• Aucun résultat trouvé

UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT DE LA STATISTIQUE RÉGIONALE EXTÉRIEUR À L’INSEE

4.1. L’abandon du programme régional des directions régionales

Engagée avec les Plans d’action régionale, la politique de planification régionale se poursuit pendant la seconde moitié des années cinquante, les agents du Commissariat général au Plan chargés de l’élaboration des plans étant progressivement incités à réaliser leurs travaux en concertation avec les administrations ou les représentants économiques locaux. Malgré cette évolution, susceptible de favoriser la réussite du projet de Francis-Louis Closon, les directions régionales de l’INSEE ne parviennent pas à développer suffisamment l’activité de synthèse régionale qui pourrait les constituer en fournisseurs institutionnels des statistiques nécessaires à l’élaboration des plans régionaux. Elles semblent au contraire asphyxiées par le poids chaque année plus important des tâches d’exploitation destinées à la statistique nationale. En 1962, le Commissariat général au Plan recommande ainsi la création en région de « groupes de synthèses » rassemblant des fonctionnaires des différents services déconcentrés de l’Etat, qui enregistre cet état de fait.

La décision fait suite également à l’arrivée, quelques mois plus tôt, de Claude Gruson à la tête de l’INSEE. Celui-ci ne nourrit aucun dessein particulier en ce qui concerne les directions régionales. Contre le mouvement de décentralisation de la politique de planification régionale qui s’engage, il décide ainsi de faire réaliser les synthèses régionales par la direction générale, au sein de laquelle il crée une division spécifique. De même, concernant les études urbaines en plein développement, les directions régionales reçoivent des directives pour ne

pas engager des travaux qui risqueraient de les retarder dans leurs activités destinées à la production des statistiques nationales. De sorte que les Missions régionales, nées de la réforme de 1964, écartées, par leur décret même qui les crée, de l’activité de production statistique, développent, en revanche, des compétences d’étude statistique qui les placent rapidement en concurrence avec les directions régionales de l’INSEE.

Les directions régionales à l’écart des balbutiements parisiens de la planification régionale En décembre 1958, les Programmes d'action régionale sont fondus avec les Plans d'aménagement régional prévus par la loi cadre sur la construction de 1957 et deviennent des Plans régionaux de développement économique et social et d'aménagement du territoire. La procédure de leur élaboration, encore largement centralisée, prévoit cependant la consultation de « l’échelon régional » dont le statut demeure vague. Les directions régionales de l’INSEE apparaissent toutes désignées pour jouer le rôle que leur destine depuis plusieurs années Francis-Louis Closon. L’exemple du plan alors réalisé pour la région Rhône-Alpes, s’il révèle la mobilisation par son concepteur parisien de certaines données chiffrées de la direction régionale de Lyon, démontre surtout la faible lisibilité des travaux d’étude qui y sont réalisés. Les « variétés » du Bulletin régional de statistique ne sont pas évoquées parmi les sources du diagnostic. Cette absence est également le résultat de l’accroissement, constant depuis plusieurs années, de la part de leur activité que les directions régionales consacrent aux travaux nationaux.

A l’occasion de la création des Plans régionaux de développement économique et social et d’aménagement du territoire, le « groupe de synthèse » s’institutionnalise et devient le Comité des plans régionaux. L’innovation majeure vient cependant de ce que les plans régionaux sont dorénavant soumis à « une consultation de l’échelon régional organisé à la diligence des préfets ».1 Pour faciliter cette consultation, un décret du 7 janvier 1959 prévoit la désignation de préfets coordonnateurs chargés de présider des « conférences interdépartementales » – il n’existe pas encore de préfet de région. La vocation première de ces conférences est le suivi de l’application des plans régionaux. La procédure d’élaboration de ces documents demeure, elle, assez largement centralisée, confiée à un rapporteur par le biais du Comité des plans régionaux (cf. Figure 12).

Figure 12. Les documents de la planification régionale

Création Désignation Réalisation Type de document

Décret 55-873 du 30 juin 1955 Programmes d’action régionale (PAR)

Groupe de synthèse du Comité économique interministériel, présidé par Jean Vergeot, commissaire adjoint au Plan

Monographies régionales basées sur des études du type de celles réalisées par les directions régionales

Arrêté du 28

novembre 1956

Création de 22 régions de programme conformément aux conclusions des travaux du Groupe de synthèse Décret 58-1459 du 31 décembre 1958 Plans régionaux de développement économique et social et d’amé-nagement du territoire

Comité des plans régionaux du Commissariat général au Plan

+ consultation de l’échelon régional organisé à la diligence des préfets

Les travaux revêtent une forme très proche de celle des PAR.

