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Un nouveau maillage institutionnel : vers une éducation préscolaire « en réseau »

 

Depuis que le peuple et les cantons ont validé les articles institutionnels sur la formation en 2006 et que le principe HarmoS est entré en vigueur trois années plus tard, l’harmonisation scolaire s’est intensifiée en Suisse. Nous l’avons évoqué, les cantons signataires du concordat74 sont dans l’obligation de réviser leur loi scolaire. Dans le canton fribourgeois par exemple, la loi scolaire datant de 1985 subit d’importantes modifications afin de répondre aux nouvelles exigences fixées par le concordat HarmoS. A Genève, le Conseil d'Etat adopte, le 22 septembre 2010, deux projets de loi distincts, mais dépendants l'un de l'autre : le premier projet vise une modification de la loi sur l’instruction publique afin que celle-ci soit conforme aux accords intercantonaux concernant l’harmonisation de la scolarité obligatoire (pour rappel, âge d’entrée dans la scolarité obligatoire à 4 ans révolus au 31 juillet et instauration de onze années de scolarité obligatoire divisées en trois cycles)75. Le second projet ambitionne de modifier l’horaire scolaire de l'élève à l'école primaire76.

L’école genevoise connaît d’autres modifications structurelles importantes, faisant suite à l’harmonisation scolaire. A l’automne 2006, le DIP inaugure le Réseau d’enseignement prioritaire (REP) au sein d’un établissement pilote (l’Ecole des Tattes/Gros Chêne), dont l’objectif est de favoriser l’égalité des chances en matière de réussite scolaire (cf. Chapitre 1, point 1.2.3). Avec la mise en place du REP s’accompagnent également le regroupement des écoles en établissements scolaires dès la rentrée 2008, ainsi que la création de postes de directrices et directeurs d’établissements. Enfin, on peut relever au printemps 2009 la création des conseils d’établissements « dans le but de favoriser une meilleure prise en compte des spécificités locales » (Le Roy-Zen Ruffinen et al., 2009, p. 12). On voit ainsi émerger un nouveau maillage institutionnel de l’école publique genevoise avec l’imposition progressive d’une « organisation de proximité », selon les propres termes de Charles Beer, conseiller d’Etat alors en charge du DIP, dans la préface du mémento Ecole enfantine et primaire 2009 destiné aux parents d’élèves :

Depuis la rentrée scolaire 2008, les 164 écoles primaires sont regroupées en 91 établissements avec à leur tête une directrice ou un directeur qui représente l’autorité scolaire. La directrice ou le directeur est garant du travail accompli par l’équipe enseignante et la soutient dans son difficile travail. C’est ainsi que nous parviendrons à renforcer le climat de confiance entre tous les partenaires de l’école. Cette nouvelle organisation de proximité place les décisions au cœur des écoles. Les conseils d’établissements (…) permettront d’approfondir le dialogue entre parents et enseignants, d’enrichir la vie de l’établissement scolaire, de l’ancrer davantage encore dans votre quartier. (DIP, 2009b, p. 3)

                                                                                                               

74 A savoir : Berne, Bâle-Campagne, Bâle-Ville, Fribourg, Genève, Glaris, Jura, Neuchâtel, Saint-Gall, Schaffhouse,

Tessin, Vaud, Valais, Zürich (Kappeler, 2015).

75 Voir le lien : http://www.geneve.ch/conseil_etat/2009-2013/ppresse/doc/pointdepresse_20100922.pdf

(consulté le 24 août).

