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La nouvelle organisation gouvernementale n’avait évidemment pas qu’un caractère technique. Elle s’inscrivait dans la perspective politique, consubstantielle au projet des réformes, de développement d’une gestion partenariale, obéissant à des règles contractuelles de contrôle des activités sociales. Il nous fallait aussi approfondir les rapports démocratiques dans la société, au-delà du multipartisme et de la transparence des élections à caractère politique. L’enjeu réel, c’était le changement des règles de gestion sociale, voilà pourquoi, en dehors du FIS, tous les courants s’y opposeront.

Depuis 1986, les réformateurs avaient tenté d’inciter les syndicalistes, les mouvements de jeunes, les organisations culturelles et les associations sociales à participer au débat et à élaborer de nouvelles règles de partenariat. Nous comptions sur les élections pour remettre en cause les règles du jeu solidement établies et pour promouvoir des représentations mieux adaptées aux réalités sociales. Transformer des statuts produits dans le moule du centralisme bureaucratique et mettre en place le contrôle des activités à tous les niveaux, voilà ce que ne pouvaient admettre les élites en

place. La démarche paraissait d’autant plus intempestive qu’elle n’était pas, à l’instar de la revendication d’élections politiques, réclamée par les partis ou par les intéressés eux-mêmes. Pourquoi le gouvernement s’embarquait-il ainsi dans la provocation « gauchiste » des administrés, qui ne lui demandaient rien ? Le bouchon ne pouvait être poussé trop loin, l’opinion publique ne l’aurait pas compris. Au moment de la suppression des départements ministériels, le silence des nouveaux partis – pourtant bien soucieux d’ouverture démocratique – et l’immobilisme des cadres ne faisaient pas partie des prévisions.

On reprochera à l’équipe des réformes d’avoir tenté par là une opération de séduction et de récupération politique. C’est de bonne guerre, même si on surestimait notre poids politique. Mais pourquoi donc ceux qui ont vocation de ratisser large n’ont-ils pas saisi l’opportunité d’accompagner, de défendre ou de récupérer à leur bénéfice cette opération démocratique ? N’avaient-ils pas besoin d’être présents dans les organisations et les associations les plus déterminantes pour leur avenir électoral ? Beaucoup croyaient naïvement que les votes allaient être acquis par le commerce médiatique, le discours ciblé et les combinaisons électoralistes des appareils. Peu oseront se risquer avec les réalités vécues par la population.

Et le terrain sera abandonné au FIS.

Malgré tout, le gouvernement inaugure son mandat dans l’expectative générale et la curiosité souvent favorable de l’opinion qui l’attend aux actes. Il introduit rapidement de nouvelles pratiques dans la communication.

Les comptes rendus des débats seront détaillés et explicités, et la presse aura accès à la documentation et sera reçue par les responsables politiques.

Les rapports avec l’Assemblée posent des problèmes de gestion liés au caractère transitoire du gouvernement et de l’Assemblée elle-même. Les députés, dans leur majorité, répugnent à passer pour des agents dociles.

Nombreux sont les militants actifs du parti inscrits sur les listes de la députation qui gênent par leur franc-parler les appareils dont ils sont issus.

Dès octobre 1988, ils seront de sincères défenseurs de la nouvelle Constitution.

Systématiquement, la presse et les nouveaux courants politiques abuseront de l’argument facile qui dénie à l’Assemblée le droit de légiférer et appelle à sa dissolution. Mais les députés veilleront à ne laisser passer que les lois conformes à la Constitution, d’autant qu’en 1989 le Conseil constitutionnel leur aura renvoyé trois projets de loi initiés par le

gouvernement précédent. A ce titre, le gouvernement sait qu’il se situe dans une conjoncture favorable, s’il joue la transparence. Mais une bonne partie de l’Assemblée s’inscrit dans une perspective de réélection et n’est pas disposée à entériner des mesures impopulaires. Soutenue par les appareils, la minorité a priori hostile au nouveau gouvernement est agissante. Et les autres députés ne peuvent pas ne pas en tenir compte. Elle use et abuse des pièges de procédure, des techniques variées de pression et des effets de toge, qui feront les délices des nouveaux médias.

Le gouvernement, dont les membres connaissent mal les mœurs de l’Assemblée, choisit de se battre sur le contenu des dossiers. La démarche est confortée par une constatation surprenante pour les néophytes que nous sommes. Les commissions de l’Assemblée, dépourvues de moyens, étaient systématiquement manipulées et désinformées dans le passé par des gouvernements qui avaient l’avantage de disposer de la capacité d’élaboration de l’administration. De nombreux hauts fonctionnaires élaboraient complaisamment des données falsifiées et mensongères.

Désormais, les administrations seront appelées à tout dévoiler aux commissions et les fonctionnaires à se mettre à leur disposition. Un gouvernement transitoire et une Assemblée en sursis sont des cibles faciles.

Mais le gouvernement développera à l’égard de l’Assemblée une attitude loyale. Cette ligne de conduite se révélera, pendant le mandat et ensuite, justifiée. Et l’Assemblée décriée, et mal élue, aura accompli une œuvre législative fidèle à la Constitution, que ses pourfendeurs mettront au placard après sa dissolution.

La troisième question, de loin la plus fondamentale à nos yeux, concernait la nature et le contenu du contrat que nous avions accepté de remplir. Pourquoi Chadli nous a-t-il appelés ? Peut-être la dégradation de la situation lui imposait-il de chercher en dehors des habituelles chapelles. La personnalité de Hamrouche ne devait présenter, pour son entourage, qu’un risque politique mineur. Le pouvoir était persuadé qu’il pouvait déléguer la totalité de la gestion à une équipe qui avait un projet sans craindre pour le contrôle politique de la transition. Dès la désignation du Premier ministre, tous les proches, militaires compris, nous entouraient d’une curieuse sollicitude. Afin d’éviter les équivoques, nous aurons préféré donner un caractère ouvert et public à notre action.