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5.1 Un espace d'énonciation institutionnelle

5.1.3 Une posture enseignante en tension

tente ainsi de sensibiliser certains parents quant à une consommation d’aliments sucrés par leurs enfants jugée excessive :

Il y a l’alimentation, notamment les boissons sucrées, thé froid et compagnie. Quand c’est des élèves, surtout des élèves agités où je sais qu’ils boivent du thé froid et du Coca régulièrement, j’essaie juste de leur [aux parents] placer un petit peu…, voilà, dans le contexte. (…) Quand je leur fais un topo sur l’alimentation, je leur dis : « Moi aussi j’adore les sucreries, je ne dis pas de jamais en manger… C’est juste qu’il y a des excès ». (Entretien avec Aurélie)

Les saveurs sucrées consommées en abondance (comme le « thé froid ») préoccupe et tiraille également la directrice de l’école :

On voit par exemple que les enfants, ils boivent beaucoup de thé froid. Donc il y a le problème du sucre. On pourrait dire peut-être qu’on n’est pas directement concerné en tant qu’école mais oui. Puisque il y a cette idée de prévention. Et après il y a tout ce côté excitation. On a de plus en plus d’élèves qui n’arrivent pas à tenir assis. (Entretien avec la directrice)

Il convient de préciser qu’au-delà de leur préoccupation immédiate (une bonne nutrition favorise la concentration et la performance dans le travail scolaire), les acteurs de l’école s’acquittent ici d’une mission qui leur est prescrite par l’école, elle-même mandatée par la société. Le bien-être de l’enfant est défini depuis la perspective de l’école – c’est-à-dire des conceptions pédagogiques dominantes – reflétant celle de la société majoritaire, et qui est implicitement présentée comme une norme universellement partagée, ou du moins devant l’être à terme si les parents se mettent à appliquer les « bonnes » pratiques qui leur sont si fortement recommandées (Scalambrin & Ogay, 2014).

Cependant, les attentes normatives éducatives à l’égard des parents qui s’expriment à travers les conseils éducatifs sont parfois considérées par les enseignantes comme des « petites choses toutes bêtes » qui ne vont en réalité pas de soi. Les recommandations préconisées ont un caractère ambigu et relèvent parfois d’injonctions paradoxales. Nous l’observons ici concernant le sommeil, la signification accordée au jeu, le soutien parental scolaire et l’autonomie précoce.

(2) Le sommeil

Le sommeil (ou l’heure du coucher) apparaît comme un thème délicat, souvent abordé par les enseignantes lors des entretiens formels avec les parents. Celles-ci tentent d’expliquer aux parents l’importance du sommeil pour l’enfant (un bon sommeil favorise la concentration et l’attitude face à la tâche scolaire), une norme éducative que les parents sont implicitement invités à mettre en œuvre :

Chez les tout petits, je vais dire plus de choses (…). Il y a des choses aussi que j’explique mais là aussi je sens que ça a pas tellement d’impact… Mais par exemple,

des choses toutes bêtes [passer aux toilettes avant de se rendre à l’école, apporter des habits de rechange, apporter un goûter], (…) toutes ces petites choses de la vie quotidienne. (…) On parle des heures de sommeil, on insiste aussi là-dessus. On explique que c’est important qu’ils se couchent tôt pour être… Alors là, les parents disent toujours : « Oui, oui »… Bien sûr… Maintenant, c’est aussi une question culturelle, qu’est-ce que c’est tôt ? Eux, ils ont peut-être pas l’impression qu’ils les couchent tard, en les couchant à 21h30 donc… C’est vrai que c’est… Moi je voyais avec des élèves plus grands, quand je leur disais que je me couchais à 21h30, ils en revenaient pas. Parce qu’ils se couchaient plus tard que moi… (Entretien avec Émeline)

Plus fondamentalement, le sommeil de l’enfant constitue sans aucun doute une autre dimension sanitaire importante de l’éducation. L’acquisition des rythmes de sommeil est présentée comme déterminante pour l’enfant, mais également pour l’équilibre de la sphère familiale (Zerillo-Odena, 2002). On y ajoutera qu’elle est importante également pour les acteurs de l’école, comme nous venons de le voir. Or, la définition sociale du sommeil (tout comme celle de l’alimentation) n’est pas universelle. Elle est socialement interprétée et revêt des significations différentes. Comme le souligne Zerillo-Odena (2002), pour certaines familles, le sommeil s’applique essentiellement dans une dimension curative afin d’éliminer ou réduire la fatigue accumulée. Pour d’autres, le sommeil revêt un caractère préventif visant à la gestion de son capital « santé ».

