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En 1840, Balzac consacre une étude enthousiaste à La Chartreuse de Parme, où il reproche cependant à Stendhal d’avoir laissé son livre déborder du cadre de l’intrigue. L’ensemble des événements précédant la bataille de Waterloo ainsi que ceux qui suivent le rétablissement de Fabrice del Dongo dans la société du prince, écrit-il,

tout cela n’est pas le livre : le drame est à Parme, les principaux personnages sont le prince et son fils, Mosca, Rassi, la duchesse, Palla Ferrante, Ludovic, Clélia, son père, la Raversi, Giletti, Marietta. […] Donc, en dépit du titre, l’ouvrage est terminé quand le comte et la comtesse Mosca rentrent à Parme et que Fabrice est archevêque. La grande comédie de la cour est finie. Elle est si bien finie et l’auteur l’a si bien senti que c’est en cet endroit qu’il place sa MORALITE, comme faisaient autrefois nos devanciers au bout de leurs fabulations.6

Lorsque Balzac décide ainsi ce qui est ou n’est pas le livre, il pose comme première loi de l’art romanesque la coïncidence du récit et de son intrigue principale : le premier doit se terminer lorsque celle-ci se dénoue. L’existence de Fabrice del Dongo est trop longue, et elle court pour cela le risque de perdre la cohérence maintenue dans le reste du roman par le tempo stendhalien. Dans le cadre de l’intrigue, explique Balzac, « les personnages agissent, réfléchissent, sentent, et le drame marche toujours. Jamais le poète, dramatique par les idées, ne se baisse sur son chemin pour y ramasser la moindre fleur, tout a la rapidité d’un dithyrambe.7 » Ici, le miroir n’est pas simplement promené le long

du chemin, pour reprendre la célèbre formule de l’auteur de La Chartreuse de Parme lui-même : la vitesse de Stendhal est célébrée parce qu’elle sert l’enchaînement, et l’ensemble est jugé, jusqu’à la moralité évoquée, « très harmonieux, lié naturellement ou avec art, mais concordant8 ». Dans cet article, la tâche

du romancier se voit redirigée vers la mesure du temps et la gestion des bornes, toutes deux au service de la concordance de l’œuvre, contre la menace constante d’éparpillement de la matière.

6 Honoré de Balzac, Études sur La Chartreuse de Parme de M. Beyle, Castelnau-le-Lez, Climats, 1989, p. 107-108. 7 Ibid., p. 74.

L’achèvement hâtif qu’appelle Balzac pour La Chartreuse de Parme révèle un esprit inquiet, profondément conscient de ce que Stéphane Vachon a appelé « l’entrée par effraction9 » du roman

dans le système des genres dominants. L’auteur de La Comédie humaine cherche à assurer au genre une poétique, à énoncer les lois qui vont fonder sa légitimité, en le faisant hériter de l’unité d’action du drame classique : c’est précisément envers ce modèle que la finale de Stendhal ferait défaut. En effet, le lexique du drame, et plus spécifiquement encore, de la comédie — la « grande comédie de la cour » —, est employé tout au long de l’article pour décrire ce qui appartiendrait réellement au roman. La défense du modèle dramatique chez Balzac n’a rien d’exceptionnel et est bien répandue au XIXe

siècle. L’avènement en France du « réalisme sérieux10 » passe selon Eric Auerbach par de nouvelles

exigences en matière de composition pour élever le roman, avec sa matière traditionnellement « basse », au rang du littéraire. Mais le modèle a des conséquences pour notre lecture de Flaubert, qui en fait usage pour marquer les fins au sein de la vie de ses personnages. Pour cette raison, il est nécessaire d’y revenir plus longuement avant d’aborder l’œuvre.

Au fil des articles critiques de Balzac, la figure de Walter Scott s’impose comme jalon dans une histoire progressive qui voit disparaître les « formes narratives11 » de l’ancien roman au profit du

modèle dramatique. Victor Hugo, un peu plus tôt, avait adopté la même perspective dans un compte rendu de Quentin Durward où il louait Walter Scott d’avoir « substitu[é] le roman dramatique » au « roman

narratif » et au « roman épistolaire12 ». La révolution apportée par Walter Scott a lieu à l’échelle de la

construction : le romancier écossais aurait su tenir le « nœud de l’action » et éviter l’intrigue

9 Stéphane Vachon, « Balzac théoricien du roman », dans Honoré de Balzac, Écrits sur le roman : anthologie, Paris, Librairie générale française, 2000, p. 9.

