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Au cours de cette dernière décennie, le système éducatif suisse connaît de profondes transformations. Il faut cependant souligner la complexité de ce dernier. Au sein du fédéralisme suisse, les 26 cantons jouissent d’une ample autonomie en matière d’éducation. Afin d’harmoniser à l’échelle nationale les différents systèmes scolaires, un accord intercantonal voit le jour en 2006 (concordat HarmoS)69. Cet accord prévoit, entre autres choses, l’uniformisation de l’âge d’entrée à l’école ainsi que la durée de la scolarité obligatoire. Le 21 mai de cette année-là, le peuple suisse accepte avec une très nette majorité (86%), de même que les cantons, les nouveaux articles constitutionnels sur la formation. Le concordat HarmoS rencontre cependant de fortes résistances (CDIP, 2010) jusqu’à son entrée en vigueur le 1er août 200970 car il représente une incidence considérable sur l’éducation préscolaire. Les débats politiques et sociaux concernent particulièrement la généralisation d’une deuxième année d’école enfantine et l’abaissement de l’âge d’entrée à l’école obligatoire à 4 ans révolus. Ainsi, pour certains cantons (Fribourg, par exemple), une deuxième année d’école enfantine fut introduite. Les adaptations à réaliser sont importantes et exigent une révision des lois scolaires. Pour d’autres (le canton de Genève, par exemple), l’entrée à l’école de l’enfant ayant déjà lieu à l’âge de 4 ans, il s’agissait alors de la fixer de manière obligatoire (Kappeler, 2015). Il convient de préciser qu’à Genève, si la première année d’école enfantine n’était pas obligatoire, la quasi-totalité des enfants âgés de 4 ans la fréquentaient. Ainsi, les modifications structurelles engendrées par le concordat HarmoS n’ont qu’« un faible impact sur les pratiques et les effectifs scolarisés, puisque depuis de longues années, [le canton genevois connaît] une très forte adhésion des parents à une scolarité dès 4 ans » (Le Roy-Zen Ruffinen et al., 2009, p. 12). En 1970, un peu moins de 50% d’enfants résidant à Genève âgés de 4 ans (au 31 décembre 2012) y étaient inscrits. Cette proportion augmente jusqu’à plus de 84% en 2009 (Le Roy-Zen Ruffinen & Jaunin, 2011) (cf. tableaux I et II ci-dessous, résumés à partir de ceux proposés par le SRED).

Tableau I : Taux nets de scolarisation dans l’enseignement public et privé au 31 décembre 2005 et 2009

4 ans (1) 5 ans

2005 2009 2005 2009

Enseignement primaire public 85.7 83.9 86.4 84.7

Enseignement primaire privé 8.4 9.7 10.1 11.4

 

(1) Enfants âgés de 4 ans au 31 octobre (âge requis en 2005 et en 2009 pour pouvoir entrer en 1E)

Source : SRED/nBDS/Etat au 31.12, OCSTAT au 31.12 – Statistiques universitaires

                                                                                                               

69 Plus précisément, l'accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire (appelé aussi concordat

HarmoS) permet d'uniformiser, sur l’ensemble des cantons, « l'âge d'entrée à l'école, la durée de la scolarité obligatoire ainsi que les objectifs à atteindre à l'issue de chaque cycle ou degré. Cet accord poursuit deux objectifs principaux : d'une part, accroître la qualité de l'école obligatoire et, d'autre part, faciliter le changement d'école pour les enfants qui déménagent dans un autre canton » http://www.erz.be.ch/erz/fr/index/direktion/ueber-die- direktion/dossiers/harmos.html (consulté le 24 août 2015).

70 Les cantons suisses disposent d’un délai transitoire de six ans, soit jusqu’à la rentrée scolaire 2015-2016, pour

Tableau II : Taux nets de scolarisation à 4 et 5 ans, division élémentaire du primaire (public et privé)

Age 1970 1975 1980 1985 1990 1995 1999 2000 2001 2002

4 ans révolus au 31.10

(âge scolaire) 88% 89% 91% 92% 93% 94% 94%

4 ans révolus au 31.12 (âge civil)

43% 62% 70% 72% 76% 77% 80% 78% 80% 80%

5 ans révolus au 31.12 (âge civil)

93% 96% 95% 95% 95% 97% 98% 96% 97% 96%

 

Source : OCSTAT/OCP/BDS/SRED/Etat au 31.12

NB : population résidente au 31 octobre : données manquantes de 1970 à 1985.

