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4.7 Les analyses

4.7.1 Les procédures d’analyses

Le matériau ethnographique a été traité à l’aide du logiciel d’organisation et d’analyse qualitative TAMSAnalyzer 4.0 (version 2010)97. Le choix s’est porté sur ce logiciel (plutôt que NVivo par exemple, davantage connu) avant tout pour des raisons économiques et pratiques : il s’agit d’un logiciel à téléchargement gratuit et compatible avec notre ordinateur privé (Mac OS X version 10.6.8). En outre, ce logiciel équivaut aux autres existant actuellement relativement aux possibilités d’organisation (classement des unités de sens en codes, puis catégories et sous-catégories) et d’analyse (catégorisations thématiques). Ce dernier a été utilisé essentiellement pour sa fonction d’organisation du matériel et son système de codage. C’est ainsi par exemple que nous avons organisé et codé notre corpus empirique selon différents espaces d’interactions de la rencontre familles-école observés. L’activité de codification s’est également réalisée en deux phases : dans un premier temps, « sur papier », c’est-à-dire en lisant un à un, chaque entretien et compte-rendu ethnographique transcrits, puis dans un second temps à l’aide du logiciel. Ce long effort de codification (au premier abord peu gratifiant au même titre que peut paraître la transcription), et par là, la lecture répétée de notre corpus n’a pas été inutile, car il a permis de nous familiariser avec les discours et les pratiques observées de manière minutieuse. Les données que nous livrons dans les prochains chapitres ont fait l'objet de différentes procédures d'analyse, réalisées parallèlement. Plutôt que de considérer l'analyse qualitative comme une étape circonscrite au processus de recherche, suivant la phase de collecte des données, nous avons choisi de l'envisager comme un processus continu (Silverman, 2005). Ce processus a débuté dès notre entrée sur le terrain avec la réalisation des entretiens exploratoires en 2009 et s'est poursuivi jusqu'à la rédaction finale du manuscrit. En nous inspirant de la Grounded Theory (Glaser & Strauss, 1967), notre démarche d’analyse consiste à effectuer un va-et-vient constant entre le matériel empirique et la théorie. Une telle démarche inductive a ainsi façonné progressivement l’élaboration de l’analyse. Selon Paillé (1994), la Grounded Theory ou la théorisation ancrée – qu’il considère davantage comme un processus plutôt qu’un résultat –, « c’est dégager le sens d’un événement, c’est lier dans un schéma explicatif divers éléments d’une situation, c’est renouveler la compréhension d’un phénomène en le mettant différemment en lumière » (p. 149).

Dans une analyse qualitative progressive des données, Paillé (1994) distingue six étapes importantes qui marquent l’évolution d’une analyse par théorisation ancrée (la codification, la catégorisation, la mise en relation, l’intégration, la modélisation et la théorisation). Ces étapes ne sont toutefois pas mutuellement exclusives et la progression n’est pas toujours

                                                                                                               