Les directions régionales sont sollicitées, mais exclusivement comme fournisseurs de chiffres. Leurs études statistiques ne sont pas mobilisées (cf. Plan de Rhône-Alpes) Décret du

7 janvier 1959

Institution de préfets coordonnateurs chargés de présider des Conférences interdépartementales

Décret du 2 juin 1960

Institution de 21 circonscriptions d’action régionale.

modifications par rapport à 56 : la création de Rhône-Alpes (fusion des régions Rhône et Alpes), le rattachement à la région Midi-Pyrénées des Basses-pyrénées et des Pyrénées orientales.

Circulaire du 18 décembre 1961 Tranches opératoires du IVème Plan

Conférence interdépartementale L’objectif est d’établir des priorités dans les investissements. D’où la nécessité de disposer de synthèses régionales intersectorielles. On parle de quantification des plans régionaux Notes du

CGP des 30 mars et 20 octobre 1962

Recommandations pour la création de « groupes de synthèse » dans les régions pour la préparation des tranches opératoires

Instruction générale du 20 février 1964 Tranches régionales du Vème Plan

Conférence administrative régionale, après préparation par la Mission régionale

La logique de quantification des plans régionaux est encore renforcée.

Certains rédacteurs des plans régionaux s’appliquent à faire vivre la consultation régionale prévue par le texte du décret. C’est le cas en particulier du rapporteur du Plan de Rhône-Alpes, l’administrateur au Sénat Philippe Bernard, qui prend le temps de rencontrer de nombreux acteurs locaux et base son travail sur celui déjà réalisé par les différents Comités d’expansion économique successifs de la région.2 Une allusion à la direction régionale de

2 Philippe Bernard, "Rhône-Alpes. Plan régional de développement économique et social et d'aménagement du territoire", J.O., 1960, 336 p., p. 30.

l'INSEE inscrite dans son rapport publié en 1960 témoigne de ce que cette dernière a constitué son interlocuteur privilégié pour l'administration de la statistique.3 Le rapport comporte d’ailleurs d’importantes annexes statistiques – un tiers du rapport – qui proviennent en majorité de l'INSEE.4

Cependant, nulle part dans le Plan de Rhône-Alpes, il n’est fait allusion aux travaux des statisticiens de la direction régionale de Lyon. Le document – malgré les nombreuses annexes statistiques – est pourtant d’une facture qui le rapproche de ces travaux. Il n’a rien, en effet, d’une synthèse comptable régionale et se présente davantage comme un mémoire de géographe statisticien érudit sur la région. Dans le chapitre consacré à l’habitat urbain, l’évocation des « enquêtes menées il y a quelques années » permet d’imaginer que le Bulletin régional de statistiques Rhône-Alpes a été consulté (cf. supra). Les statisticiens de la direction de Lyon ont en effet développé une expertise particulière dans le domaine de la construction.5 Mais la référence n’est pas mentionnée. De même, concernant l’industrie automobile sur laquelle plusieurs études ont été publiées dans le BRS Rhône-Alpes sous forme de « variétés », rien n’est dit dans le rapport de Philippe Bernard.

Plutôt que de faire l’hypothèse d’une volonté délibérée du rapporteur parisien de ne pas citer l’intégralité de ses sources, on doit mettre en avant, au contraire, les différents indicateurs dont nous disposons de l’affaiblissement des directions régionales. Leurs effectifs d’abord, en baisse continuelle tout au long de la décennie précédente, sont incompatibles avec l’explosion des études urbaines et le développement de la politique de la planification régionale. De 1953 à 1958, le nombre de cadres dans les directions régionales passe ainsi de 122 (dont 37 administrateurs) à 114 (dont 31 administrateurs).6

Mais la principale cause de l’affaiblissement des directions régionales est l’alourdissement constant des tâches d’exploitation manuelle ou mécanographique des fichiers et enquêtes, destinées au système statistique national, alors que les besoins en études

3 A la page 325, il est ainsi fait allusion à des données du recensement 1954 « manquantes à la direction régionale ». L’établissement d’un contact avec la direction régionale de l'INSEE est également confirmé par André Babeau qui réalise quelques mois plus tard le plan de la Picardie ; cf. Entretien téléphonique avec l’auteur du 17 septembre 1999.

