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LES DIRECTIONS RÉGIONALES DE LA STATISTIQUE EN SOUFFRANCE

3.1. Les directions régionales au cœur du système statistique public

Dans les projets de création d’un ministère de l’Economie nationale qui se forgent pendant la guerre au sein des réseaux de la Résistance, l’outil statistique intersectoriel devait être au cœur de ce nouveau dispositif de gouvernement économique du pays. Mais, après la démission de Pierre Mendès France en avril 1945, le ministre des Finances qui hérite de la tutelle de l’administration de l’Economie nationale, René Pleven, abandonne le projet.

1 Sur le cas précis, cinq extraits sont ainsi mobilisés en quelques paragraphes qui s’étalent sur une centaine de pages.

Délaissée, la compétence statistique fait l’objet au début de 1946 de la convoitise du commissaire général au Plan, Jean Monnet, qui jette à cette époque les bases du chantier de la comptabilité nationale. Mais André Philip, qui remplace alors René Pleven à la tête du ministère des Finances, intervient pour contenir les ambitions probables de Jean Monnet. En quelques semaines, il organise le recrutement d’un nouveau directeur pour le Service national des statistiques, qu’il rebaptise ensuite Institut national de la statistique et des études économiques. Derrière ce changement de nom, Francis-Louis Closon hérite de la mission d’engager rapidement la réforme du système statistique public, celle des directions régionales en particulier qui apparaissent anachroniques depuis la suppression des régions. Francis-Louis Closon se fait cependant rapidement convaincre, par les administrateurs du système statistique, du caractère essentiel des ateliers mécanographiques régionaux. Leur suppression grève les chances de l’INSEE de disposer d’une information économique distinctive, susceptible de lui offrir une place parmi les institutions de gouvernement économique sur lesquelles s’appuiera la politique de planification qui s’engage. Freinant d’abord la politique de suppression des directions régionales qu’André Philip semble vouloir mener, Francis-Louis Closon profite, ensuite, de son départ pour y mettre un terme provisoire en précipitant l’engagement de leur réforme.

L’opposition de René Pleven au développement de l’administration de la statistique

Avec la chute du régime de Vichy s’installe le Gouvernement provisoire de la République française, le 9 septembre 1944. Pierre Mendès France, est nommé à la tête du nouveau ministère de l’Economie nationale, dont les contours administratifs sont discutés au cours de l’automne. Différents projets ont été élaborés pendant la guerre, au sein de plusieurs réseaux de la Résistance, convaincus de la nécessité d’organiser la direction de l'économie qui a fait défaut avant guerre.2 La structure arrêtée au début du mois de novembre est finalement issue de la synthèse de ces différents projets et de la réalité du secrétariat général pour les Affaires économiques hérité de Vichy, sur les bases duquel le ministère est installé. A ce double titre, les services de la statistique occupent une place importante dans le nouvel organigramme.

2 Michel Margairaz, 1991, op. cit., p. 739.

Parmi les projets de ministère de l’Economie nationale les plus précis, il faut évoquer celui établi à Alger au printemps 1944, à l'occasion des travaux de la « Commission d’étude des problèmes économiques de l’après-guerre » du Comité français de libération nationale (CFLN).3 Elaboré sur la base d’une note rédigée par Jules Moch, ce projet envisage, pour le nouveau ministère, quatre directions dont l’une est consacrée aux statistiques.4 Ce rôle confié à l’outil statistique est confirmé par la déclaration que fait, à son arrivée sur le territoire français, le futur ministre de l’Economie nationale, Pierre Mendès France, encore seulement commissaire aux Finances du CFLN. Il « réclame la haute main sur les directions financières, celles relatives aux prix, au commerce extérieur, aux assurances privées, à la statistique ».5 Logiquement, le nouveau ministère de Pierre Mendès France hérite ainsi de l’imposante direction générale du SNS de l’ancien secrétariat général pour les Affaires économiques de Vichy.6