linéaire, par exemple dans le cas de la codification et de la catégorisation. Lors de cette étape, nous avons parfois fait « chevaucher » une codification nous paraissant contenir une certaine « consistance conceptuelle » (p. 157) avec une catégorie. D’autres codes que nous avons regroupés entre eux signalaient une idée plus large et ont donné lieu à une catégorie exploitée dans le corpus empirique (nous songeons par exemple aux termes « participer », « être actif », « effacé », « faire des efforts » etc., relevés dans les comptes rendus ethnographiques des observations des entretiens formels, et qui renvoient plus largement à des critères d’évaluation discrète de l’enseignante, cf. Chapitre 5). Nous avons également utilisé différentes logiques de codage : certains codes sont de nature factuelle (caractéristiques sociodémographiques des personnes interviewées ; informations concernant la date de la collecte des données, le lieu, la durée et les personnes présentes et plus largement, restituer le contexte), d’autres servent à décrire « l’ambiance » des rencontres (en entretiens formels, en entrevues de recherche, par exemple). D’autres codes encore consistent à relever les catégories indigènes utilisées par les parents et les acteurs de l’école. Il faut noter, à la suite de Miles & Huberman (2003), que nous avons choisi de nous appuyer sur un système mixte de création des catégories : certaines proviennent de notre matériau ethnographique et d’autres sont issues de nos lectures et du cadrage théorique utilisés dans ce travail. C’est ainsi par exemple que nous avons créé des catégories et procédé à l’analyse des données en nous inspirant des travaux de Mangez et al. (2002) relativement aux différents registres interprétatifs sur lesquels s’appuient les familles et l’enseignante pour évaluer une situation scolaire en entretien formel (cf. Chapitre 5), ou encore, en faisant usage du concept de l’entre-soi proposé par Donzelot (2008) dans notre analyse du quartier comme troisième acteur participant à la construction et à la structuration d’un partenariat familles-école (cf. Chapitre 7). Ce choix dans la procédure d’analyse a été motivé par le fait que si « les frottements entre savoir local et savoir global » (Kaufmann, 2007, p. 90) ou les nombreux allers-retours avec le terrain semblaient suffire à un premier niveau de problématisation (comme décrits plus haut), ils se sont avérés moins satisfaisants pour « monter en généralité » (p. 90). Cicourel (2003) relayé par Kaufmann (2007) suggèrent ainsi d’« abandonner la stricte position inductive pour la combiner avec des déductions mises à l’épreuve du terrain » (p. 91). Dans cette perspective, il s’agissait de combiner des concepts émergeant de notre corpus avec des concepts issus de propositions théoriques établies, mais mises à l’épreuve du terrain. Aussi, les lectures théoriques se sont avérées, à ce stade de l’analyse, des outils essentiels. Finalement, ces différentes logiques de codification et catégorisation ont modelé progressivement une grille d’analyse en différentes dimensions et thématiques, avec comme fil conducteur d’analyse nos principales questions de recherche. Cette étape de l’analyse thématique catégorielle (Miles & Huberman, 2003) a ensuite permis l’interprétation des données de notre corpus empirique en vue de tendre vers une « théorisation » (Paillé, 1994).

 

 

 

 

 

 

Troisième partie : Analyse

 

« Se rapprocher » : Épreuves, ambivalences et

pratiques d’un partenariat familles-école

naissant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

TROIS ESPACES D’INTERACTIONS

Alors que pendant longtemps a dominé l’idée selon laquelle une coupure entre les familles populaires et l’école dite « républicaine »était nécessaire afin d’extraire l’enfant de l’influence de son milieu d’origine (Thin, 1998 ; Perroton, 2000 ; Périer, 2005 ; Glasman, 2008), c’est un mouvement inverse (Giuliani & Payet, 2014) qui s’observe aujourd’hui : « familles et école sont deux institutions [désormais] condamnées à coopérer dans une société scolarisée » (Perrenoud, 2000 [1994], p. 76). Les relations entre les familles et l’école se structurent autour d’un nouveau modèle de relations et d’intervention socioéducative : le partenariat. Se rapprocher pour « agir au plus près de l’usager » (Astier, 2007, pp.67-68), tel sera l’un des principes de base impulsé par les nouvelles politiques éducatives en Europe comme en Suisse dès les années 1980. Par le biais de ce dispositif institutionnel, l’école se voit encouragée à construire des liens de proximité avec les familles, particulièrement lorsque les établissements scolaires sont situés sur des territoires socialement disqualifiés (Giuliani & Payet, 2014). Or, l’examen de nos données empiriques nous apprend que la mise en place de ce principe se construit de façon partielle et parfois contradictoire. Le partenariat et le travail de collaboration avec les familles peinent à se constituer. Cependant, ils se nouent là aussi où l’on ne s’y attend pas. Quelles sont alors les formes que peuvent prendre ces liens ? Quels sont les enjeux, les rapports de pouvoir et les tensions qui s’y déploient ? Et quelles sont les formes d’ajustement ? Après l’examen de ce que Glasman (1992) nomme « l’implicite théorique du partenariat » (p. 35) dans la première partie du présent travail (cf. Chapitre 1), cette troisième partie analyse les manières de se rapprocher des familles et des acteurs de l’école.

