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Le terrain d’investigation : l'Ecole des Jonquilles et le quartier des Cèdres

loin, cf. point 4.5.1).

La troisième enseignante des « petites classes » contactée, Solène, accepte de nous rencontrer. Le rendez-vous est pris pour le jeudi 16 septembre 2010 à 11h45, dans sa classe. Il s’agit de notre première rencontre afin de faire connaissance. L’entrevue dure une trentaine de minutes. A l’issue de la rencontre, nous notons nos impressions (contexte de l’entrevue, etc.) dans notre journal de terrain et formulons nos premiers questionnements. Grâce à l’accord de Solène s’ouvrent des portes qui vont nous aider à mener à bien notre enquête de terrain : l’accès à des lieux (la classe, la salle des maîtres, les couloirs et les différents bâtiments de l’école, la cour de l’école, …), à des personnes (l’équipe enseignante, certains parents d’élèves), à des situations ou des pratiques sociales et à des matériaux, pour une partie, confidentiels (tels que les dossiers scolaires).

Ainsi, notre enquête se déroule au sein de l’Ecole des Jonquilles, implantée dans un quartier populaire que nous avons appelé Les Cèdres, et constitue le site de référence pour analyser l’objet qui nous occupe, L’entrée à l’école à l’heure du partenariat. Nous pouvons résumer les critères de sélection de l’établissement scolaire tels qu’ils suivent :

La conjonction de deux sources d’informations – les entretiens exploratoires (n=5) avec deux enseignantes de L’Ecole des Jonquilles et le classement établi par le DIP concernant les établissements scolaires REP et leur quartier d’implantation – nous permettant d’accéder à un établissement REP desservant une population majoritairement issue de milieux immigrés et de milieux socialement et économiquement modestes ;

• L’accès au milieu d’enquête : autorisations des instances du DIP et du SRED, accords de la directrice de l’établissement et d’une enseignante d’une classe d’un double degré (enfants de 1e et 2e années d’école, soit n=21 pour la rentrée scolaire 2010-2011).

4.4 Le terrain d’investigation : l’Ecole des Jonquilles et le quartier des Cèdres

 

4.4.1 Description du contexte étudié

Le quartier des Cèdres est un quartier de la Ville de Genève configuré par un ensemble d’immeubles locatifs (un regroupement de quelque 900 appartements faisant la plus grande densité d’habitants au m2 de Genève), tout droit sorti de terre au début des années 1990. La vie du quartier se donne à voir à travers trois ensembles urbains principalement : les

appartements familiaux qui, pour une grande partie, donnent sur l’Ecole des Jonquilles (l’école se dressant au centre avec sa cour et un espace de jeux pour enfants), un espace associatif de quartier et le Centre Commercial souterrain. Le quartier des Cèdres est confiné entre un axe routier important, une route secondaire et une voie ferrée (voir la figure 1 ci-dessous).

Figure 1 : Plan schématisé du quartier des Cèdres et de l’école des Jonquilles

Du point de vue de son histoire sociale, le quartier investigué a été pendant tout le XXe siècle avec son quartier voisin, une zone de manufactures à caractère ouvrier (dont des travailleurs ouvriers « autochtones » ou « nationaux », puis des travailleurs ouvriers immigrés d’Europe latine, du Portugal en particulier). Ce site accueillait principalement des ateliers fabriquant des turbines hydrauliques, automobiles, machines-outils et régulateurs. Aujourd’hui, avec le déplacement de la plupart des industries en-dehors de la ville, le quartier des Cèdres est en pleine redéfinition. Nous pouvons l’observer, par exemple, par la présence de locaux de la Ville (dont un espace de quartier mis à disposition des habitants et des associations du quartier). Ce bâtiment accueille également un restaurant scolaire, un espace de vie enfantine et une structure sociale cantonale, notamment. Si le quartier dispose aujourd’hui de plusieurs structures sociales ou socioculturelles, il n’en était pas de même au moment de l’ouverture de l’Ecole des Jonquilles dans les années 1992. Il n’y avait alors qu’une ludothèque (ouverture en 1999) et le centre commercial. L’espace associatif de quartier pour les jeunes et les habitants ouvre quelques années plus tard, en novembre 2006.

