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Le choix des différentes institutions étudiées a été largement induit par l'histoire de la création de l’échelon politique régional. On a ainsi retenu des institutions dont la genèse se déroule à trois périodes marquantes du processus d'institutionnalisation de la région : la création des premières régions administratives par Vichy puis leur suppression rapide après la guerre, la seconde institutionnalisation des régions ensuite, portée notamment par la mise en œuvre de la politique d'aménagement du territoire et marquée successivement par la création des régions administratives en 1964 puis par la préparation du référendum manqué de 1969 sur la création de régions politiques, la création enfin des conseils régionaux par les lois de décentralisation du début des années quatre-vingts.

Concernant la première période, la genèse des directions régionales de l’institution nationale de la statistique offrait un terrain dont on a déjà évoqué la place au cœur de notre problématique. Notre recherche couvre une période qui s’étend de quelques mois avant leur création en 1940 jusqu’au milieu des années cinquante, moment de l’amorce par le gouvernement d’une politique de planification régionale. Dans un second temps, le choix des Observatoires économiques régionaux qui s’institutionnalisent à l'INSEE à partir de 1967 s’établit sur la base de la recherche effectuée à l'occasion de notre mémoire de DEA sur l’origine du succès des observatoires dans les administrations contemporaines.74 Ils sont envisagés sur une période qui va de leur genèse au sein des réseaux planificateurs au début des

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L’index thématique permet ce faisant de se faire une idée de cette transversalité.

74 Fabrice Bardet, "Observatoires et nouvelles pratiques de gouvernement", mémoire de DEA de science politique, Université Pierre Mendès France Grenoble II, 1994, 170 p.

années soixante jusqu’à leur rattachement institutionnel, quelques douze ans plus tard, au département de l’INSEE chargé de la diffusion de l’information.

Compte tenu de ces deux premiers terrains qui entamaient une histoire des directions régionales de l’INSEE, on a d’abord envisagé de mener, pour la période contemporaine, une recherche sur la genèse et le déroulement de la réforme dont elles font l’objet en 1992. La continuité institutionnelle de notre matériau eût favorisé vraisemblablement le croisement des interrogations. Pourtant, des problèmes d’accès aux archives de l'INSEE sur lesquels nous revenons un peu plus loin ont hâté notre décision de mener la partie contemporaine de notre enquête sur un terrain extérieur à l’institution centrale du système statistique public. Nous avons ainsi retenu les Observatoires régionaux des transports liés au ministère de l'Equipement, dont les premières formes institutionnelles datent du milieu des années quatre-vingts et sur lesquels nous avons enquêté jusqu’à une période très récente. Nous reviendrons également, dans notre discussion méthodologique, sur les raisons qui ont motivé ce choix.

L’institutionnalisation des directions régionales de l'INSEE (1940-1956)

Alors qu’il vient d’obtenir les pleins pouvoirs du Parlement réuni à Vichy le 10 juillet 1940, le maréchal Pétain annonce dans un discours programmatique son intention de rétablir de « grandes provinces françaises ». Très vite, la mise en œuvre de ce projet inspiré par la rhétorique de Charles Maurras fait l’objet d’âpres discussions au sein du gouvernement, tiraillé par les différents courants de l’extrême-droite française dont sont issus plusieurs de ses membres. La réforme semble s’enliser pendant l’hiver 1941, avant que le vice-président du Conseil, l’amiral Darlan, ne précipite finalement la création de préfectures régionales le 19 avril 1941, puis leur installation dans les semaines qui suivent. Quelques mois plus tôt, alors que les discussions vont bon train préparant la réforme régionale à venir, est créé au ministère des Finances un important Service de la démographie dont le personnel fournit après la guerre la composante essentielle de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Or, l’acte de création du service, daté du 14 novembre 1940, précise que la structure disposera, outre d’une direction générale, d’organes régionaux.

La simultanéité de ces décisions convie à s’interroger, dans un premier chapitre, sur les liens qui peuvent les raccorder. Quels liens se tissent entre les mises en œuvre de ces deux réformes ? Le deuxième chapitre permet d’établir si le découpage en circonscriptions régionales mis en place par l’administration de la démographie s’impose au découpage

administratif, ou inversement. Les deux chapitres sont également l’occasion de déterminer si le projet émerge, sous Vichy, de rationaliser, par l’outil statistique, l’action de l’échelon administratif régional présenté comme un élément de modernisation de l’administration. L’hypothèse est improbable, compte tenu d’abord de l’absence de recul dont disposent alors les membres du gouvernement pour juger des possibilités du Service de la démographie qui vient d’être créé, compte tenu également de la méfiance qui prédomine, malgré les discours, quant à l’échelon régional, concurrent potentiel de l’échelon national. Elle constitue cependant un enjeu historique important au regard du poids que prennent dès l’année 1942 les préfectures régionales dans le régime policier mis en place par Laval. Enfin, en dehors de la question de l’instrumentalisation des organes régionaux de l’administration de la statistique dans le cadre de la gestion des régions administratives, nous nous pencherons sur l’influence qu’exerce le développement de la catégorie administrative régionale sur l’émergence fragile d’une expertise statistique régionale.

