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II L E MARIAGE D ’E MMA

Dans les premiers temps du ménage Bovary à Yonville, les malheurs d’Emma s’affirment : la jeune épouse commence à étouffer au foyer, où elle cache son amour naissant pour Léon sous une apparence de vertu conjugale. Cet effort constant de dissimulation ramène les symptômes — les crises nerveuses, suivies de périodes d’inertie — qui ont provoqué le départ de Tostes à la fin de la première partie du roman, incitant sa domestique à la comparer à un autre cas.

— Ah ! oui, reprenait Félicité, vous êtes justement comme la Guérine, la fille au père Guérin, le pêcheur du Pollet, que j’ai connue à Dieppe, avant de venir chez vous. Elle était si triste, si triste, qu’à la voir debout sur le seuil de sa maison, elle vous faisait l’effet d’un drap d’enterrement tendu devant la porte. Son mal, à ce qu’il paraît, était une manière de brouillard qu’elle avait dans la tête, et les médecins n’y pouvaient rien, ni le curé non plus. Quand ça la prenait trop fort, elle s’en allait toute seule sur le bord de la mer, si bien que le lieutenant de la douane, en faisant sa tournée, souvent la trouvait étendue à plat ventre et pleurant sur les galets. Puis, après son mariage, ça lui a passé, dit-on.

— Mais, moi, reprenait Emma, c’est après le mariage que ça m’est venu. (MB, p. 390-391) Dans ce passage, le roman pose explicitement comme problème la position du dénouement d’Emma dans l’ordre des événements. L’anecdote de Félicité donne un précédent au mal de la jeune femme. Mais elle ne préfigure pas simplement les « grandes lignes de son destin tragique66 », selon le

65 D.A. Miller, Narrative and its Discontents, p. 266. Les théoriciens qui ont défendu, à rebours de Barthes, l’ouverture de tout récit ratent également cette dialectique (par exemple, Frédérique Chevillot, La Réouverture du texte, Saratoga, Anma Libri, 1993).

commentaire de Jean-Marie Privat. Plus exactement, elle fournit un premier récit, qui peut ensuite être renversé : le mal guéri par le mariage devient ici un mal causé par le mariage. Le renversement établit un rapport de nécessité entre les deux histoires. Nous ne pouvons donc pas dire comme Jeanne Bem que Félicité « tend à Emma une image dans laquelle celle-ci refuse de se reconnaître67 » : l’histoire de

l’héroïne ne peut se penser sans celle de la Guérine. Le renversement est d’autant plus manifeste qu’il s’appuie sur une même formule, « après le mariage », que chacune des deux interlocutrices complète à sa manière, accusant la disparition ou l’apparition d’un « ça » symptomatique : « ça lui a passé », pour la Guérine ; « ça m’est venu », pour Emma. Le récit de la servante trouve son aboutissement dans l’événement du mariage, qui est d’ailleurs expédié en un mot et semble déborder du domaine de l’observable et du racontable. Le véritable lieu du récit est avant : c’est la période qui débouche sur le bonheur conjugal qui a droit aux développements et qui possède ici une certaine durée narrative. Si, pour Félicité, il n’y a plus rien à relater à partir du mariage, Emma doit, au contraire, entamer sa prise de parole avec lui, en reprenant la formule qui boucle le discours de son interlocutrice. Cette anecdote, dont le dernier mot est le « dit-on », a ainsi une fonction paradigmatique. Le récit en discours direct, se détachant du continuum narratif, isole l’histoire de la Guérine tout en soulignant le fait qu’elle est importée de l’extérieur de la diégèse, circulant par le biais des ragots de la servante et des autres habitants de Dieppe. Elle peut être lue comme un fragment de discours social, faisant intrusion dans le monde d’Emma pour lui rappeler que le mariage, comme l’écrit Christophe Pradeau, « n’a pas fonction apéritive mais conclusive.68 »

Le dénouement d’Emma n’advient pas simplement trop tôt : il correspond, comme on l’a souvent observé, au moment où l’héroïne entre dans la fiction comme sujet69. C’est en faisant une fin,

67 Jeanne Bem, « Madame Bovary — Notice », dans Gustave Flaubert, Œuvres complètes, t. III, nouvelle édition de Claudine Gothot-Mersch, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2013, p. 1131.