Au moment de l’enquête, soit à la rentrée scolaire 2010-2011, l’Ecole des Jonquilles compte n=256 élèves âgés de 4 à 12 ans en majorité allophones (58%, selon les critères définis par le SRED) (Le Roy-Zen Ruffinen et al., 2013). Il s’agit d’enfants de familles immigrées provenant majoritairement du Portugal et des Balkans : Kosovo, Albanie, Bosnie- Herzégovine et Serbie. Ces premières familles se sont installées dans le quartier des Cèdres vers la fin des années 1980 et le début des années 1990, période qui correspond d’une part aux difficultés économiques que traversaient certaines régions du Portugal, et d’autre part, aux violents conflits touchant l’ex-Yougoslavie. La majorité des habitants est issue de milieux populaires. Le rapport de Soussi & Nidegger (2010), chercheurs au SRED, relate pour la rentrée scolaire 2008-2009 que sur les n=288 élèves fréquentant l’Ecole des Jonquilles, 11% des élèves sont issus de familles qu’ils catégorisent de « cadres supérieurs et dirigeants », 38% appartiennent aux « petits indépendants/employés/cadres intermédiaires » et 51% des élèves proviennent du milieu ouvrier catégorisé comme suit : « ouvriers/divers/sans indication » (p. 11). A titre de comparaison, l’ensemble du canton de Genève compte 39% d’élèves (public enfantin et primaire) issus du milieu ouvrier (Mémento statistique, SRED, 2009). Relevons également que le taux de chômage est un peu plus de 7% pour la commune dans laquelle est implanté le quartier des Cèdres et de 6% pour le canton de Genève. Le taux d’aide sociale au sens large (c’est-à-dire avec au moins l’une des prestations suivantes : allocations de logement, aide sociale au sens strict, prestations complémentaires cantonales à l’AVS, prestations complémentaires à l’AI, RMCAS, avances de pensions alimentaires) est de l’ordre de 12% pour le canton de Genève en 2009 et de 14% pour la ville de Genève – dans laquelle est compris le quartier investigué (Statistique suisse de l’aide sociale pour 2009). Il faut ajouter qu’un nombre croissant d’habitations du quartier des Cèdres, subventionnées par l’Etat durant 20 ans (logements sociaux « HLM »)87, ne sont aujourd’hui plus sous le contrôle étatique. Ces immeubles sont passés en loyer libre et leurs loyers ont, par conséquent, augmenté88. Si le quartier des Cèdres reste aujourd’hui à dominante populaire, il ne pourrait être assimilé à un quartier de milieu ouvrier exclusivement (comme il l’était au XXe siècle) ; autrement dit, à un milieu populaire homogène. Force est de constater que la composante des familles populaires du quartier s’est depuis diversifiée : en plus d’ouvriers peu qualifiés (Chauveau, 2000) notamment, on trouve des réfugiés de pays en guerre ou ayant connu une catastrophe naturelle (certains pays d’Afrique, Haïti), des « naufragés économiques » (Jaeggi et al., 2003, p. 11) provenant de certains pays d’Amérique Latine et d’Afrique, des personnes (autochtones ou pas) sans emploi, d’autres sans papiers, d’autres encore bénéficiaires des minima sociaux. Ces

                                                                                                               

87 Au début des années 1990 à Genève, une redistribution de la population dans les logements HLM est intervenue

simultanément avec la loi générale sur le logement et la protection des locataires et une conjoncture défavorable (croissance forte et durable du chômage). L’application de cette nouvelle loi a parfois contribué à regrouper en un même territoire des populations aux conditions de vie fragiles et/ou précaires (chômage, faibles revenus, problèmes familiaux, difficultés d’intégration sociale et professionnelle, …) (Jaeggi et al., 2003). Ce constat pourrait également s’établir pour le quartier investigué.