Dans l’esprit des promoteurs de l’Economie nationale, l’outil statistique qu’ils souhaitent maîtriser doit servir à la réalisation de ce qui constitue leur grande ambition : la planification de l’économie. Parmi les directions que Jules Moch envisage dans son projet de ministère de l’Economie nationale en avril 1944, celle du Plan en est ainsi la « pièce maîtresse ».7 André Philip partage alors cette vision et la reprend dans son rapport final de la commission du CFLN : « la direction du Plan du ministère de l’Economie doit constituer l’organe dirigeant, au carrefour de la politique économique à court terme et de la stratégie du Plan, élaboré pour quatre ou cinq ans ».8 C’est donc sans provoquer de surprise que Pierre Mendès France qui prend la tête du ministère de l’Economie nationale annonce, dans une déclaration de novembre 1944, qu’il s’agit de remédier au plus vite à « l’absence d'informations et de renseignements sur l'économie française » pour bâtir le Plan qui va permettre au pays d’organiser sa reconstruction.

Pourtant, en quelques semaines, la politique économique de Pierre Mendès France suscite une coalition hétéroclite d’opposants. Basée sur un programme fait d’austérité et de dirigisme, elle mécontente à la fois les deux grandes forces politiques de l’heure, le Parti

3

La commission est présidée par André Philip, à qui l’on prête traditionnellement la paternité du ministère de l’Economie nationale.

4 Michel Margairaz, 1991, op. cit., p. 741. 5

Ibid., p. 747.

6 La direction du SNS est absente de l’organigramme du ministère de l’Economie nationale en janvier 1945 fourni par Michel Margairaz (op. cit., p. 783). Son existence est cependant affirmée par l’en-tête de plusieurs instructions aux directeurs régionaux émanant de la direction du SNS qui datent du début de l’année 1945 ; cf. Robert Carmille, 1999, op. cit.

communiste et le Mouvement républicain populaire (MRP) proche de De Gaulle.9 Rapidement privé de soutiens politiques et administratifs, le ministre de l’Economie nationale remet sa démission, le 4 avril 1945, au ministre des Finances René Pleven, qui cumule dès lors la direction des Finances et de l’Economie.10 L’appareil statistique de Vichy se trouve à nouveau placé sous l’autorité du ministre des Finances. La possibilité de profiter de la dynamique institutionnelle propre au nouveau ministère de l’Economie nationale s’éloigne.

Fait déterminant, René Pleven, président de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), ne partage pas la même vision du Plan que Pierre Mendès France. Il travaille ainsi rapidement au remplacement du plan mendésiste à long terme par un « Plan à petits pas », assemblage de plans sectoriels réalisés par les différentes branches professionnelles.11 Mais, à la différence de Jules Moch, qui prévoyait dans cet esprit le développement d’un outil statistique intersectoriel, René Pleven préfère parler de « monographies sectorielles ».12 L’affichage par le gouvernement du projet statistique va ainsi progressivement disparaître sous Pleven.13

La première réunion du nouveau Conseil de l’économie nationale en juin 1945 est l'occasion pour René Pleven de présenter sa vision institutionnelle de la politique de planification. Il se prononce contre l’installation de la direction du Plan dans son propre ministère. A une structure administrative, il préférerait la constitution d’un Conseil supérieur du Plan, placé auprès de la Présidence du Conseil, dont le secrétariat pourrait être assuré par un bureau resserré composé d’une dizaine de spécialistes.14 Ce Conseil ne serait chargé que de la synthèse des plans de secteurs, réalisés par les acteurs de terrain et ajustés pour un 8

Ibid.

9 Sur le positionnement et l’influence du MRP d’alors, voir Jacques Chapsal, 1984, op. cit., p. 122.

10 Pleven s’entoure cependant des services de Gaston Cusin, apparenté communiste, qui prend le titre de délégué à l’Economie nationale ; cf. Michel Margairaz, 1991, op. cit., pp. 793-94. Gaston Cusin fait partie des « Républicains et résistants », représentés à l’Assemblée nationale et auxquels appartient entre autres Pierre Cot ; cf. Jacques Chapsal, 1984, op. cit., p. 141.

11

Formule qui emporte également l’adhésion de son délégué à l’Economie nationale, Gaston Cusin. 12 Michel Margairaz, 1991, op. cit., p. 803.