(3) La signification accordée au jeu

La signification accordée au jeu, un des points clés de la socialisation enfantine, semble faire là aussi partie des attentes normatives ambiguës à l’égard des parents :

Aux entretiens de parents (…), je leur dis : « Mais vous savez qu’il y a une ludothèque ? C’est bien d’aller prendre des jeux, de jouer avec votre enfant » (…). Ils disent oui... Alors leur grand truc, c’est : « Oui, il a des jeux, oui il a des livres ». Après la question, c’est de savoir : « Oui, mais est-ce que vous jouez avec ? ». (Entretien avec Aurélie) Jouer avec son enfant ne semble cependant pas pouvoir se pratiquer de n’importe quelle manière. Les enseignantes interviewées insistent en effet sur l’importance de la présence parentale lors d’une activité ludique (« jouer avec son enfant ») ainsi que sur la signification accordée à celle-ci (« accompagner son enfant en jouant » : expliquer, verbaliser, le faire réfléchir). Aussi, c’est la conception du jeu « pédagogique », c’est-à-dire conçu pour ses vertus pédagogiques et éducatives, qui est valorisée par les enseignantes, des conceptions éducatives tributaires d’un certain ethos professionnel notamment.

(4) Le soutien parental au travail scolaire

La question des « bonnes » pratiques parentales en matière de soutien et de suivi scolaires (par exemple dans les premiers apprentissages scolaires de l’enfant) semble faire, là également, l’objet d’attentes institutionnelles ambivalentes et exigeantes. Pour les

enseignantes que nous avons interviewées, s’il est jugé important que le parent encadre et soutienne scolairement son enfant, c’est à un « modèle d’encadrement approprié » (Delay & Frauenfelder 2013, p. 188) auquel elles semblent se référer de manière « spontanée ». C’est, d’abord, « faire raconter » à l’enfant sa journée scolaire, l’exercer à verbaliser et expliciter son expérience scolaire quotidienne :

Chez les tout petits, je dis [aux parents] : « Ils n’ont pas de devoirs, mais vous votre devoir, c’est de leur demander ce qu’ils ont appris pendant la journée parce que ça aussi, c’est un grand travail, ça les oblige à se remémorer et à ordonner les choses dans leur tête et à voir que vous êtes intéressés à leur vie, donc c’est très important » (Entretien avec Aurélie)

C’est, ensuite, accompagner et encourager l’enfant dans son travail scolaire, mais sans exercer de pressions psychologiques à son égard :

L’enseignante montre au père de Lylia le classeur d’évaluation avec les exercices réalisés autour des lettres de l’alphabet. Elle lui explique [par l’intermédiaire d’un interprète français-albanais] que Lilia n’en connaît que 7 sur les 26 et elle ne connaît pas non plus la lettre Y qui se trouve pourtant dans son prénom. Rire gêné du père. L’enseignante explique que Lylia a fait des progrès, mais il y a des « petites » lacunes [l’enfant rencontre de grandes difficultés en lecture] et c’est peut-être un problème pour l’année prochaine car les élèves commencent la lecture. Elle demande au père s’il y a des livres à la maison. Celui-ci répond par l’affirmative. L’enseignante insiste sur ce point, la lecture : c’est important, dès tout petits, qu’ils soient dans un univers entouré de livres. Elle ajoute qu’il y a une bibliothèque à l’école. S’engage ensuite une courte discussion. Le père (s’) explique : En 2-3 mois, elle va faire beaucoup de progrès [c’est- à-dire d’ici la fin de l’année], elle va travailler. L’enseignante : Faut pas mettre la pression non plus ! Le père : Non, non. Mais la pression sur la sœur aînée [sous- entendu, c’est elle qui est en charge du suivi scolaire de Lylia]. C’est bon ? L’entretien prend fin, le père s’en va très vite le classeur d’évaluation de sa fille sous le bras. (Extrait de compte-rendu ethnographique. Observation de l’entretien formel entre le père de Lylia et Solène)

Ici, la préoccupation de cette enseignante est le sentiment d’un encouragement insuffisant des parents pour l’apprentissage de la lecture par leur fille, mais l’enseignante redoute également un changement allant dans l’excès contraire (Scalambrin & Ogay, 2014). C’est, autrement dit, ce que nomme Serre (2009) des normes de « gouvernement par la parole » où le verbe préside à toute forme d’autorité.