10 Erich Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, traduction de Cornélius Heim, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1968, p. 459. Pour la période qui nous intéresse ici, voir les chapitres XVIII, « À l’Hôtel de La Mole », et XIX, « Germinie Lacerteux », p. 450-517.

11 Honoré de Balzac, « Les Eaux de Saint-Ronan, par Sir Walter Scott », dans Écrits sur le roman, p. 39.

12 Victor Hugo, « Quentin Durward ou L’Écossais à la cour de Louis XI, par sir Walter Scott » [La Muse française, juillet 1823], dans Victor Hugo, Œuvres complètes, t. II, édition de Jean Massin, Club français du livre, 1967, p. 431-438.

embrouillée, due à « des aventures trop romanesques13 », de ses prédécesseurs. Chez Balzac comme

chez Hugo, le roman à faire se définit par une étrange mise à distance de ce terme — « romanesque » — qui devrait exprimer l’essence du genre, mais qui devient sous leur plume un repoussoir. Le modèle dramatique a pour fonction d’opérer, par rapport aux schémas narratifs antérieurs, plus foisonnants, une réduction et un resserrement, qui donneraient à l’œuvre l’unité requise. La question de l’organisation de la matière se pose tout particulièrement dans la critique que fait Balzac du roman historique contemporain, qui doit intégrer de nombreux faits et verse le plus souvent dans d’« interminables » développements. C’est le reproche formulé à l’encontre de Marius Rey-Dussueil, qui s’essaie au genre avec Samuel Bernard et Jacques Borgarelly. Histoire du temps de Louis XIV. En voulant embrasser trop large, écrit Balzac, le roman accumule des scènes qui « ne se déduisent pas les unes des autres ; elles n’ont pas d’harmonie ou ne s’enchaînent pas de manière à produire un effet dramatique. » Le critique ajoute, en insistant sur l’écart qui sépare les deux formes possibles à ce moment de l’histoire du genre :

L’auteur doit opter entre faire de l’histoire, ou construire un drame. Un roman est une tragédie ou une comédie écrite ; il exprime un fait ou des mœurs. Nous sommes arrivés à un point de perfection pour ces sortes d’œuvres qui ne permet pas à un auteur de tomber dans certaines fautes. […] Un homme habile ferait converger tous ses acteurs vers un même point, les rattacherait à une même action. Or, il n’y a ni plan, ni vues dans cet ouvrage ; il n’a pas été réfléchi, combiné, coordonné […]. Que dire d’un édifice dont on peut retrancher les colonnes sans qu’il tombe ?14

La métaphore architecturale est récurrente : elle permet à Balzac de souligner la nécessité fonctionnelle, plus que décorative, des principes de construction qu’il énonce. La Chartreuse de Parme est ainsi décrite comme un « immense édifice », dont Balzac propose de « faire le tour » dans son article pour mieux en

13 Honoré de Balzac, « Les Eaux de Saint-Ronan, par Sir Walter Scott », p. 46.

14 Id., « Samuel Bernard et Jacques Borgarelly. Histoire du temps de Louis XIV, par Rey-Dussueil », dans Écrits sur le roman, p. 74- 75.

apprécier la « charpente15 ». Contre le roman romanesque est ainsi esquissé un idéal d’œuvre qui ferait

bloc, dont se dégagerait une impression de totalité.