4 Les autres sources statistiques sont les différents services statistiques des ministères.

5 La rubrique « Construction » qui apparaît dans le premier numéro du Bulletin régional de statistique de la direction régionale de l'INSEE de Lyon, au 1er trimestre 1952, prend le nom de « Permis de construire » en 1954. Elle disparaît cependant en 1955.

6 « Note sur l'évolution depuis 10 ans du personnel dans les Directions régionales », 3 décembre 1962 ; SAEF, B 55 481. Cette statistique s’inscrit en faux de la note que Francis-Louis Closon adresse à son ministre en février 1960 dans laquelle il affirme qu’il a dû rapatrier en 1957 à la direction générale tous ses cadres des directions régionales. Cette dernière témoigne une nouvelle fois du militantisme de Francis-Louis Closon.

régionales ou locales sont sans cesse plus importants.7 Depuis le début des années cinquante, l'INSEE a en effet hérité de fichiers qui ont considérablement alourdi la charge de travail des directions régionales.8 De sorte que beaucoup d’administrateurs de l'INSEE, le directeur de l’Exploitation en tête, pensent que la tâche des directions régionales demeure avant tout une tâche d’exploitation.9 Parallèlement à l’extension des activités d’exploitation, il faut noter aussi leur mutation progressive qui rend la tâche des directions régionales toujours plus ingrate. A partir des années cinquante se développent en effet des travaux s’appuyant sur la méthode statistique nouvelle du sondage, qui nécessitent un nombre important d’enquêteurs.10 Les agents des directions régionales sont alors largement mobilisés. Or, si la gestion traditionnelle des fichiers, contraignante pour les directions régionales, leur permet cependant de réaliser des extractions régionales pour mener des études localement, le traitement régional des enquêtes par sondage est impossible. Outre l’opacité des formalismes mathématiques du calcul des probabilités, les échantillons, représentatifs au niveau national, sont inutilisables au niveau régional.

Faibles, les directions régionales n’ont pas la capacité de s’imposer pour réaliser les synthèses régionales confiées au Comité des plans régionaux. Malgré les velléités de Francis-Louis Closon, les directions régionales de l'INSEE demeurent à l’écart du chantier de la planification régionale qui se développe.

La politique régionale du nouveau directeur général de l’INSEE

En octobre 1961, le chef du service des Etudes économiques et financières du ministère des Finances, Claude Gruson, succède à Francis-Louis Closon à la tête de l’INSEE. La nomination est également l’occasion d’un rattachement d’une partie importante du SEEF à l'administration de la statistique. La fusion s’inscrit dans la perspective engagée l’année

7 Le remplacement progressif de la mécanographie par l’informatique qui libère les directions régionales d’une part importante des tâches d’exploitation, n’intervient que plus tard, après 1962 ; cf. Michel Volle, 1980, op. cit., p. 152.

8

Ainsi le directeur régional de Marseille écrira-t-il quelques années plus tard, dans un courrier qu’il adresse au directeur général, son regret que « les directions régionales s’encombrent encore de travaux comme le fichier électoral » ; cf. Note de Paul Carrère du 20 février 67, SAEF, B 55 481.

9

Dans une « note pour la coordination des travaux régionaux », vraisemblablement écrite au début de 1965, Gabriel Chevry fixe clairement comme restreinte « la part laissée aux travaux régionaux ». Seules selon lui les directions régionales des grandes villes « peuvent être chargées de travaux d’élaboration de synthèses statistiques et économiques : comptes régionaux, programmation, entreprise diverses » ; cf. SAEF, B 55 367.

10 Il s’agit des enquêtes, auprès des ménages, sur l’emploi, les budgets de famille et diverses pratiques sociales, ou de la mise sur pied de l’indice des prix. Sur cette évolution, voir INSEE, 1996, op. cit., pp. 54-55.

précédente, lors de la préparation du IVème Plan, réalisée pour la première fois sur la base des cadres de la comptabilité nationale.11 Il s’agit de faire de l'INSEE « l'instrument de la comptabilité nationale et l'infrastructure intellectuelle de la planification ».12 Ce faisant, le changement de directeur général de l'INSEE annonce l’abandon du programme régional des directions régionales.