68 L’expression se trouve dans « Faire une fin ».

69 Jean Rousset note qu’Emma demeure « objet » du regard de Charles, « montrée systématiquement de l’extérieur », jusqu’au mariage, où le lecteur pénètre dans sa conscience (« Madame Bovary ou le livre sur rien », dans Forme et signification,

en devenant « Madame Bovary », qu’Emma devient la protagoniste du roman, un personnage vu non pas simplement par les yeux de Charles, mais de l’intérieur. La tentation a été grande, pour la critique, d’y voir le reflet de pratiques sociales changeantes, de bouleversements auxquels Flaubert aurait participé par l’écriture. Tony Tanner, dans son étude du roman adultère, remarque en ce sens que « as bourgeois mariage loses its absoluteness, its unquestioned finality, its ‘essentiality’, so does the bourgeois novel70 ». Jean-Luc Mercier, qui s’est penché sur la scène de la noce, a bien noté à quel point

elle était « singulière par la situation au seuil du livre, c’est-à-dire à contre-courant de cette tradition qui veut que les romans se terminent par des mariages71 ». Or il associe le procédé à l’entreprise de

démoralisation de Flaubert, à l’ironie déployée plus généralement contre les illusions par le romancier, qui trouverait dans le mariage une cible parmi d’autres. « En commençant par la fin, en renonçant au romanesque de l’idylle, pour ne retenir que le prosaïsme de la vie conjugale, Flaubert ouvre une des voies du roman moderne.72 » Mary Orr, à son tour, lit dans le dénouement précoce d’Emma une mise

en cause des modèles du mariage portés par l’idéologie bourgeoise dominante, « by making Madame

Bovary the novelistic attempt to write the story of the after the ‘happy-ever-after’ which closes romance

with ‘l’amour conjugal’.73 ». En faisant naître Emma dans le désenchantement, Flaubert poursuivrait

donc son travail de sape des illusions. Si Mary Orr note que le romancier subvertit le legs de paradigmes fictionnels74, et si Jean-Luc Mercier évoque également une « tradition » romanesque, le référent n’est

jamais précisé, ni les conséquences pour la structure de l’expérience du personnage. Pour le lecteur, le mariage n’est pas seulement synonyme de félicité, passion et ivresse comme pour Emma (MB, p. 322) : il

p. 116-117). Plus récemment, Elissa Marder écrit : « It is only after Emma literally becomes ‘Madame Bovary’ and realizes that her newly acquired identity has nonetheless failed to provide her with a life that her thoughts and feelings begin to permeate the style indirect libre of the authorial voice. » (Dead Time. Temporal Disorders in the Wake of Modernity (Baudelaire and

Flaubert), Stanford, Stanford University Press, 2001, p. 137-138)

70 Tony Tanner, Adultery in the Novel, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1979, p. 86. 71 Jean-Luc Mercier, « Le sexe de Charles », Nouvelle Revue française, n° 309, 1er octobre 1978, p. 47. 72 Ibid.

73 Mary Orr, Flaubert. Writing the Masculine, Oxford & New York, Oxford University Press, 2000, p. 30. 74 Ou « legacy of fictional paradigms » (ibid., p. 94).