Le modèle dramatique proposé par Balzac est orienté par une conception particulière de la fin. Si l’œuvre dans son ensemble peut paraître complète, c’est bien par le biais de sa conclusion. En effet, il ne s’agit pas simplement pour le romancier de tenir à tout moment les fils entremêlés de l’intrigue pour que celle-ci avance d’une impulsion unique : il faut aussi savoir les dénouer d’une main habile. Dans sa critique de Léo, de M. de Latouche, Balzac regrette ainsi qu’« il n’y a[it] ni un sentiment, ni une action ni un intérêt qui conduise le lecteur, qui le captive et le mène à un dénouement souhaité.16 » La

fin devrait plutôt s’offrir comme l’aboutissement des péripéties ; elle apporte la résolution des contradictions qui motivent l’intrigue, de la « crise » qui constitue le roman selon le schéma dramatique. Il n’est donc pas étonnant que Balzac situe le véritable point final de La Chartreuse de Parme lors d’un double mariage, soit celui de la Sanseverina avec le comte Mosca et celui de Clélia avec le marquis de Crescenzi : « faire une fin » correspond au dénouement typique de la comédie, le mariage s’accompagnant le plus souvent d’une scène de reconnaissance, ou anagnorisis17. Le modèle dramatique

pense le récit en termes d’énigme : au moment de la conclusion, les interrogations suscitées au cours de l’intrigue sont dissipées, les réponses trouvées. Le mouvement du récit conduit vers une révélation, et la vérité est découverte à la fin. Le sens, comme l’écrit Barthes, est au bout18 : la signification et la

terminaison se recoupent. Le cheminement de l’intrigue en soi est incomplet : c’est une carence qui appelle sa plénitude, trouvée seulement au dénouement19. Ainsi les topiques de la fin romanesque, dans

la pensée balzacienne, sont indissociables de leur fonction. Le mariage — ou la mort, pour le modèle

15 Id., Études sur La Chartreuse de Parme de M. Beyle, p. 105. 16 Ibid., p. 148-149.

17 Voir Aristote, Poétique, chapitre 11, traduction de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Seuil, 1980, p. 70-73. 18 Voir Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications, n° 8, 1966, p. 1-27. Philippe Hamon le formule autrement : dans le récit, le sens est « accumulatif » ; deux « sens » se confondent, soit la signification et l’orientation. Voir « Clausules », Poétique, n° 24, 1975, p. 505-506.

tragique, sur lequel nous reviendrons — vient à la fois récapituler et couronner l’intrigue romanesque. L’action est élaborée en vue du dénouement et tend vers lui. Tout ce qui précède la fin, en somme, doit l’impliquer, la rendre nécessaire. On pourrait dire que le roman s’écrit à rebours depuis le dénouement, qui doit être conçu comme le point ultime de rétrospection ou de mémorisation du récit, renversement qui permet seul la totalisation. Balzac est loin d’être le seul écrivain à énoncer ces lois. Rappelons l’étude de Poe faite par Baudelaire, en préface à ses traductions :

Un de ses axiomes favoris était encore celui-ci : « Tout, dans un poëme comme dans un roman, dans un sonnet comme dans une nouvelle, doit concourir au dénoûment. Un bon auteur a déjà sa dernière ligne en vue quand il écrit la première. » Grâce à cette admirable méthode, le compositeur peut commencer son œuvre par la fin, et travailler, quand il lui plaît, à n’importe quelle partie.20

Encore ici, le tout est privilégié par rapport à la partie, qui s’y subordonne21.

Il est possible de saisir la fonction de la fin chez Balzac par le biais du mélodrame, qui gagne en popularité au moment même où il écrit : selon quelques critiques, les romans de La Comédie humaine subiraient l’attraction de cette forme22. Si le mélodrame rend disponible une lecture morale simplifiée

du monde, c’est en grande partie grâce à la nature de sa conclusion, qui résorbe les « désordres » de l’intrigue dans un ordre retrouvé — effet stabilisateur accentué par la résurgence de fins stéréotypées. « All the formal apparatus of melodrama — the unfolding of mysteries, providential coincidences, hyperbolic gestures, stereotyped characters, antithetical patternings — participates in the articulation

20 Charles Baudelaire, « La genèse d’un poëme », dans Edgar Allan Poe, Histoires grotesques et sérieuses, traduction de Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy Frères, 1871, p. 334.