Il semble dès lors que dans le canton de Genève se concrétise petit à petit « un idéal collaboratif » (Payet & Giuliani, 2014, p. 58) avec un maillage institutionnel qui se renforce. On voit apparaître une collaboration inter-institutionnelle qui s’accroît (travail de collaboration renforcée au sein des équipes enseignantes et des directions d’établissements), ainsi qu’un travail en « réseau » (Boltansky & Chiapello, 1999, p. 111), autrement dit en partenariat, entre les différents acteurs institutionnels scolaires (enseignants, directeurs) et extrascolaires (éducateurs sociaux, médecins, infirmiers, assistants sociaux, personnels du parascolaire, d’associations locales et des communes). Enfin, on peut noter un travail de rapprochement et les prémices d’une intention partenariale entre l’école et les familles, et ce, dès l’entrée à l’école.

Plus fondamentalement, le tournant des années 2000 voit advenir un nouveau « paradigme de l’action publique » (Payet & Giuliani, 2014, p. 56) dans le domaine de la relation entre les acteurs familiaux et scolaires en milieu populaire, où il s’agit de « [renverser] la distance en proximité » (p. 56). En d’autres termes, l’injonction se rapprocher, à travers la mise en place du REP, invite les parents à s’impliquer activement dans la vie scolaire de leur enfant (et les encourage à prendre part à la vie associative locale, telle que les conseils d’établissements) et enjoint les enseignants à développer un travail de partenariat avec les parents. Or, la signification que prend le terme de partenariat qu’il s’agit de construire peut considérablement varier entre les acteurs. Cette nouvelle proximité attendue peut ainsi se décliner et se réaliser selon des significations différentes.

 

 

Chapitre 3

 

LA CONSTITUTION DE L’OBJET D’ÉTUDE

Cette recherche s’intéresse à la construction et à la structuration des relations entre les familles et l’école lors des premiers contacts avec un établissement REP d’un quartier populaire genevois. De cette construction « en train de se faire » entre ces deux instances de socialisation, une attention est portée au processus du partenariat (cf. point 3.1), nouvelle logique institutionnelle du champ scolaire et familial impulsée dans le canton de Genève dès les années 2000. Il s’agit ici de comprendre comment les relations entre les parents et les acteurs de l’école se trouvent (ou non) reconfigurées à l’aune de ce nouveau modèle relationnel et d’intervention socioéducative.

Cette recherche cible également un « environnement institutionnel » (Giuliani & Payet, 2014, p. 7) spécifique, l’école enfantine, ainsi qu’un moment de transition charnière entre socialisation familiale et socialisation scolaire : l’entrée à l’école (cf. point 3.2). Cette entrée pourtant « privilégiée » (Darmon, 2001, p. 517) pour saisir les manières dont se construisent, s’articulent et s’ajustent les logiques et les pratiques socialisatrices et éducatives des acteurs familiaux et scolaires reste un domaine de recherche largement en construction. Enfin, les controverses relativement récentes autour de la scolarisation précoce en Suisse, en particulier de l’introduction obligatoire de la première année d’école enfantine, ainsi que l’intérêt croissant pour la question de l’éducation du jeune enfant ou l’« encouragement précoce » (Pecorini et al., 2012, p.) (cf. point 3.3), révèlent la nécessité de mieux comprendre ce moment de transition de l’univers domestique vers le monde de l’école, une problématique encore (trop) peu étudiée par la recherche en Suisse (Scalambrin & Ogay, 2014 ; Ogay & Cettou, 2014).

En termes méthodologiques, cette recherche privilégie la perspective ethnographique et s’appuie sur trois types de données : des entretiens compréhensifs, des observations in situ, ainsi que le recueil d’un certain nombre de documents (dossiers scolaires, circulaires de l’école et/ou de l’enseignante, articles de presse de quotidiens genevois, notamment). Si les relations familles-école constituent un thème classique de la sociologie de l’éducation, cette recherche se propose de revisiter le cadre d’analyse par une approche méthodologique renouvelée.

L’état des savoirs exposé précédemment aux Chapitres 1 et 2 nous conduit à plusieurs constats qui constituent le fondement de notre recherche. Ils sont également le point de départ pour la formulation de questions de recherche (cf. point 3.5) que nous présentons en

détail ci-après.