Après la guerre, la suppression, au début de l’année 1946, de l’échelon administratif régional n’épargne que peu d’administrations. L’INSEE, pourtant créé quelques semaines plus tard, conserve les directions régionales héritées du Service de démographie. Les questions s’inversent alors, qui entament le troisième chapitre. Si l’instrumentalisation de ces structures par l’échelon administratif régional n’est plus à craindre, l’expertise statistique régionale qui a commencé à se développer ne perd-t-elle pas un allié institutionnel de poids dans la défense de l’utilité de sa production ? La crise financière et les grandes grèves de 1947 viennent s’ajouter l’année suivante au discrédit persistant dont souffre l’échelon régional pour faire des directions régionales de l’INSEE les cibles privilégiées de plusieurs rapports administratifs ou parlementaires qui préconisent des mesures pour réduire les dépenses budgétaires. La survie de directions régionales de la statistique est-elle possible sans l’existence d’un échelon régional administratif ?

Le troisième chapitre se poursuit au long des années cinquante, qui débutent avec le succès de la catégorie régionale dans les champs universitaire et administratif. En lien avec l’essor aux Etats-Unis des « regional studies » et du « regional planning », les économistes et géographes français développent des centres de recherche régionaux. Les milieux économiques, qui s’intéressent alors au développement local et régional, collaborent fréquemment à ces initiatives. Du côté de l’administration, l’émergence du projet d’une politique d’aménagement du territoire concourt à relancer la réflexion sur les contours des régions françaises. La question se pose alors du rôle que peuvent jouer les directions

régionales de l’INSEE dans ces dynamiques. Comme elle se pose très rapidement vis-à-vis de la politique de planification régionale qui se met en place quelques années plus tard et qui entame la seconde institutionnalisation des régions en France. A cette époque, enfin, se forge la catégorie des « statistiques régionales » dans un épisode sur lequel ce chapitre sera également l’occasion de revenir.

La genèse des Observatoires économiques régionaux (1960-1972)

Les années soixante sont l'occasion d’une accélération du processus d’institutionnalisation de l’échelon politique régional qui se prolonge grâce aux trois vecteurs des politiques de planification, d’aménagement du territoire et du développement économique local. La réalisation des plans régionaux, engagée depuis plusieurs années, s’intègre progressivement à la politique de planification nationale, par l’intermédiaire, d’abord, des tranches opératoires du IVème Plan (1959-63), puis par la régionalisation proprement dite du Vème Plan. En 1963 est également créée la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR). Enfin, l’année suivante est celle de la grande réforme régionale qui crée les régions administratives, les Missions régionales, adossées à des Commissions de développement économique régional (CODER) qui rassemblent notamment les représentants économiques et les universitaires locaux. Au cours de cette période se formule, au Conseil économique et social d’abord, à la DATAR ensuite, le projet des Observatoires économiques régionaux (OER) qui doivent permettre de répondre à la demande nouvelle en informations économiques régionales en rassemblant dans une nouvelle structure ses producteurs et ses utilisateurs.

En quoi consiste le projet institutionnel des OER qui doivent se juxtaposer aux directions régionales de l’INSEE ? Le quatrième chapitre éclaire les raisons pour lesquelles le système public de l’information économique est ainsi jugé incapable de répondre aux besoins nouveaux en informations régionales. Il permet notamment de caractériser l’abandon par l’INSEE des études et statistiques régionales pour lesquelles ses directions régionales, longtemps contestées, semblaient pourtant prédestinées. Il est également l’occasion d’évoquer l’important débat sur le rôle de l’INSEE qu’engagent, quelques mois plus tard, les statisticiens eux-mêmes à l'occasion de la préparation d’un colloque sur l’information économique qui se tient à Villemetrie les 23 et 24 juin 1967 et qui mêle des statisticiens de toutes les directions de l’INSEE. La réflexion, qui débute par un état des lieux des besoins des différentes

catégories d’utilisateurs de statistiques, débouche sur des propositions très contestataires de réforme du système statistique public. La privatisation de l’INSEE est même envisagée.

Le retentissement de ces travaux à l’INSEE est très important. Dès le colloque passé, en juin 1967, de nombreux chantiers de réforme s’engagent, dont celui des directions régionales qui paraît l’un des plus urgents. Les premiers Observatoires économiques régionaux sont justement en cours d’installation. L’introduction du pluralisme dans la production de l’information statistique qu’ils permettent d’envisager est en passe de devenir un enjeu de la réforme des directions régionales de l’INSEE. Les mouvements de mai 1968 viennent pourtant bouleverser les priorités de la réforme de l’institution de la statistique. La nécessité de mieux informer le citoyen apparaît soudain impérieuse, qui impose au service public de la statistique de mettre en œuvre au plus vite une politique de diffusion de l’information. Les mois qui suivent Mai sont également ceux de la préparation du référendum sur les régions que souhaite le Président de la République. De sorte que les territoires régionaux se présentent comme les cibles prioritaires de la politique de diffusion qui doit être entreprise. Les OER jusque là négligés paraissent alors susceptibles d’être réorientés pour constituer les services de l’INSEE chargés de la diffusion de l’information dans les régions. Le chapitre cinq aborde cette phase d’institutionnalisation des OER qui met en lumière la difficulté de l’introduction du pluralisme dans la production statistique. Il suggère de se demander si cet aspect du système statistique n’augure pas de la multiplication brutale, après les lois de décentralisation, d’observatoires permettant aux collectivités locales et aux structures associatives ou professionnelles d’établir leurs propres programmes statistiques.