est ce que la fiction antérieure désigne comme fin. Dans le passage qui mène à la Guérine, Emma pense justement que Charles est devenu « l’obstacle à toute félicité, la cause de toute misère, et comme l’ardillon pointu de cette courroie complexe qui la bouclait de tous côtés » (MB, p. 390) : cette « courroie » dit bien la fonction romanesque du mariage, circonscrivant l’existence d’Emma, en arrêtant les possibilités d’expansion. Georges Poulet a observé que l’aventure du personnage flaubertien se traduit souvent par une dilatation, par un rayonnement de l’être au-delà de lui-même : l’élargissement de l’existence auquel aspire Emma serait pensé dans les termes d’une circonférence élargie75. Plus

qu’une occasion de critique sociale, la coïncidence du dénouement et de la naissance d’Emma à la fiction pose pour le lecteur un problème romanesque, rendu explicite par les termes mêmes employés par l’héroïne : une fois la boucle du mariage bouclée — comme dans l’expression anglaise tying the

knot —, le roman a perdu ses possibilités d’expansion76.

La comparaison de la jeune Guérine en mal d’amour à un drap d’enterrement, dans l’anecdote de Félicité, associe l’état d’Emma au deuil — deuil des promesses contenues dans la jeunesse et deuil, peut-être, d’Emma elle-même en tant que personnage romanesque, qui n’a plus rien à espérer. La jeune héroïne, ici, présage Jeanne dans Une vie de Maupassant, dont le mariage a lieu dès les premières pages du roman. En rentrant de son voyage de noces, nous dit le narrateur,

elle s’aperçut qu’elle n’avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire. […] voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l’avenir. Oui, c’était fini d’attendre.77

75 Voir Georges Poulet, Les Métamorphoses du cercle, Paris, Plon, 1961.

76 Il est à noter que, dans Dominique, le temps de l’intrigue s’arrête également au moment du mariage du protagoniste. Cette fin, qui a lieu en quelque part dans le blanc chronologique entre la fin de l’histoire de Madeleine et le moment où l’on rencontre Dominique avec le premier narrateur, correspond à la date où cessent les inscriptions sur les boiseries dans le cabinet de travail du héros, registre détaillé de son passé : « à dater d’une époque qu’on pouvait calculer approximativement par un rapprochement facile avec son mariage, il devenait évident que, soit par indifférence, soit plutôt résolument, il avait pris le parti de ne plus écrire. Jugeait-il que la dernière évolution de son existence était accomplie ? » (Eugène Fromentin,

Dominique, p. 81-82)

Le texte insiste — « c’était fini d’attendre » —, attirant l’attention sur ce mariage qui n’est pas un début dans la vie, mais semble plutôt couronner une existence déjà faite. La vie romanesque s’est terminée avant la vie physiologique — c’est-à-dire que le mariage a épuisé la réserve d’avenir, dilapidé l’inattendu, l’inconnu, les « charmantes inquiétudes ». La fiction, par des voies trop efficaces, a traversé d’un coup la durée qui doit séparer la jeune femme de son dénouement, faisant l’économie des événements nombreux et divers qui auraient dû la remplir et prolonger le plaisir de l’attente. L’émotion de prospection, l’élan vers l’avant, tournent court. Il y a dans ces mariages précoces, explique Christophe Pradeau, « une dégradation du mouvement en immobilité, […] une première mort qui referme le temps de la jeunesse et inaugure celui du vieillissement78 ». Ainsi la disponibilité à l’aventure d’Emma ne peut

rien rencontrer dans le présent, et le roman attendu se décale dans le passé. Comme pour Jeanne, les possibles de la jeune femme sont contenus dans des temps révolus : elle est contrainte, dans ses rêveries de tous les jours, de songer à ce qui aurait pu être, et non à ce qui pourrait être dans le futur. Déjà dans les premiers temps du ménage, alors qu’elle se promène dans la hêtrée de Banneville près de Tostes avec sa levrette, elle se répète :

« Pourquoi, mon Dieu, me suis-je mariée ? »

Elle se demandait s’il n’y aurait pas eu moyen, par d’autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu’elle ne connaissait pas. (MB, p. 331)

78 Voir Christophe Pradeau, « Faire une fin ». Le critique commente le passage des Précieuses ridicules, très explicite quant au sujet qui nous occupe, où Magdelon rétorque à son père qui veut la marier dès son installation à Paris : « Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu’après les autres aventures. Il faut qu’un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l’objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites […]. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s’est un peu éloignée […]. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d’une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s’ensuit. […] Mais en venir de but en blanc à l’union conjugale, ne faire l’amour qu’en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue ! encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j’ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait. » (cité dans ibid.)