Inspecteur général des Finances, Claude Gruson « bénéficie d’une certaine solidarité de corps avec les fonctionnaires du Budget » qui se traduit dès l’année suivante par un redressement du budget de l'INSEE que son prédécesseur n’aurait pu imaginer.13 Les directions régionales en revanche ne bénéficieront pas de cette manne nouvelle. Claude Gruson au contraire, après avoir pris connaissance de l’évolution depuis dix ans du personnel dans les directions régionales,14 décide le gel des crédits pour ces services.15

Parallèlement, Claude Gruson engage la réorganisation de l’organigramme de la direction générale (cf. Figure 13). Les directions régionales, pourtant vieillissantes, ne sont pas, une fois de plus, concernées par la réforme. La principale décision est la création de la direction des Synthèses économiques qui regroupe l'ensemble des services de l’ancien SEEF, ainsi que le service de la Conjoncture, anciennement rattaché à la direction « Statistique économique et conjoncture » que dirigeait le conjoncturiste Jacques Dumontier. La direction des Synthèses est confiée à Louis-Pierre Blanc, et, en son sein, la division des « Synthèses rétrospectives, Comptes économiques et Projections à court terme » à Jacques Mayer, tous deux des anciens collègues de Claude Gruson au SEEF, des « comptables nationaux » comme ils sont alors nommés à l’INSEE.

Figure 13. La réorganisation de l’organigramme de l’INSEE en 1962 Source : Cinquante ans d’INSEE… ou la conquête du chiffre, INSEE, 1996, p. 76. Statistique économique et conjoncture

Jacques Dumontier Démographie et exploitation Gabriel Chevry 11 Ibid., p. 74.

12 Michel Amiot, Contre l'Etat, les sociologues. Eléments pour une histoire de la sociologie urbaine en France

(1900-1980), Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1986, 304 p., p. 99.

13 Michel Volle, 1980, op. cit., p. 150. Pour une socio-biographie de Claude Gruson, voir Vincent Spenlehauer, 1998, op. cit., pp. 51-58.

14

Note du 3 décembre 1962, op. cit.

15 Ce n’est que lors de la préparation du budget de 1966 que Claude Gruson se souciera d’obtenir des crédits pour les directions régionales, reconnaissant au passage que « dans ce qu’il [considérait] comme une période de restriction budgétaire pour l'INSEE qui [avait] besoin de se développer encore (période 61-65), il [a] affecté ses administrateurs aux tâches de synthèses nationales, au détriment des directions régionales » ; cf. SAEF, B 55 367, Note du directeur général au ministre, « Perspectives d'évolution de l'INSEE », 6 juillet 1965.

Synthèses économiques Statistique générale

Travaux régionaux et coopération

Louis-Pierre Blanc Jacques Dumontier Gabriel

Chevry Synthèses rétrospectives Comptes économiques, Projections à court terme

Programmes Conjoncture Etudes régionales

(*)

Etudes théoriques

(*)

Consommation Etude des entreprises Jacques Mayer Jacques Méraud André Timmel Philippe Sentis Jacques Desabie André Hamaide

* Divisions ajoutées lors du second semestre de 1962 (cf. infra).

Concernant les statistiques régionales, le nouvel organigramme, qui fait apparaître une direction des Travaux régionaux, ne doit pas faire illusion. Sous ce terme trompeur, se cache l’activité de coordination des tâches d’exploitation effectuées par les directions régionales, auparavant prise en charge par la direction « Démographie et exploitation » que la réorganisation a amputée des services d'analyse, de son service de la Conjoncture en particulier. Il ne s’agit en aucun cas d’une promotion des « travaux régionaux » au sens où il en a été question jusqu'à présent dans ce travail d’études statistiques locales.