(5) L’autonomie précoce

Enfin, l’ambivalence et l’exigence des normes éducatives attendues par l’école concernent l’autonomie et la responsabilisation précoces de l’enfant. Elles constituent des valeurs

fortement privilégiées dans l’espace social (les sociétés contemporaines occidentales) tout comme dans l’espace scolaire (Bélanger & Farmer, 2012). En cela, nous rejoignons Durler (2012 ; 2014) dans sa réflexion sur l’idéalisation de l’autonomie de l’élève par les enseignants. Dans notre étude, nous avons relevé dans les discours des enseignantes la distinction entre l’élève autonome – c’est-à-dire celui qui « s’autogère » lors d’une activité d’apprentissage mais également lors d’un conflit entre enfants (il « sait le gérer tout seul » et s’en extrait, cf. supra) – et l’élève qui n’est pas (encore) autonome. Cet enfant est fréquemment décrit par les enseignantes rencontrées comme étant encore « un peu petit » ou « petit bébé », voire immature par rapport à des comportements prescrits par l’école et attendus des élèves : gérer son travail scolaire (réaliser un exercice seul dans un cadre fixé par l’enseignante), gérer la tenue de soi (rester « propre », se rendre aux toilettes seul). Toutefois, de manière analogue aux préoccupations enseignantes concernant un soutien parental approprié, l’autonomie ou la responsabilisation précoce est valorisée par les acteurs de l’école pour autant qu’elle se décline sans excès. L’autonomie maximale n’est en effet pas davantage souhaitée : le respect des règles de vie de la classe et de l’école est un autre critère important d’appréciation des élèves, qui vient contrebalancer le critère de l’autonomie. Ceci engendre un discours enseignant pouvant paraître contradictoire aux parents, invités à soutenir le développement de l’autonomie de leur enfant, mais également son aptitude à se conformer aux règles de vie (le discours sur les limites à poser aux enfants dans leur éducation). Aussi, l’injonction paradoxale d’une autonomie « encadrée » (Delay & Frauenfelder 2013, p. 189) valorisée par l’institution scolaire impliquerait que le parent prépare son enfant à être autonome et responsable (effectuer des tâches spécifiques à domicile, respecter des règles de vie commune) sans excéder dans son autorité (Scalambrin & Ogay, 2014).

Il ressort ainsi de nos analyses que les conseils éducatifs émis par les enseignantes semblent s’apparenter à un processus de « mise en conformité » (Périer 2005, p. 85) du jeune élève par rapport à une norme sociale et scolaire attendue pour tenter, implicitement, de rattraper le retard de l’enfant par rapport aux autres enfants de la classe. Nous pourrions également nous demander si ces recommandations institutionnelles visent (implicitement ?) une tentative de transformation de la morale domestique, en particulier certaines normes éducatives familiales identifiées et considérées selon un degré de « conformité/écart à la norme scolaire » (Payet et al. 2011, p. 31).

Ces résultats ne doivent cependant pas sous-estimer l’interprétation individuelle des enseignantes interviewées qui relativisent souvent dans leur discours aux parents la pertinence des exigences éducatives attendues par l’institution scolaire (comme nous allons le voir dans la suite de ce chapitre). S’agissant de l’autonomie précoce, il importe de souligner qu’à Genève (et particulièrement dans l’école investiguée), l’introduction récente de l’obligation scolaire à 4 ans ne change pas véritablement « la donne » : la très grande majorité des familles habitant le quartier des Cèdres inscrivait déjà leur enfant à l’école dès

la première année de scolarité. Si peu d’enseignantes ont suggéré que des enfants trop jeunes sont ainsi contraints d’aller à l’école, comme peut-être elles-mêmes le sont d’accueillir des enfants qui ne sont pas encore prêts, d’autres ont en revanche soulevé cette question comme le rapporte par exemple le discours de ces deux enseignantes :