L’analyse de notre matériau ethnographique permet de constater que la relation familles- école tout comme le partenariat se construit largement lors des interactions entre les acteurs familiaux et scolaires, dans des espaces et des circonstances variés, et auxquels correspondent différents registres de négociation (Strauss, 1992). Ainsi, les règles de présentation de soi (Goffman, 1973) et les codes d’interaction ne sont pas les mêmes selon que l’échange ou la rencontre se déroule dans une configuration formelle et ponctuelle, dans une configuration informelle et quasi quotidienne ou encore dans une configuration d’interrelations ténues avec l’espace du quartier. Trois espaces d’interactions sont dégagés et examinés dans les chapitres qui suivent : (1) un espace d’interactions formelles : le premier entretien parents-enseignante (Chapitre 5), (2) des espaces d’interactions informelles : les interstices (Chapitre 6), et (3) l’espace du quartier (Chapitre 7).

Ces espaces d’interactions sont analysés de manière distincte, mais la « figure de l’empilement » (Payet et al., 2011, p. 24) pourrait davantage illustrer notre procédure d’analyse partant d’un moment-phare lors de l’interface familles-école (Chauveau & Rogovas-Chauveau, 1992), à savoir le premier entretien entre les parents et l’enseignante, assemblé à d’autres situations d’interactions moins visibles ou institutionnalisées mais tout aussi importantes : les interstices. Enfin, le partenariat se construit également dans sa dimension spatiale, c’est-à-dire dans les usages sociaux de l’espace du quartier. Ainsi, chacun des espaces d’interactions explorés, qui ne sont pas mutuellement exclusifs mais qui peuvent se combiner, porte sur un niveau ou un aspect spécifique du processus de construction du partenariat.

 

 

Chapitre 5

 

UN ESPACE D’INTERACTIONS FORMELLES.

LE PREMIER ENTRETIEN PARENTS-ENSEIGNANTE

Comment le premier entretien parents-enseignante structure-t-il le travail de collaboration et de partenariat entre les familles et l’école ? Nous nous intéressons, dans ce chapitre, aux premiers entretiens dits « formels » comme un espace d’énonciation (de l’acteur scolaire) où se jouent et se construisent des diagnostics (MacLure & Walker, 2000) ou des interprétations scolaires en termes de « savoirs » (les disciplines scolaires), de « savoir-faire » (le comportement d’apprentissage) et de « savoir-être » (le comportement de l’enfant) (Le Goff, 1999, p. 31). Mais pas uniquement. En effet, si cette première rencontre formelle a pour objectif officiel de communiquer et d’informer les parents de l’évolution du travail scolaire de l’enfant (apprentissages des disciplines et dans la vie scolaire) et en cas de difficulté scolaire de la proposition d’actions pour y remédier (Chartier et al., 2014), elle situe deux agents socialisateurs en interaction dans la négociation de l’éducation de l’enfant, les parents et l’enseignante.

Afin d’étudier ces rencontres, nous avons constitué puis exploité un premier corpus, l’observation des premiers entretiens entre les parents et une enseignante (n=14). L’observation in situ permet de saisir des catégories en acte, celles d’entendement scolaire et familial qui se manifestent lors de ces échanges formels et qui guident le partenariat familles-école « en train de se faire ». Cette logique de rencontre permet également de saisir les tensions et les interrogations qui peuvent se glisser dans cette forme « traditionnelle » de la relation entre les familles et l’institution scolaire (Payet, 1998). A ce premier corpus de données, nous avons croisé un second corpus constitué des transcriptions des entretiens compréhensifs que nous avons réalisés avec les familles et les acteurs de l’école (n=23)98. Le croisement entre ces deux types de données permet, d’une part, d’éclairer les objectifs des enseignantes à l’occasion des entretiens parents-enseignante, et d’autre part, de mieux comprendre la structuration de ces rencontres. Il convient de rappeler qu’il ne s’agissait pas de viser, dans cette recherche doctorale, l’exhaustivité des situations d’interactions scolaires et sociales (Payet, 1995), mais bien une appréhension fine de la réalité et de la complexité des interactions concrètes qui se nouent quotidiennement entre les familles et les différents acteurs scolaires lors des premiers contacts avec une école REP d’un quartier populaire genevois. Etudier les interactions développées à l’occasion du premier entretien parents- enseignante offre, selon nous, la possibilité d’examiner minutieusement une situation