Plus fondamentalement, les controverses se cristallisent autour des « missions » (Kappeler, 2015, p. 10) que l’on souhaite accorder (ou redéfinir) à l’école enfantine. Selon Kappeler, deux points de tensions émergent : un premier point de tensions concerne les acteurs (politiciens, professionnels de l’éducation, parents) qui favorisent le développement socio- affectif de l’enfant vs ceux qui encouragent une scolarisation précoce (notamment le développement de la langue de scolarisation). Le deuxième point de tensions est illustré par les acteurs préconisant la responsabilité partagée entre les deux instances de socialisation que sont la famille et l‘école vs ceux qui prônent une responsabilité exclusive des parents. Le recul historique proposé au Chapitre 1 de notre travail rappelle de manière étonnante que les débats contemporains qui prennent forme sur la scène de l’éducation du jeune enfant concernent des problématiques proches, s’agissant des finalités ou missions éducatives délivrées aux structures d’éducation et d’accueil. Les propos fondateurs de Pauline Kergomard à l’égard des écoles maternelles républicaines françaises valorisaient, par exemple, l’apprentissage de l’enfant au sein de sa famille et ainsi, se confrontaient aux anciens schémas disciplinaires hérités des salles d’asile (inculquant une éducation dite de « dressage »)71.

Avec l’instauration de deux années d’enseignement obligatoire à l’école enfantine, de nouveaux objectifs vont naître. En Suisse romande, ils sont définis par le Plan d’études romand (PER)72. La formulation HarmoS propose une nouvelle nomenclature et parle désormais de 1e et 2e années d’école primaire (ou 1H et 2H). On ne parle officiellement plus d’école enfantine. La scolarité obligatoire s’étend sur onze années : huit années à l’école primaire (au lieu de six auparavant) et trois années au Cycle obligatoire. La scolarité enfantine – plus globalement l’éducation préscolaire – est également confrontée à des attentes sociales accrues. En effet, il est attendu des structures d’éducation et d’accueil de la petite enfance qu’elles préparent les enfants « le plus précocement possible [aux] apprentissages sociaux et culturels propices à [leur] socialisation scolaire, ainsi qu’à [leur] intégration et celui de [leur] famille » (Giuliani & Payet, 2014, p. 8). Des études mettent en évidence que ce sont des compétences de socialisation scolaire, langagières et de familiarisation au travail scolaire que les jeunes enfants sont appelés à développer (Hutterli

                                                                                                               

71 Voir Chapitre 1 (point 1.1.2) : … à la création de l’école enfantine, laboratoire d’une science de l’enfant. 72 Tandis que pour la Suisse alémanique, il s’agit du Lehrplan 21, et pour le Tessin, il Piano di studio.  

& Vogt, 2014 ; Garcion-Vautor, 2003 ; Brougère, 2002). Plus concrètement, les apprentissages fondamentaux préconisés par le PER concernent prioritairement la socialisation de l’enfant au contexte scolaire, la construction de savoirs tels que définis par l’institution scolaire et la mise en place d’outils cognitifs73. Ces trois aspects sont définis de la manière suivante (cf. PER en ligne) :

1. Socialisation :

Le premier aspect, fondamental, concerne la socialisation de l’enfant au contexte scolaire. Dans cette perspective, les deux premières années du cycle sont le lieu de transition privilégié entre la famille et l’école. La socialisation visée peut être définie de la manière suivante : apprendre à vivre et interagir avec des pairs, apprendre à accepter une autorité tierce, apprendre à accepter et à suivre des règles de vie, de fonctionnement, thématiques développées par la Formation générale. Mais la socialisation scolaire ne peut s’effectuer sans apprentissages. Au-delà et en plus du « vivre ensemble », il s’agit d’« apprendre ensemble » à partir d’un travail sérieux, même si ce travail emprunte parfois les formes du jeu.

2. Construction des savoirs :

Le deuxième aspect, complémentaire, vise la construction des savoirs tels que définis par l’institution scolaire. Apprendre à l’école, c’est développer un rapport spécifique au savoir qui va permettre à l’élève, dès son entrée dans le cycle 1, de construire pour chaque domaine précisé dans le PER, les connaissances et compétences utiles et nécessaires à sa réussite scolaire et à son apprentissage des règles du monde qui l’entoure.

3. Mise en place d’outils cognitifs :

Le troisième aspect, la mise en place d’outils cognitifs, lié aux deux précédents, s’inscrit dans l’« apprendre à apprendre » que le plan d’études aborde notamment dans les Capacités transversales. Pour construire les savoirs attendus, l’élève doit s’approprier les règles permettant d’entrer dans le savoir scolaire et acquérir peu à peu les normes propres au travail intellectuel indispensables à la réussite de tout apprentissage.

Ces préconisations ne sont pas sans susciter quelques vives réactions ou inquiétudes du côté des professionnels de l’éducation qui tendent à privilégier les objectifs de socialisation, comme le fait ressortir l’étude de Saada & Ducret (2009).

                                                                                                               

2.3 Un nouveau maillage institutionnel : vers une éducation préscolaire « en