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Les chercheurs, universitaires ou étudiants savent aujourd’hui que les directions régionales de l’INSEE constituent un lieu privilégié pour recueillir l’essentiel des données chiffrées du système statistique public disponibles pour une région déterminée. Les plus curieux ou entreprenants auront également constaté que loin de se limiter à une activité de diffusion de l’information statistique publique, ces institutions développent également des activités d’études et d’analyses statistiques. Les directions régionales de l’INSEE abritent en effet des statisticiens, personnels scientifiques hautement qualifiés, qui sont à l’origine des différentes parutions régionales de l’INSEE. Des études ou analyses des données statistiques brutes peuvent également être conduites en réponse à des commandes ponctuelles d’acteurs politiques et économiques locaux. Signe distinctif de cette activité de production intellectuelle régionale, les termes de « statisticiens régionaux » désignent aujourd’hui au sein de l’INSEE les statisticiens qui mènent ce type de travaux bien spécifiques dans les directions régionales de l’institution.

Ce lien avec le territoire régional distingue les échelons régionaux de l’administration de la statistique de quelques autres services de l’Etat déconcentrés qui entretiennent des rapports moins directs avec les acteurs économiques et sociaux de leur territoire d’implantation. Au sein du même ministère des Finances, on songe aux réformes en cours qui envisagent de renforcer le lien des services fiscaux avec leurs circonscriptions d’action administrative. Dans un autre secteur de l’administration, on peut penser aux rectorats du ministère de l’Education nationale qui appliquent une politique nationale sans que mandat leur soit donné d’organiser des concours dans des filières professionnelles qui répondraient aux demandes des acteurs économiques locaux. L’origine de ce lien des directions régionales de l’INSEE avec leurs territoires d’implantation remonte à la période de leur création, qui est

également celle de la genèse de l’échelon administratif régional lui-même. Les processus d’institutionnalisation de la région d’une part, des antennes régionales de l’INSEE d’autre part, conduits parallèlement sur près de quinze années, éclairent la nature de l’ancrage territorial des administrations déconcentrées de la statistique.

Lorsque les premières structures administratives régionales françaises de la statistique voient le jour, à la fin de 1940, leur vocation est très éloignée de celle que nous leur connaissons aujourd'hui. Il s’agit alors d’organes régionaux rattachés au nouveau Service de la démographie dont l’origine est, contre ce que le nom laisse penser, très liée à l'administration militaire. Fruit d’un projet de mécanisation des services de recrutement de l’Armée élaboré par un contrôleur général de l’Armée qui en prend la direction, son personnel est également issu en grande majorité des services de recrutement de l’Armée dissous par l’armistice. De sorte que les organes régionaux du Service de la démographie n’apparaissent pas liés à la création des préfectures régionales qui s’opère quelques mois plus tard, en avril 1941. Le premier chapitre aborde ainsi les origines et le contexte de la création du Service de la démographie, dont la fonction première est d’ailleurs aujourd’hui discutée par des travaux d’histoire récents. Notre contribution à ce débat, dont nous avons déjà mentionné les limites nécessaires, s’inscrit dans la perspective de définir le lien qui se noue en 1941 entre les organes régionaux du Service de la démographie et les préfectures régionales du régime de Vichy. Il s’agit notamment d’établir l’existence ou l’absence d’une volonté de construction d’un système statistique régional pouvant être mis à disposition du nouvel échelon administratif du régime.

Pendant les cinq années qui suivent leur création, le rapprochement entre structures locales de l’administration de la statistique et territoires régionaux s’initie lentement, générateur de quelques travaux statistiques régionaux. Ainsi, lorsque l'administration de la statistique prend son nom actuel au printemps 1946 et que perdurent les restrictions budgétaires imposées par la guerre, les directeurs régionaux se font-ils les défenseurs d’une réalité scientifique et sociale nouvelle, difficile à décrire cependant tant les productions statistiques régionales sont encore embryonnaires. Le chapitre 2 est l'occasion de se pencher sur cette période agitée au cours de laquelle le lien se tisse une première fois entre l’administration de la statistique et la région administrative.

Les mois qui suivent la Libération sont difficiles pour l’ensemble des implantations régionales de l’administration. Les anciennes préfectures régionales sont purement et simplement supprimées, ainsi que leurs circonscriptions administratives, car trop liées à

l’image du régime de la collaboration. Les directions régionales du SNS, maintenues, pâtissent en revanche de cette disparition. Constituant l’essentiel de l’important effectif de l’administration de la statistique, elles sont les cibles favorites des hommes politiques et hauts fonctionnaires qui se font les chantres de l’assainissement des finances de l’Etat. De plus, l’administration de la statistique elle-même, pourtant dotée d’un nouveau nom de baptême ambitieux, est régulièrement contestée. Le grand chantier modernisateur des années de reconstruction que constitue alors la planification se développe en effet à l’écart de la technologie de quantification économique et sociale dont l'INSEE dispose de la maîtrise, la mécanographie.

Malgré le contexte, le nouveau directeur de l’INSEE perpétue le soutien de son prédécesseur aux travaux statistiques régionaux dont plus personne ne se préoccupe jusqu’à ce que s’engage, au début des années cinquante, un processus de renouveau du régionalisme. Le mouvement débouche sur la mise en place d’une politique de planification régionale. La direction générale de l'INSEE tente alors d’imposer ses directions régionales en diffuseurs des « statistiques régionales » qui doivent servir de base aux travaux qui débutent. Malgré l’échec de cette tentative, la nouvelle institutionnalisation de la région administrative permet aux directions régionales de l'INSEE de retrouver une légitimité dans le champ politico-administratif. Le chapitre 3 se penche donc sur le mouvement de balancier que connaît la légitimité de la catégorie d’analyse et d’action régionale, qui affecte tout à la fois l’échelon administratif régional et les services régionaux de l'administration de la statistique. Il met ainsi en évidence le renforcement du lien tissé à partir de 1942 entre la statistique et la région, contre le projet initial de création des organes régionaux du Service de la démographie.

DES ATELIERS RÉGIONAUX POUR UNE ADMINISTRATION DE LA