Je pense qu’il y a quand même un décalage entre ce qu’on attend d’un enfant qui a eu 4 ans comme bagage, pour pouvoir commencer tout ce qu’il y a dans le Plan d’études. Et puis nous, on arrive avec des enfants, il y en a certains – moi ça m’est jamais arrivé – mais il y en a, des collègues, qui ont eu des enfants qui n’ont jamais tenu un stylo. Donc à partir de là, oui, on peut faire du graphisme, mais si même le simple fait d’avoir un stylo en main, ça n’a jamais été fait, ça veut dire qu’il y a juste trois ans à rattraper. (Entretien avec Émeline)

[Concernant le profil des élèves en situation de difficultés scolaires] : Déjà au niveau du profil, c’est très souvent des élèves qui sont jeunes, ça faut pas le nier et ça je pense qu’à ce niveau-là, c’est bien cette nouvelle loi… Je sais pas comment appeler ça… Où les enfants commenceront à 4 ans révolus. Parce que moi je vois que les élèves qui ont passé par dérogation et qui ont redoublé étaient quasiment toujours de fin octobre, voire fin septembre. Des enfants jeunes. Donc je pense que l’âge ça fait la maturité, c’est évident. Je pense qu’il y a des enfants, ils ont juste envie de jouer et puis ils sont pas prêts à faire autre chose avant. Et puis une année, c’est énorme pour eux… (Entretien avec Émeline)

5.1.3 Une posture enseignante en tension

Jusqu’où peut-on avancer sur le terrain du domaine privé familial pour légitimer des recommandations institutionnelles, pouvant aller jusqu’à orienter l’action éducative des parents ? A plusieurs reprises, les enseignantes interviewées nous ont fait part de leurs hésitations et malaise concernant leur légitimité à préconiser des conseils éducatifs aux parents. Les enseignantes sont divisées ; elles se trouvent dans une position délicate. Car émettre une recommandation, c’est également mettre en cause les compétences éducatives parentales, voire tout un mode de vie perçu comme non conforme ou « inadéquat ». Les enseignantes que nous avons rencontrées sont réticentes à formuler des recommandations en général, au cours des entretiens formels avec les parents en particulier. Elles vivent des tensions normatives et sont parfois intérieurement partagées entre ce qu’elles considèrent être le bien de l’enfant, corroborant un souci de l’école croissant pour la sphère privée familiale (cf. supra) et l’intimité des familles (leur respect, leur autonomie et leur responsabilité en tant que parents).

Comment les enseignantes perçoivent-elles et exercent-elles leur mandat, et par là leur légitimité à suggérer des conseils éducatifs aux parents lors des premiers entretiens

formels ? Pour répondre à ces questions, nous mettrons d’abord en exergue (1) la nature du malaise ressenti, lié à des dilemmes et des hésitations qui se posent aux enseignantes ayant la responsabilité institutionnelle du bien-être de l’élève et, en partie, de la nature du lien qui se construit avec les parents. Ce malaise est parfois clairement manifesté ou alors ressenti de manière « sourde » (Schultheis, 2005, p. 124). Nous présenterons ensuite (2) comment les enseignantes gèrent les dilemmes auxquels elles doivent parfois faire face (quelles ressources mobilisent-elles ?), lorsque leur mandat, prescrit en amont par l’institution scolaire (veiller au bien-être de l’enfant à travers le dispositif du partenariat), entre en tension avec la conception qu’elles en ont (ne pas s’immiscer dans la vie familiale). Pour ces analyses, nous nous inspirons des travaux de Serre (2009 ; 2010) qui portent sur la manière dont les assistantes sociales perçoivent et exercent différemment leur mandat d’encadrement des familles dans deux services sociaux et scolaires parisiens. Le modèle du carré dialectique de la différence culturelle proposé par Ogay & Edelman (2011), qui analyse la tension entre égalité et diversité qu’implique la prise en compte de la différence, est également source d’inspiration dans les analyses qui suivent pour mieux saisir les tensions que vivent les enseignantes entre la prescription institutionnelle du bien-être de l’enfant et le respect de la vie privée des familles.