13 Même si le changement sémantique ne signifie pas l’abandon par le ministre de l’Economie nationale de l’expertise chiffrée. Il est probable d’ailleurs que la place laissée aux statistiques dans les plans sectoriels réalisés par la direction des programmes du ministère de l’Economie nationale demeure importante. Le ministère de l’Economie nationale hérite en effet en janvier 1945 d’une partie des services statistiques de l’OCRPI ; cf. Michel Margairaz, 1991, op. cit., p. 788. De plus, Michel Volle a souligné la similitude qui existe entre le système de statistiques industrielles mis en place pendant la guerre au sein des structures du Secrétariat d’Etat de la Production Industrielle chargées de la répartition - l’OCRPI et les CO - et les enquêtes de branches qui seront mises en place plus tard, au cours des années 1950 ; cf. Michel Volle, Histoire de la statistique industrielle, Paris, Economica, 1982, 304 p., pp. 30-67. Même si ce dernier travail n’aborde pas de manière précise les monographies sectorielles promues par Pleven, on peut faire l'hypothèse de la continuité de cette production sur toute la période.

développement à court terme. Il s’agit de réaliser un inventaire des diverses branches par le biais de monographies sectorielles. Pas question donc de développer de nouvelles structures administratives transversales, capables de fournir des informations globales sur l’économie du pays. L’outil statistique disparaît du projet de ministère de l’Economie nationale.

En septembre 1945, la réorganisation des services du ministère de l’Economie traduit la réticence de René Pleven à l’idée d’un système statistique intersectoriel. L’importante direction du Plan est finalement fusionnée avec celle de la Documentation.15 Le SNS, dont les effectifs, bien qu’ils réduisent, demeurent considérables, reste à l’écart de la réorganisation.16 Le remplacement de son directeur intérimaire n’est toujours pas envisagé. Le système statistique, coûteux, est relégué dans la hiérarchie des priorités des ministres qui envisagent de planifier la reconstruction du pays.

La compétence statistique revalorisée par le chantier de la comptabilité nationale

Le 6 janvier 1946 est créé le Commissariat Général au Plan. Le 20 janvier, de Gaulle démissionne et André Philip remplace René Pleven à la tête du ministère des Finances. En quelques semaines, l’environnement institutionnel de l’appareil statistique du SNS est ainsi une nouvelle fois bouleversé.17 Jean Monnet est nommé à la tête du Commissariat général au Plan (CGP) avec la mission de consolider et d’amplifier l'action qu’il conduit depuis plusieurs mois en direction des Etats-Unis, dans l’optique d’obtenir des financements pour aider à la reconstruction du pays.18 Or, dès son arrivée en janvier 1946, Jean Monnet assigne au CGP un objectif chiffré. Il souhaite obtenir 4 milliards de dollars du gouvernement américain. Pour justifier de cette somme, il s’agit de faire valoir des arguments comptables. Dans les trois premiers mois d’existence du Commissariat général au Plan, plusieurs éléments peuvent être interprétés aujourd'hui comme des signes de la volonté de Jean Monnet de s’engager dans le

15 Ibid., p. 794. 16

Au cours de l’année 1945, les effectifs de l’INSEE passent ainsi de 8042 agents à un peu plus de 6400 agents dénombrés en février 1946 ; cf. Béatrice Touchelay, 1993, op. cit., p. 199.

17 François Billoux, en revanche, demeure ministre de l’Economie nationale. Il a remplacé le délégué à l’Economie nationale Gaston Cusin, lors du remaniement ministériel du 21 novembre 1945 qui fait suite à la victoire des communistes aux élections pour l’assemblée constituante du 21 octobre. Il a été nommé à la tête du ministère du même nom, à nouveau autonomisé du ministère des Finances. Albert Gazier fait son entrée au gouvernement comme sous-secrétaire d’Etat à l’Economie nationale. Cf. Jacques Chapsal, op. cit., 1984, p. 154. 18 Sur le lien que Monnet travaille à établir entre redressement national et recueil de l’aide financière américaine ; Michel Margairaz, 1991, op. cit., pp. 807-814.

projet de développement d’un appareil statistique intersectoriel, laissé en friche par René Pleven depuis son arrivée à la tête du ministère des Finances et de l’Economie en avril 1945. Cet aspect des choses mérite une attention particulière.

