignore la culture médiévale de langue vulgaire. Les programmes accordent un long chapitre à l’étude de la langue. Les compétences langagières, dans un contexte social

87 Conseil Supérieur des Programmes, « Note d’analyses et de propositions sur les programmes du lycée et sur

les épreuves du baccalauréat », mai 2018, p. 12.

URL : <http ://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/99/9/CSP-note-analyses-propositions-lycee-mai- 2018_942999.pdf> (Consulté en août 2018)

88 A. Rouxel, Enseigner la lecture littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection « Didact

où l’illettrisme et les problèmes de lecture sont notoires, apparaissent, de fait, au centre des attendus et de la mission enseignante. Le sème du continuum scolaire est très présent dans les programmes de Seconde, concernant la langue : « le prolongement de ce qui a été vu au collège », « la continuité du socle commun », « consolider », « structurer les connaissances », « récapituler les connaissances acquises », « l’initiation à la grammaire se poursuit », « les lacunes doivent être comblées », « un apprentissage continué », « poursuivant l’effort qui a été conduit au cours des années du collège ». Cela renvoie, aujourd’hui, aux nouveaux programmes du collège ; or, ces derniers établissent des rapports notoires entre l’enseignement du français et l’enseignement des langues anciennes94 ! Cette

confluence doit permettre aux élèves de « découvrir des systèmes graphiques et syntaxiques différents ». Dans la logique du curriculum établit, qui définit un parcours éducatif sur l’ensemble de la scolarité obligatoire, les enseignants seraient donc invités à continuer cette pratique... L’absence totale de cette mention dans les programmes de 2010 pour la Seconde devrait, par conséquent, être corrigée dans les nouveaux programmes du lycée , du moins cela serait-il logique. L’existence de formations officielles en médiévistique délivrées ces dernières années aux professeurs de collège95, soulignent cet aspect de la problématique et

viennent renforcer mon point de vue optimiste.

Utiliser l’ancien français comme support à l’apprentissage de la langue se révèle un procédé fécond, trop peu généralisé. D’ailleurs l’ESPE de Pau96, lors de l’année de formation,

nous offre l’opportunité de confirmer nos connaissances d’ancien français dans des exercices d’apprentissage de la langue à l’intention des élèves, à partir du substrat syntaxique, morphologique et lexical de textes médiévaux divers. Le bienfondé didactique de ces textes semble donc évident pour de nombreux formateurs ; l’article de B. Longhi97

démontre d’ailleurs très bien comment la langue médiévale est tout à fait appropriée à ces

94 B.O. spécial n° 11 du 26 novembre 2015, Le français et les langues anciennes, cycle 4 : « L’enseignement du

français rencontre à tout moment les langues anciennes ; elles permettent de découvrir des systèmes graphiques et syntaxiques différents ; elles fournissent des sujets de réflexion sur l’histoire de la langue, la production du vocabulaire et le sens des mots ; elles ouvrent les horizons et les références culturelles qui n’ont jamais cessé de nourrir la création littéraire, artistique et scientifique ».

95 Dans l’académie de Toulouse, par exemple.

96 Formation prodiguée par Mme Rochelois, dans le cadre du stage de formation des professeurs stagiaires de

lettres modernes, MEEF2.

97 B. Longhi, « Quand l’ancien français aide à apprendre le français », Perspectives médiévales [En ligne depuis

décembre 2017], n° 39, 2018. URL : <http ://journals.openedition.org/peme/13906> ; DOI : 10.4000/peme.13906 (Consulté en septembre 2018)

temps à aménager pour la réflexion sur les langues, via diverses activités sur le système orthographique, syntaxique, ou sur la relation de transcription de l’oral à l’écrit. Lors d’un cours, en mai, visant à donner une leçon ponctuelle afin de récapituler quelques notions de base sur les lettres diacritiques, et de réviser les conjugaisons, deux domaines trop souvent malmenés dans les copies de mes élèves, j’ai pu constater combien leur mémoire a peu retenu les fondamentaux du collège. Réinvestir la langue, dans ses chapitres parfois les plus évidents m’ont alors paru une nécessité pour les élèves en entrée de lycée. De la même manière que les langues romanes étrangères peuvent jouer le rôle de support à des exercices linguistiques probants, l’ancien français amène des questionnements qui aident à percevoir la langue dans une évolution et de multiples variations, souvent déterminées par le locuteur, ce qui ne manque pas d’interpeler les élèves.

L’étude de textes médiévaux, s’il est judicieux de toujours fournir la double traduction, force est de reconnaître qu’en dépit des nombreuses éditions apparues98 à

l’attention d’un large public de romans de chevalerie, de fabliaux, de jeux dramatiques, de fables, la traduction moderne enlève beaucoup aux textes et à l’expérience narrative autant qu’esthétique. Se pose alors ici la question des compétences de l’enseignant. Il n’est pas toujours aisé d’affronter certaines tournures, et certains faits de langue : les éditions sont parfois anciennes, et l’enseignant peut ne pas disposer aisément des nouveautés de la recherche en médiévistique. F. Bouchet99 rappelle comment des médiévistes ont pu

utilement contribuer à la formation continue des professeurs de français, et combien est judicieux d’organiser des journées de formation incluant la littérature médiévale. Apparaît ici un exemple de ces résistances à l’émancipation des lettres médiévales : le professeur peut ne pas se sentir à l’aise avec une langue qu’il n’aura somme toute que peu pratiquée, ou du moins pas assez pour apparaître maître de son sujet.

Que dire alors de la réception de cette altérité linguistique par les élèves ? Mes expériences menées en classe ont démontré qu’après un premier effet de surprise, parfois accompagnée d’une sorte de malaise repérable par quelques réflexions railleuses, une

98 « Lettres gothiques » (Livre de Poche), « GF Flammarion », « Folio classique », « Champion classiques » ;

citons aussi l’ancienne « Bibliothèque médiévale 10/18 ».

99 F. Bouchet, « Le Moyen Âge mène à tout, à condition d’en sortir : pour une approche diachronique de la

littérature médiévale », Perspectives médiévales [En ligne depuis janvier 2015], n° 36, 2015, §31. URL : <http://journals.openedition.org/peme/7505 > ; DOI :10.4000/peme.7505 (Consulté en août 2018)

médiation attentive du professeur de lettres, ancien étudiant en ancien français et ayant préparé son cours, peut ouvrir le champ des possibles. Un travail sur le lexique permet immédiatement de s’approprier davantage le texte, et de susciter la curiosité.

A côté du problème de la langue, nous évoquerons la difficulté que peuvent poser ces textes pour des adolescents. La complexité que peut apporter l’altérité médiévale peut rebuter. Les modalités d’intégration de ces textes au sujet d’étude révèlent toute leur importance : les notions, les portes d’entrée qu’aura choisies le professeur décideront de l’effectivité de sa vulgarisation. C’est là tout le travail de méthodologie didactique qui revient à l’enseignant et qui fait tout l’intérêt de son travail. Mais revenons à l’élève. Comment être sûr de le faire adhérer, de créer un dialogue sur le texte aussi difficile soit-il ? A. Rouxel reconnaît dans la difficulté un moteur de la motivation de l’élève. Allant plus loin, elle fait du couple nouveauté/reconnaissance le moteur de la motivation, essentiel dans la construction du sens100. Nous aurons l’occasion de mettre à l’épreuve ces préceptes, lors des

comptes rendus des mise en pratique au sein des classes, dans la IIIème partie de ce mémoire.