Engager la réalisation de synthèses régionales à Paris

Au moment où s’élabore le nouvel organigramme de la direction générale de l'INSEE, la régionalisation du Plan prend une nouvelle ampleur. Après six ans d’expérimentation, la politique des plans régionaux lancée en 1955 apparaît, en effet, insatisfaisante.16 Ces documents constituent de passionnants inventaires régionaux, cependant « dépourvus de prévisions datées, d’échéances ».17 Ils ne permettent pas d’aider à la localisation des équipements dont le financement est inscrit au Plan. A l'occasion des derniers travaux de la préparation du IVème Plan, il est décidé d’ajouter aux plans régionaux un échéancier des investissements, les « tranches opératoires », qui devront être déterminées par les préfets réunis au sein de Conférences interdépartementales.18 Devant les obstacles qui se présentent à

16 En 1962, douze plans ou programmes régionaux ont déjà été officiellement publiés ; cf. Bernard Pouyet, Patrice (de) Monbrison-Fouchère, 1964, op. cit., p. 157.

17 Ibid.

18 Définie dans une circulaire du 18 décembre 1961, la notion est inscrite quelques semaines plus tard dans la loi de création du IVème Plan de développement économique et social pour les années 1962 à 1965 ; ibid., p. 159.

la réalisation de l’exercice en région, Claude Gruson envisage de faire réaliser des synthèses régionales par la direction générale de l’INSEE.

Pour expliquer la nouveauté des tranches opératoires du IVème Plan, certains économistes évoquent le projet d’une « quantification des plans régionaux ».19 L’emploi du terme est délicat tant il pourrait laisser penser que les plans régionaux étaient jusqu’alors dépourvus de statistiques. Il suggère pourtant l’évolution envisagée pour ces documents ; de la forme d’études monographiques régionales réalisées par des économistes, géographes, ou urbanistes, vers une forme comptable plus systématisée se rapprochant de ce que les statisticiens nomment des synthèses. Ironie de l’histoire, c’est donc au moment où la politique de planification régionale opère un mouvement de déconcentration susceptible de favoriser la mobilisation des directions régionales de l’INSEE que les documents de planification régionale s’éloignent du type de travaux réalisés depuis des années par les directions régionales de l’INSEE (cf. Figure 12).

Pour les agents du système politico-administratif local mobilisés dans la préparation des tranches régionales par le biais de conférences interdépartementales, l’incapacité des directions régionales à satisfaire leurs demandes en information apparaît incompréhensible. Les universitaires grenoblois qui suivent la préparation de la tranche opératoire du plan de Rhône-Alpes dénoncent ainsi, dans un ton contestataire peu coutumier à leur corporation, la situation de la direction régionale de Lyon :

« De toute évidence, son rôle aurait pu être infiniment plus important si elle n’avait pas souffert d’un "scandaleux" sous-équipement en hommes et en matériel (Cette direction, qui occupe le second rang après celle de Paris, comprend deux administrateurs et quatre attachés).

« Il n’est pas question de faire de la planification régionale sans statistiques ; aussi importera-t-il à l’avenir, non seulement de régionaliser les différentes statistiques actuellement élaborées sur le plan national, mais aussi d’équiper les régions en laboratoires statistiques ».20

Devant l’absence, en région, de fournisseurs de statistiques de synthèse régionale, le Commissariat au Plan prend alors l'initiative de recommander, pour la préparation des

19

Jules Milhau, "La régionalisation du Plan en France", Revue de l'économie méridionale, n° 38, 1962, pp. 115-122, p. 119.

tranches régionales, la création en région de « groupes de synthèse » composés de hauts fonctionnaires appartenant aux grands corps techniques.21 Il s’agit de doter le préfet coordonnateur d’une administration technique capable de rassembler des éléments de cadrage pour les réunions de préparation du plan. Mais la constitution de ces groupes de synthèse se confronte au manque d’attrait que représente le projet pour les grands corps.22 La déconcentration en région de l'élaboration en région des tranches opératoires apparaît rapidement compromise. L'élaboration de la planification régionale doit demeurer parisienne. Par extension, les « tranches opératoires » des plans régionaux deviennent les tranches régionales du IVème Plan.23 Il s’agit d’opérer la régionalisation des prévisions en équipement inscrites dans le Plan.

Devant ce mouvement de centralisation, Claude Gruson dote la jeune direction des Synthèses économiques d’une nouvelle division, la division des Etudes régionales, qui sera chargée des productions statistiques concernant la politique de planification régionale : la comptabilité régionale et la programmation régionale.24 La première expérience de régionalisation des comptes nationaux est ainsi entamée, dès l’année suivante, sur la base des comptes de 1962 et publiée en 1966.25 Les directions régionales de l'INSEE n’y participent