Dès le début de l’année 1946, Jean Monnet s’entoure au CGP de plusieurs spécialistes de la statistique, qu’il recrute à l’Institut de conjoncture, dont Alfred Sauvy a quitté la direction quelques mois plus tôt.19 La démarche de s’entourer des compétences de statisticiens est, pour l’époque, singulière. En effet, la communauté statisticienne n’est pas sortie renforcée de la guerre, malgré sa forte croissance organisée par René Carmille. Elle est très divisée, au contraire, sur l’héritage mécanographique, et semble incapable d’imposer la discipline statistique comme l’outil du gouvernement moderne. Mais Jean Monnet recrute des compétences très précises. Ainsi, René Froment, diplômé de l’Institut de la statistique de l’Université Pierre et Marie Curie, vient de faire paraître dans Le point économique, la publication de l’Institut de conjoncture, un rapport sur « la situation économique à la fin de décembre 1945 ».20 Or, ce travail constitue, selon l’expression de François Fourquet, « le premier tableau comptable réellement chiffré ».21 Les chiffres statistiques ne sont plus seulement mobilisés pour alimenter des descriptions monographiques sectorielles ; ils remplissent les colonnes d’un tableau destinées à devenir les « catégories comptables ».

Jean Monnet charge ainsi René Froment et ses collègues Jean Vergeot, Jacques Dumontier et Pierre Gavanier, de la préparation du dossier de négociation avec le gouvernement américain, présenté dès le 16 mars 1946, lors de la première réunion du Conseil du Plan.22 La publication de ce dossier quelques semaines plus tard, sous le titre Données statistiques sur la situation de la France au début de 1946, indique clairement son inscription dans la perspective entamée par René Froment à l’Institut de conjoncture.23 La dynamique de cette recherche est rappelée dans le témoignage de René Froment, qui se souvient que leur petit groupe se passionnait pour les questions de la statistique et travaillait au calcul du revenu

19 François Fourquet rapporte que c’est alors Sauvy qui fait la démarche d’aller trouver Monnet pour lui présenter ses anciens collègues de l’Institut de conjoncture ; cf. François Fourquet, 1980, op. cit., p. 53. Nous ne sommes pas convaincus par cette version des choses. Sauvy d’abord a quitté l’Institut de la conjoncture depuis le mois d’avril, date à laquelle il devient directeur de l’INED. On n’a pas retrouvé ensuite de témoignages des acteurs concernés sur ce lien qu’aurait favorisé Sauvy au début de 1946. A l’inverse, Sauvy participe quelques jours plus tard, avec ceux de ses anciens collègues restés à l’Institut de la conjoncture, à l’initiative du Comité supérieur du

revenu national que nous abordons bientôt et que nous jugeons concurrente de celle de Monnet.

20

Ibid., p. 396. 21 Ibid., p. 57.

22 Jean Vergeot est un ancien de la Fondation pour l’étude des problèmes humains - Fondation Alexis Carrel. Il y était chargé des « enquêtes financières » dans le département de François Perroux ; cf. Alain Drouard, 1992, op.

cit., p. 158.

national – l’expression de « comptabilité nationale » n’existant pas encore.24 Jean Monnet parvient ainsi à ouvrir un nouveau champ de réflexion pour lequel il crée d’ailleurs, au CGP, une division administrative « économique et statistique »25, dont l’ambition contraste avec l’abandon auquel se trouve réduit le SNS, alors sous la responsabilité de René Pleven.

Figure 6. Les ministres de l’Economie et des Finances de l’après-guerre

sept. 1944 avril 1945 nov. 1945 janv. 1946 juin 1946 déc. 1946 janv. 1947 nov. 1947 juillet 1948 Président du Conseil Charles de Gaulle Charles de Gaulle Charles de Gaulle Félix Gouin (SFIO) Georges Bidault (MRP) Léon Blum (SFIO) Paul Ramadier (SFIO) Robert Schuman (MRP) Ministre des Finances René Pleven (UDSR) René Pleven (UDSR) René Pleven (UDSR) André Philip (SFIO) Robert Schuman (MRP) André Philip (SFIO) Robert Schuman (MRP) René Mayer (Parti Radical) *Ministre de l’Economie Pierre Mendès France (Parti Radical) René Pleven (UDSR) François Billoux (PCF) François Billoux (PCF) François de Menthon (MRP) André Philip (SFIO) André Philip (SFIO) Félix Gaillard (Parti Radical) * A partir du ministère Schuman, en novembre 1947, le ministère de l’Economie devient un secrétariat d’Etat rattaché au ministère des Finances et des Affaires économiques.