88 Pour une illustration, le loyer mensuel (y.c les charges) est de 1975 CHF pour un appartement de 4 pièces

genevois ; de 2590 CHF pour un 6 pièces. Ces chiffres nous ont été transmis par la mère de Julija en entretien (elle et sa famille habitent depuis longtemps dans le quartier et semblent donc bien connaître les loyers moyens). En outre, si l’on se réfère aux loyers mensuels moyens en 2011 selon la commune (ici la Ville de Genève) calculés par l’OCSTAT (2011), un 4 pièces revient à 1376 CHF et un 6 pièces à 2409 CHF.  

transformations et diversifications sociales se traduisent par des pratiques hétérogènes dans les rapports hommes/femmes, en matière d’éducation, dans le rapport à l’institution scolaire et au quartier, notamment. Il s’agira dès lors de garder à l’esprit ce paramètre lors de l’interprétation de nos résultats. Ceci étant, à l’instar d’Alonzo & Hugrée (2010), nous considérons que « tous ces groupes ont un point commun : ils occupent une place socialement subordonnée donnant lieu à une faible reconnaissance que ce soit de la part des individus qui occupent ces places ou de la part des autres groupes de la société » (p. 27). Enfin, il convient de souligner deux points. Premièrement, les « alliances » entre des membres de milieux populaires et de classes moyennes ne sont pas « improbables » (p. 24). Deuxièmement, dans le quartier des Cèdres vivent également des familles appartenant aux classes moyennes89, elles sont cependant numériquement minoritaires. Si l’on regarde du côté des professionnels de l’école investiguée, ils appartiennent en majorité aux classes moyennes90, un constat déjà observé par de précédentes études pour le contexte genevois (Montandon & Perrenoud, 1994 ; Jaeggi et al., 2003 ; Delay, 2011, 2013) et français (Thin, 1998 ; Périer, 2005).

Les parcours scolaires des élèves habitant le quartier des Cèdres et scolarisés en REP peuvent être considérés comme un peu plus difficiles que dans d’autres quartiers genevois. Le Roy-Zen Ruffinen et al. (2013) observent que les élèves fréquentant des écoles primaires REP sont plus nombreux à connaître des difficultés dans leur scolarité obligatoire : « en moyenne 1,7% des élèves qui étaient scolarisés dans un établissement du REP en 2011 redoublent leur degré en 2012, contre 1,2% dans les autres établissements. En 8P HarmoS (8PH), 16% des élèves du REP sont en retard dans leur scolarité en 2012, contre 13% en moyenne dans les autres établissements. Cette proportion s’élevait à 20% en 2008 contre 13% hors du REP » (p. 18). Par ailleurs, les chercheurs du SRED constatent que lors de la transition de l’école primaire vers le secondaire I (appelé Cycle d’orientation), 52% des élèves scolarisés dans une école REP (en dernière année) sont orientés dans la filière à exigences scolaires les plus élevées du Cycle d’orientation (dit le « regroupement 1 »)91 contre 66% des élèves scolarisés dans une école « hors REP ». Ils sont 31% à aller dans le regroupement 2 contre 20%, et enfin, 12% contre 5% à être orientés dans le regroupement à faibles exigences scolaires (regroupement 3). Les propos de l’éducateur social de l’Ecole des Jonquilles vont dans ce sens lorsqu’il évoque en entretien que le niveau scolaire est « très faible » et que la principale difficulté des écoles REP comme dans l’établissement susmentionné est le Français I, c’est-à-dire la compréhension et l’expression orales et écrites et la lecture dans la langue de scolarisation. Il estime qu’un tiers des élèves de l’Ecole

                                                                                                               

89 Par classes moyennes, nous nous référons à la définition proposée par Chauvel (2006) qui les situe à partir de

trois grandes références complémentaires : (1) un niveau de rétribution s’approchant de la moyenne, (2) une position intermédiaire dans les hiérarchies sociales et professionnelles et dans « les échelles de qualifications, marquées par une expertise ou un pouvoir organisationnel moyens » et (3) un sentiment d’appartenance dynamique « notamment par le fait d’identifier son sort – ou celui de ses enfants – à celui de ce groupe intermédiaire » (p. 20).

90 Pour rappel, la description détaillée de notre population d’enquête est présentée au point suivant (cf. point 4.5). 91 Depuis la rentrée scolaire 2011, l’organisation du Cycle d’orientation a subi des transformations conformément

aux résultats de la votation cantonale au printemps 2009. Pour plus de précisions, voir :

des Jonquilles passent au Cycle d’orientation dans le regroupement 1, un peu moins de deux tiers des élèves dans le regroupement 2 et à peine 10% passent dans le regroupement 3, la section « la plus basse ». Rappelons à nouveau que l’Ecole des Jonquilles est par ailleurs entrée en REP à la rentrée scolaire 2008-2009 selon des critères définis par le SRED (cf. Chapitre 1, point 1.3.3).