(1) La nature du malaise ressenti

D’une manière générale, il apparaît que le malaise ouvertement explicité par les enseignantes interviewées concerne d’abord la crainte de « s’imposer ». Les dilemmes et les hésitations qui se posent à ces professionnelles de l’école concernent en effet leur légitimité à « intervenir » dans la vie familiale, qui concrètement s’exprime par la préconisation de conseils éducatifs aux parents. Le malaise est généralement ressenti lorsqu’il s’agit d’évoquer des thèmes délicats (l’heure du coucher, l’usage de la télévision, la consommation d’aliments sucrés, etc.) dont le style éducatif parental, voire la morale familiale, sont redoutés ou désapprouvés. Nous constatons qu’il s’agit en particulier d’une crainte et d’un malaise à l’endroit des familles appartenant aux fractions les plus démunies ou « dévalorisées » des classes populaires :

LS : Il y a des thèmes délicats que tu penses qu'il faudrait aborder [lors des rencontres individuelles avec les parents] ? Comme l'heure du coucher par exemple ?

Solène : Ça, j'ai déjà essayé et puis [les parents de Nolan] sont quand même pas mal sur la défensive. Enfin, j'ai le sentiment qu'ils se braquent un peu en disant « Non, non, mais nous on fait bien. Vous inquiétez pas ». Et puis c'est vrai que c'est délicat parce que finalement, on sait jamais jusqu’où on peut intervenir. Et jusqu’où on peut s'imposer. Parce que c'est quand même quelque chose de personnel. Est-ce que j'ai le droit de leur parler de ça, oui ou non ? Du moment que ça a une conséquence en classe, sur le travail de l'enfant, oui, il faudrait essayer de pouvoir en parler. Mais comment ? C'est toujours délicat. (Entretien avec Solène)

Le malaise des enseignantes s’observe également lorsque les parents sont demandeurs de conseils éducatifs. Sollicitées en tant qu’expertes en éducation, les enseignantes sont réticentes à formuler des recommandations. Cette situation est souvent évoquée par les professionnelles de l’école interviewées (souvenons-nous de l’allusion faite aux familles assistées présentes dans le quartier, « déléguant » l’éducation de leurs enfants aux acteurs de l’école). Les enseignantes sont mises en porte-à-faux, ne sachant pas toujours quel rôle endosser, comme le laissent suggérer les propos de cette autre enseignante :

J’ai un peu des thèmes que j’aborde [lors des entretiens avec les parents] tout en sachant que finalement c’est… Comme je dis [aux parents] : « De toute façon, c’est vous les parents donc c’est vous qui éduquez. Maintenant si je vous vois, c’est que votre enfant va pas bien à l’école et pour l’aider, il peut y avoir ça, ça, ça qui peut être mis en place ». (…) Mais par exemple une maman qui me dit : « Oui mais le problème, c’est que [ma fille] adore la télé ». Et je sais pas, je la regarde aussi mais…. [Je leur dis] : « Enfin, c’est vous qui décidez… Enfin, au bout d’un moment, si vous savez que c’est pas bien, vous lui dites : C’est une demi-heure par jour et puis c’est tout ». C’est ça… La peur aussi des fois de s’imposer. (Entretien avec Aurélie)

Ainsi paradoxalement, les enseignantes s’interrogent sur leur légitimité à préconiser des recommandations éducatives aux parents tout en ayant le sentiment que certaines familles délèguent l’éducation (au sens large du terme) de leur enfant à l’école, la chargeant ainsi de la mise en ordre des styles éducatifs parentaux. Aux yeux de l’enseignante Alexandra par exemple, la déresponsabilisation parentale signifie conférer à l’institution scolaire un pouvoir considérable qui s’avère pour elle inquiétant :

Alors moi ce qui me semble pas difficile mais particulier, c’est quand [les parents] nous demandent beaucoup d’éduquer leurs enfants. En fait, j’ai l’impression qu’ils se déchargent beaucoup sur nous. (…) Pour eux, c’est aussi notre rôle que de dire à un enfant : il faut qu’il mange, il faut qu’il dorme. On a l’impression que les rôles sont mélangés en fait. (…) C’est ça qui m’a été le plus difficile entre l’année passée… qu’il l’est encore cette année, c’est qu’ils se déchargent beaucoup sur nous. Ils nous donnent beaucoup de… Comment dire ? De pouvoir. Beaucoup trop peut-être. (Entretien avec Alexandra)

A quels moments, ou pour quelles raisons, les enseignantes peuvent-elles ou ne peuvent- elles pas intervenir et recommander des conseils éducatifs aux parents ? Où se situe la frontière érigée des espaces définissant la sphère publique et la sphère domestique ? Nous