                                                                                                               

98 Pour rappel, nous avons réalisé les entretiens compréhensifs auprès des acteurs scolaires (n=11 dont 8

enseignantes, l’enseignante de français, la directrice de l’établissement et l’éducateur social) et des familles (n=12) entre mai et octobre 2011. Le détail complet de notre démarche méthodologique (la population d’enquête, les observations in situ, les entretiens compréhensifs, notamment) figure au Chapitre 4 de notre travail.

localisée de ce travail de collaboration. En outre, l’analyse minutieuse du particulier permet de remonter au général, comme nous y incite Durkheim (1975) : « Il n’y a qu’une manière de parvenir au général, c’est d’observer le particulier, non pas superficiellement et en gros, mais minutieusement et par le détail » (p. 333). Ainsi, en analysant le premier entretien parents-enseignante comme révélateur des processus généraux de construction du partenariat familles-école, notre approche entend effectuer des liens entre le niveau micro et macrosociologique, souvent négligés dans les recherches portant sur les relations familles- école mentionnées dans l’état des savoirs de ce travail (cf. Chapitre 1).

L’analyse de notre matériau qualitatif évoqué précédemment a décelé deux éléments constitutifs des premiers entretiens entre les parents et l’enseignante nous permettant de saisir ce qui s’y joue. Le premier élément concerne ce qu’énonce l’enseignante aux parents au sujet de la situation scolaire du jeune élève, son développement ou ses difficultés (cf. point 5.1.). La particularité à ce niveau du cursus scolaire est l’absence de notes ou d’évaluations standardisées. Ce sont dès lors les choses qui sont dites, tues, parfois écrites, suggérées ou sous-entendues, ainsi que la façon dont elles sont énoncées, interprétées ou perçues qui structurent la relation et le travail de partenariat naissant entre les familles et l’enseignante. Le second élément que nous mettons au jour concerne la parole des parents dans l’interaction développée avec l’enseignante (cf. point 5.2). En d’autres termes, comment les parents se saisissent-ils de la parole pour faire valoir leur point de vue de partenaire éducatif à part entière ? Quel est l’espace de réciprocité et de parole offert par l’enseignante ? Comment cet espace est-il négocié, ajusté par les acteurs familiaux et l’enseignante ?

Pour mettre en valeur ces deux éléments, nous avons effectué nos analyses de la manière suivante : nous avons d’abord rédigé un compte-rendu ethnographique99 pour chaque observation d’entretiens parents-enseignante en étant particulièrement attentive, d’une part, à ce qui était énoncé par l’enseignante ainsi que la façon dont les choses étaient dites et transmises ; et d’autre part, à la parole des parents dans la dynamique de l’entretien formel. Nous avons également cherché à rendre compte du contexte de la situation ou de l’« ambiance » de l’entretien, ainsi que du temps consacré à ces rencontres. Après avoir déconstruit les comptes rendus d’observation, il s’agit ensuite de les reconstruire en les illustrant à l’aide de grilles matricielles (Miles & Huberman, 2003), c’est-à-dire des tableaux répertoriant notamment les verbatim que nous considérons comme les plus caractéristiques de ces deux éléments constitutifs décelés. S’ajoute à ces grilles la rédaction de commentaires interprétatifs permettant de mettre en exergue le rapport des parents et de l’enseignante à l’enjeu de cette rencontre formelle et de ce qu’elle fait au partenariat familles-école naissant. Nous avons ensuite triangulé nos données (nous rappelons, en croisant les observations des premiers entretiens parents-enseignante avec les entretiens

                                                                                                               

compréhensifs) afin de nous amener à une compréhension plus fine des enjeux, mais aussi des tensions qui peuvent se déployer lors de ces rencontres. Finalement, en guise de conclusion à ce chapitre, un élargissement théorique propose une mise en perspective de nos résultats à la lumière d’études existantes s’y rapportant.