21 Disons rapidement que Balzac défend comme poétique historique les fonctions de concordance de la fiction, où la clôture l’emporte sur l’hétérogénéité des péripéties, que la narratologie va théoriser plus tard, à partir d’une lecture communément admise de la mimésis aristotélicienne comme « configuration » de l’intrigue (le terme est de Paul Ricœur, dans Temps et récit

I). Voir, à ce sujet, Marc Escola, « Le clou de Tchekov. Retours sur le principe de causalité régressive », dans La Partie et le Tout. La composition du roman, de l’âge baroque au tournant des Lumières, Actes des colloques de Paris, Bruxelles et Venise, automne

2008, Louvain, Peeters, coll. « La République des Lettres », 2011, p. 107-120. Le critique cite par exemple Gérard Genette, qui soutient que la « loi du récit » est que « la fin justifie les moyens » (Figures II, Paris, Seuil, 1969) ; et encore Charles Grivel, pour qui « Un roman est dès le début le mot de sa fin. » (Production de l’intérêt romanesque, La Haye, Mouton, 1973)

22 Voir notamment Peter Brooks, The Melodramatic Imagination. Balzac, Henry James, Melodrama and the Mode of Excess, New Haven, Yale University Press, 1976 ; et Christopher Prendergast, Balzac. Fiction and Melodrama, Londres, Edward Arnold, 1978.

of this stable and reassuring universe », écrit Christopher Prendergast. La fin du mélodrame, répondant à ce désir de clarté morale, se présente comme un relâchement de l’ambiguïté, du doute, propres au désir narratif, « a release from moral tension to moral certitude23 ». La fin est conçue comme une

immobilisation du mouvement, ou plus exactement un retour à l’ordre, à cet état antérieur à la « crise » romanesque, au temps précédant le début de l’intrigue. Le sens de ce moment où les ressorts du drame se détendent enfin, comme le suggère l’article de Balzac sur La Chartreuse de Parme, est bien qu’il n’y a rien à ajouter. La somme est faite, le trait tiré et la leçon fournie une fois pour toutes : « le discours ne peut plus que se taire24 », comme le formule Barthes. Au contraire, explique Christophe Pradeau dans

un article sur les manières de « faire une fin », le roman romanesque de l’Ancien Régime peut toujours ajouter à sa matière, jusqu’à s’étendre indéfiniment, puisqu’il se soucie peu d’une fin « qu’il n’envisage que distraitement, comme une échéance plus ou moins lointaine, qu’il finira par rencontrer mais qui n’aimante pas l’action comme elle le fait dans la tragédie.25 » Dans le roman réaliste sérieux, comme

dans le drame qu’il prend pour modèle, tout ce qui suit le dénouement est nécessairement de trop. Dans l’ensemble, les écrits sur le roman de Balzac permettent de saisir cette norme en voie de se formuler et de s’imposer dans les termes, propres à l’époque, d’une évolution ou d’un progrès du genre. « La littérature », écrit-il, « a subi depuis vingt-cinq ans une transformation qui a changé les lois de la Poétique. La forme dramatique, la couleur et la science ont pénétré tous les genres.26 » Les articles

critiques préparant et entourant La Comédie humaine révèlent en effet un horizon d’attente historique quant à la fin romanesque, son contenu et sa fonction27. « Le texte nouveau », selon Hans Robert Jauss,

23 Ibid., p. 8.

24 Roland Barthes, S/Z, p. 194.

25 Christophe Pradeau, « Faire une fin », Itinéraires, Vies possibles, vies romanesques, n° 1, 2010. URL : https://itineraires.revues.org/2191 (page consultée le 27 octobre 2016).

26 Honoré de Balzac, « Lettres sur la littérature, le théâtre et les arts », dans Écrits sur le roman, p. 137.

27 Marie Baudry a bien montré qu’au cours de la première moitié du siècle, « le genre souffre encore beaucoup trop d’une absence de critères esthétiques stables pour que la critique parvienne véritablement à établir une forme de ‘théorie’ du roman. » Le genre est en voie de se consacrer lui-même, que ce soit par le compte rendu d’un roman pour généraliser les règles ou par l’énumération des chefs-d’œuvre de sa propre histoire. Voir « Le roman réaliste, historien de lui-même »,