Le développement des Observatoires régionaux des transports du ministère de l’Equipement (1984-1999)

En mars 1982, la loi offre aux régions le statut de collectivités territoriales. L’exécutif des institutions régionales est transféré des mains des préfets aux présidents élus des assemblées représentatives régionales. Avant même que la seconde loi de décentralisation ne définisse, dix mois plus tard, la répartition des compétences entre les collectivités locales et l’Etat, on assiste très vite à un renforcement de la catégorie régionale dans les politiques publiques conduites sur l’ensemble du territoire national. Une loi de juillet 1982 organisant la réforme de la politique de planification pose ainsi les bases de la procédure des contrats de Plan entre l’Etat et les régions. De même, dans le secteur des transports, la Loi d’orientation

sur les transports intérieurs prévoit la création de Comités régionaux des transports susceptibles de faire participer l’ensemble des acteurs économiques et sociaux à l’orientation des politiques menées en région. Dans cette perspective, la réforme du système statistique du ministère de l’Equipement, qui intervient quelque temps après, comporte également son volet régional. Il s’agit de promouvoir la mise en place de systèmes d'informations régionales en lien avec les directions régionales du ministère.

Des expériences d’importation des bases de données sur les transports des services statistiques centraux se développent alors dans les directions régionales de l’Equipement, signalées parfois dans les organigrammes par l’affichage de la création d’un Observatoire régional des transports. Dans la majorité des cas pourtant, les agents de l’Equipement en région ne souhaitent pas faire le lien entre leurs initiatives et les expériences d’observatoires qui se multiplient dans les collectivités locales, sur le terreau du management local qui connaît un grand succès dans le champ politico-administratif local. Cependant, le concept d’observatoire change progressivement de sens au début des années quatre-vingt-dix, sous l’effet de la crise économique qui réduit les ambitions des collectivités locales en matière de développement économique. On assiste alors à la création d’observatoires partenariaux destinés à organiser la concertation avec les acteurs économiques locaux affectés par la crise, dans lesquels les services de l’Etat sont, cette fois, souvent partie prenante. Dans le secteur des transports, le ministre de l’Equipement réagit ainsi au conflit des routiers de l’été 1992 en précipitant la création d’Observatoires régionaux des transports dont l’expérimentation est alors en cours. L’objectif des initiatives ainsi mobilisées est cependant redéfini : il s’agira d’alimenter la concertation avec l'ensemble des acteurs économiques locaux. Le chapitre six est l’occasion de revenir sur l’ensemble de cette première phase de l’institutionnalisation des Observatoires régionaux des transports qui se déroule pendant la décennie qui suit les lois de décentralisation.

Le dernier chapitre se focalise sur le fonctionnement de deux des structures mises en place dans le cadre de la politique des Observatoires régionaux des transports, dans les régions du Nord-Pas-de-Calais et de Rhône-Alpes. Il s’agit de décrire d’abord les places respectives qu’occupent les objectifs distincts du développement de l’expertise statistique en matière de transport et de l’organisation de la concertation avec les acteurs locaux du secteur. On analyse ensuite les conditions du rapprochement de ces deux programmes, en éclairant, ce faisant, le succès contemporain du concept des observatoires et, plus largement, l’évolution du champ politico-administratif local. On montre, notamment, en quoi la ressource de l’expertise

statistique apparaît comme une occasion, pour les différents acteurs locaux d’une politique, de se bâtir un langage commun, plus que comme la possibilité d’éclairer la réalité économique et sociale d’un regard qui serait jugé plus objectif ou plus précis. La construction du chiffre statistique apparaît comme la première étape des processus de construction de l’action collective. L’analyse suggère que les services de l’Etat, en investissant l’animation des observatoires régionaux, conquièrent une position stratégique pour la maîtrise des processus d’institutionnalisation de l’action collective qui seuls semblent assurer aujourd'hui une légitimité à l’action publique. Nous abordons enfin le mouvement récent de renforcement de la compétence statistique des services déconcentrés de l’Etat, favorisé notamment par la relance de la politique de réforme de l’Etat. La rhétorique qui entoure cette réforme permet ainsi de douter que la mutation du statut de l’information statistique révélée par les observatoires régionaux ait été envisagée dans toutes ses dimensions.