L’entreprise de Jean Monnet d’investissement dans l’expertise statistique rencontre immédiatement l’opposition du nouveau ministre des Finances André Philip, qui succède bientôt à René Pleven quelques semaines plus tard, après la démission de De Gaulle (cf. Figure 6). Il partage avec son prédécesseur une préférence pour l’option d’un « Plan à petits pas », réalisé sur la base du recollement de plans sectoriels. En revanche, sa position diffère grandement de celle de Pleven en ce qui concerne l’usage des statistiques. André Philip est un des pères fondateurs du ministère de l’Economie nationale, convaincu de l’intérêt que le pays aurait à faire prévaloir les nécessités de l'économie sur celles de la finance, traditionnellement imposées par les inspecteurs des Finances. Tout affaiblissement du jeune ministère représente pour lui un risque de voir les agents du ministère des Finances recréer leur suprématie. On comprend dans ce contexte que l'entreprise de Jean Monnet, dont le lancement a nécessité la venue de statisticiens de l’Institut de conjoncture (rattaché au ministère de l’Economie nationale par le biais du SNS) et dont les productions s’affichent clairement comme une expertise statistique, apparaît inquiétante aux yeux de Philip. Sa position à la tête du ministère des Finances lui confère le pouvoir de riposter à cette entreprise, pouvoir dont il use largement dans le laps de temps que dure le gouvernement Félix Gouin.

24 François Fourquet, 1980, op. cit., p. 61. 25 Michel Margairaz, 1991, op. cit., p. 850.

C’est à cette même époque que François Billoux, ministre de l’Economie nationale, réforme les structures du ministère de l’Economie nationale.26 Il supprime la direction du Plan, l’élaboration du plan étant dorénavant prise en charge par le CGP.27 Il rebaptise ensuite la direction de la Répartition chargée de la réalisation des monographies sectorielles, « direction des Programmes ». Enfin, il crée une grande « direction de la Documentation et des statistiques ». Il n’est pas possible de tirer trop de conclusions de cet affichage institutionnel, pris isolément. Rapproché néanmoins de l’initiative du Comité supérieur du revenu national, on peut faire l’hypothèse que les responsables des ministères de l’Economie nationale et des Finances, André Philip et François Billoux, réfléchissent alors à une sorte de partage des rôles avec le Commissariat au Plan de Jean Monnet : au CGP, la formulation des orientations économiques gouvernementales ; à l’administration de l’Economie nationale, la préparation et le suivi des plans sectoriels, l’élaboration des statistiques en particulier.

L’expertise statistique se dessine donc à nouveau, au début de l’année 1946, comme un enjeu de connaissance pour l’action gouvernementale moderne. La genèse de la comptabilité nationale et du plan est l’occasion de cette renaissance après plusieurs années de disparition.

La logique conservatoire de la création de l'INSEE

Dans la perspective de la lutte engagée pour la primauté des réflexions sur les calculs de Revenu national, la création de l’INSEE apparaît moins anodine que ce que l’histoire a pu en retenir.28 Il était possible de s’interroger en effet sur la place occupée par l’annonce de la création de l'INSEE, aux articles 32 et 33 d’une loi engageant diverses dépenses pour l'exercice 1946 des finances. Plus que le caractère modeste de la réforme du système statistique, cette place suggère soit la précipitation dans laquelle la réforme intervient alors, soit les difficultés politiques auxquelles elle se trouve confrontée. De fait, au regard des paragraphes précédents, le caractère politique de la création de l'INSEE apparaît clairement. Elle est l'occasion d’abord d’afficher les ambitions retrouvées du ministère de l’Economie

26

La réforme annoncée par Billoux est entérinée par la loi du 27 avril 1946 qui crée également l'INSEE (cf.

infra) ; cf. Michel Margairaz, 1991, op. cit., p. 828.

27 Ibid., p. 826. La suppression de la direction du Plan s’inscrit dans la logique de la position des responsables communistes qui sont opposés à un plan de technocrates élaboré dans les ministères.

28 On a déjà mentionné la simple allusion à la création de l’INSEE faite par Michel Margairaz. On peut