« évoque pour le lecteur (ou l’auditeur) tout un ensemble d’attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l’ont familiarisé et qui, au fil de la lecture, peuvent être modulées, corrigées, modifiées ou simplement reproduites.28 » On voit ainsi Balzac se référer à des œuvres précises pour en

dégager un modèle, des critères formels en fonction desquels il peut déterminer ce qui appartient à la littérature ainsi qu’au genre romanesque. Ce « système de références29 » objectivement formulable peut être

reconstitué à partir des « normes notoires » ou de la « poétique » énoncée par les acteurs du milieu littéraire, qui font eux-mêmes partie du public et en expriment les conceptions30. La norme balzacienne

du récit clos, déterminé par sa fin, n’a rien d’étonnant aujourd’hui : elle définit pour Barthes le texte « classique » (celui du XIXe siècle), fondamentalement lisible parce qu’il arrête le sens et épuise d’avance

le jeu des possibles interprétatifs, en fournissant au lecteur un produit fini31. Au contraire de ce texte

qui a dit à sa dernière page tout ce qu’il y a à dire32, le texte scriptible, appelé par Barthes au XXe siècle,

maintient son ouverture pour mieux accueillir le lecteur et l’engager dans la production du sens : ici, « tout signifie sans cesse et plusieurs fois, mais sans délégation à un grand ensemble final, à une structure dernière.33 »

Or la manière par laquelle cette norme s’énonce dans l’article consacré à La Chartreuse de Parme présente une tension explicite. D’un côté, la fin est donnée pour centre de gravité du roman, attirant toute la matière vers elle ; de l’autre, elle ne coïncide pas nécessairement avec l’achèvement matériel du texte et court ainsi le risque de passer inaperçue en ses pages (et cela même pour l’auteur). L’exemple de Stendhal, lu par Balzac, incite à problématiser dans les romans du XIXe siècle l’identification même

Romantisme, Conquêtes du roman, n° 160, 2013, p. 67. Voir aussi l’introduction au numéro de José-Luis Diaz, qui préfère parler

d’horizon d’attente plutôt que de poétique établie : « Conquêtes du roman (1800-1850) », p. 5.

28 Hans Robert Jauss, « Histoire de la littérature, un défi à la théorie littéraire », dans Pour une esthétique de la réception, traduction de Claude Maillard, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1978, p. 51.

29 Ibid., p. 49. 30 Ibid., p. 52.

31 Voir Roland Barthes, S/Z, p. 10. 32 Ibid., p. 206.

de la fin. Les penseurs de la fin romanesque ont souvent insisté sur son intégration dans un « contrat de lecture », qui implique à la fois l’auteur et le lecteur. Savoir finir, explique Claude Duchet, relève d’abord « d’un savoir-faire, celui des gens de métier. 34 » Les fins seraient ainsi signifiées par le texte,

par l’activation de codes proprement conclusifs et la mise en œuvre d’une série d’opérations rhétoriques. Comme le suggère Frank Kermode, la fin relève de l’effet : « we have to ask ourselves how we identify what might be called end-effects in the text35 ». Ce signalement doit, du même coup, être

repéré par le lecteur. Pour exister, la fin doit être perçue, sentie comme fin : elle fait « appel à la compétence textuelle du lecteur36 ». Car, comme l’écrit Philippe Hamon dans son article « Clausules »,

interrompre n’est pas finir. La fin procède bien d’un « sentiment d’achèvement », qui « vient en général plus de la saturation d’un modèle ou d’un code implicite au message lui-même, que de la disparition d’un des paramètres nécessaires au maintien du procès de communication.37 » Philippe Hamon définit

ainsi une « sensation de clausule », découlant de la perception en un point particulier du texte de trois paramètres38. Armine Kotin Mortimer va dans le même sens, lorsqu’elle note que la conception de

clôture narrative « dépend souvent d’un sentiment satisfaisant que toutes les données du récit ont abouti à leur fin39 ». La clôture, conclut-elle, est moins un fait du texte, qu’un « fait de la lecture40 ». Ce

n’est pas dire que la fin est une simple impression du lecteur : les codes peuvent en être plus ou moins explicités, mais la fin est programmée par l’énoncé, même si elle a besoin du lecteur pour être actualisée.

34 Claude Duchet, « Fins, finition, finalité, infinitude », dans Claude Duchet et Isabelle Tournier (dir.), Genèses des fins. De