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L’accélération du processus d’institutionnalisation de la région au début des années soixante a fait l’objet, dès cette époque, de nombreux travaux dont les principaux ont contribué d’ailleurs à fonder en France la discipline de l’analyse des politiques publiques qui alimente la problématique de la présente recherche (cf. supra). Favorisés alors par les créations successives du Centre de recherche sur l'aménagement du territoire et l'administration économique (CERAT) à Grenoble en 1963, puis du Centre de sociologie des organisations (CSO) en 1965, ces travaux ont ainsi permis d’établir les principales dynamiques et caractéristiques d’un mouvement consacré par la réforme régionale de 1964.1 Le renforcement de la politique de planification régionale, la création d’une administration économique régionale, suscitent alors l’émergence, au sein du système politico-administratif local, d’un discours sur la nécessité de disposer d’une information économique régionale complète, régulière et de qualité.

Compte tenu de la tradition de travaux statistiques régionaux initiée dans certaines directions régionales de l’INSEE depuis la guerre, on songe d’abord que ces services pourraient conquérir à ce moment une position dominante dans le champ de la production de l’information économique régionale qui se développe. Pourtant, le départ de l’INSEE en 1961 de Francis-Louis Closon bouleverse la situation des directions régionales. Claude Gruson qui le remplace entend en effet consacrer toute son énergie à la mobilisation de l’institut dans le chantier de la comptabilité nationale qui doit permettre la développement de la politique de planification. Malgré les sollicitations de certains directeurs régionaux, aucune action n’est

1 On doit d’abord citer les travaux du directeur de l’IEP de Grenoble qui engage dès 1963 au sein de son laboratoire des travaux sur la politique de planification régionale qui donnent lieu, l’année suivante, à un numéro des Cahiers de la FNSP ; cf. Jean-Louis Quermonne (dir.), 1964, op. cit. Voir également Jean-Louis Quermonne, "Vers un régionalisme fonctionnel ?", Revue française de science politique, vol. 13, n° 4, 1963. Du côté du CSO, un programme de recherche mené sur « l’Administration face aux changements » donne lieu notamment aux publications de Pierre Grémion, La mise en place des institutions régionales, Paris, 1966, et Pierre Grémion, Jean-Pierre Worms, Les institutions régionales et la société locale, Paris, 1968.

plus engagée pour promouvoir leurs services dans le champ de la production de l'information économique locale.

Le chantier du chiffre en région est investi en revanche par les Missions régionales mises en place auprès des nouveaux préfets régionaux en 1964, ou les services déconcentrés du ministère de la Construction puis ceux du ministère de l’Equipement qui lui succède en 1966, avec en particulier les Organismes régionaux d'étude des aires métropolitaines, qui tous développent des compétences en matière d’expertise statistique et multiplient les études urbaines. Pour les promoteurs nationaux de la politique d’aménagement du territoire cependant, cette expertise économique régionale demeure insuffisante. Dans la perspective d’une proposition du Conseil économique et social, la DATAR lance alors l’idée de la création de structures regroupant les utilisateurs et les producteurs d'information économique dans les grandes agglomérations du pays autour du projet de rassemblement et de stockage de cette information : les Observatoires économiques régionaux.

Les débats et les combats que se livrent alors les acteurs nationaux et locaux, producteurs ou utilisateurs de l'information statistique, autour du projet des Observatoires économiques régionaux puis de son institutionnalisation, font l’objet de cette seconde partie.2 Ils permettent d’appréhender d’abord les conditions de l’abandon par l’INSEE au cours des années soixante du champ des études urbaines qu’investissent au contraire les ingénieurs de Ponts et chaussées par le biais de la création du ministère de l’Equipement. La proposition de création des OER apparaît alors comme une tentative de la DATAR pour suppléer au retrait de l’INSEE en région et se prémunir contre une pénurie d’informations économiques locales.

La réaction de l'ensemble des administrateurs de l'INSEE face à ce projet qui remet en cause le monopole de leur administration sur l’activité de coordination statistique incite à se pencher ensuite sur le fonctionnement et le développement du système statistique à cette époque. L’organisation, par l’association des administrateurs de l’INSEE, d’un important colloque consacré à la place de l’INSEE dans le champ de la production de l’information économique, offre cette occasion. Préparé pendant plus d’une année, imaginé avec le soutien

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Une étude importante sur le processus d’institutionnalisation des Observatoires économiques régionaux a déjà été réalisée par les sociologues Haroun Jamous et Pierre Grémion ; cf. Haroun Jamous, Pierre Grémion,

L'ordinateur au pouvoir. Essai sur les projets de rationalisation du gouvernement et des hommes, Paris, Seuil,

1978. Les auteurs centrent cependant leur recherche sur le lien de ces structures avec la politique d’informatisation des administrations menée au début des années soixante-dix notamment par la Délégation à l'Informatique créée auprès du ministère du Développement industriel en mars 1971. Notre enquête a porté essentiellement sur les années qui précèdent cette date, au cours desquelles se déroule le processus de genèse des observatoires, largement lié à l’action de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale comme l’indique d’ailleurs les auteurs dont le cadre problématique nous a largement guidé ; ibid., p. 28.

du directeur de l'INSEE Claude Gruson et tenu finalement sous le patronage de son successeur Jean Ripert, ce colloque laisse en effet d’importantes archives et de nombreux souvenirs dans les mémoires des protagonistes de l’heure. Ces matériaux permettent de retracer les investissements différenciés des directions de l'INSEE dans son organisation, les thèmes abordés dans les travaux préparatoires, les lieux de discussions et d’oppositions. On envisage alors les mécanismes organisationnels de l’institution de la statistique, ainsi que l'économie de ses liens avec les champs politique et scientifique. Ce faisant, on éclaire la réception, par ses administrateurs, du projet des OER, liée à des préoccupations nouvelles, que certains d’entre eux formulent, quant au monopole dont ils disposent dans l’orientation du système statistique. Le chapitre 4 se termine ainsi avec la clôture des travaux du colloque en juin 1967, alors même que se déroule à Marseille l’inauguration officielle du premier Observatoire économique régional.

Dans les semaines qui suivent le colloque, le nouveau directeur de l’INSEE engage la réforme des directions régionales dans laquelle les Observatoires économiques régionaux en cours d’installation sont marginalisés. Le projet d’orientation, par les acteurs économiques locaux, des systèmes locaux d'information en construction est progressivement abandonné, les OER devenant en quelques années les structures régionales de la nouvelle politique de diffusion de l’information que l’INSEE met en place. Cette institutionnalisation qui s’opère sur la base d’une réorientation du projet initial de la DATAR est à nouveau l’occasion d’envisager les deux versants de la dynamique du développement des institutions régionales du chiffre. On distingue en effet les mécanismes internes à l’INSEE qui favorisent le développement, dans les régions, des modes de production de l’information statistique éprouvés à l’échelon national. Mais on constate également que la réforme des directions régionales répond à une stratégie de reconquête par l’INSEE du champ de la production de l’information économique locale, stratégie qui résulte des interactions de l’INSEE avec son environnement politique. On souligne ainsi l’influence, au cours de ces dernières années de la décennie, des mouvements de mai 1968, de l’organisation, l’année suivante, du référendum sur les régions, ou encore celle de la préparation du VIème Plan, qui comporte une commission de l’Information économique. Le chapitre 5 s’achève avec le projet de rattachement des OER, en 1972, au nouveau département de la Diffusion de l’INSEE, qui consacre l’oubli du programme de leur genèse.

UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT DE LA STATISTIQUE RÉGIONALE