L’interrogation est reprise au fil du roman, et cette reprise est soulignée par le narrateur, notamment lorsqu’Emma se rend compte que Léon l’aime, dans les premiers temps à Yonville. « Alors commença l’éternelle lamentation : ‘Oh ! si le ciel l’avait voulu ! Pourquoi n’est-ce pas ? Qui empêchait donc ?… » (MB, p. 384) À l’Opéra de Rouen, au moment tardif du récit où elle retrouve Léon, Emma revient encore aux possibles de sa vie de jeune fille en voyant l’héroïne de Lucie de Lammermoor vêtue comme elle, plusieurs années auparavant, d’une couronne d’oranger. « Emma rêvait au jour de son mariage ; et elle se revoyait là-bas, au milieu des blés, sur le petit sentier, quand on marchait vers l’église. Pourquoi donc n’avait-elle pas, comme celle-là, résisté, supplié ? » (MB, p. 497) La redite montre bien que le mariage, comme fin, ne peut être dépassé selon l’horizon d’attente fourni par les récits passés (en ce sens, il n’est pas fortuit que la question soit posée ici à l’opéra). C’est à ce moment de son histoire, très précisément à ce qui précède son union à Charles, que doit sans cesse se reporter Emma pour reprendre la rêverie.

Le contraste entre l’ouverture du passé (la vie de jeune fille) et la fermeture du présent (la vie de femme mariée), entre ce qui relevait encore de la vie et ce que Christophe Pradeau lit comme une mort, s’impose peu à peu au lecteur. À partir de la noce, la possibilité du changement semble être enrayée par la manière même dont s’enchaînent les événements. Les procédés du romancier créent en effet l’impression d’un récit qui revient toujours sur lui-même, incapable de se déployer. La fin du troisième chapitre annonce que la noce a eu lieu : « Il y eut donc une noce, où vinrent quarante-trois personnes, où l’on resta seize heures à table, qui recommença le lendemain et quelque peu les jours suivants. » (MB, p. 314) Le passage, au sein d’une même phrase, de l’événement à ses lendemains, situe résolument le lecteur et le personnage dans le fait accompli. Le chapitre suivant, qui relate le détail de la noce, fait vivre l’événement au lecteur comme un passé déjà connu. À partir de ce moment, l’avancée du temps romanesque semble dérailler. Les chapitres qui se succèdent jusqu’à la fin de la première partie, tout en imposant à l’existence d’Emma une division fréquente qui suggère l’événement,

ramènent toujours le lecteur au même point final, soit le quotidien dans la maison de Tostes, où l’on arrive dès la fin du chapitre de la noce (le quatrième). Le chapitre suivant donne déjà à lire la régularité de l’existence d’Emma dans les premiers jours et s’achève sur l’expression de son absence d’amour — état qui ne pourra pas être dépassé. Le sixième chapitre fonctionne d’une manière quelque peu différente, en fournissant les antécédents du personnage (sa vie au couvent, ses lectures de jeunesse). Or il se clôt sur un constat qui advient comme l’écho du chapitre précédent : « et elle ne pouvait s’imaginer à présent que ce calme où elle vivait fût le bonheur qu’elle avait rêvé. » (MB, p. 327) Non seulement Emma reste immobile dans ses pensées, mais le récit rejoint le présent qu’il avait quitté, revenant au même moment après ce détour dans le passé pré-diégétique : la progression temporelle est empêchée par l’analepse, d’une manière que nous retrouverons dans Un cœur simple. Le septième chapitre de la première partie poursuit la narration de la routine de Tostes, en introduisant cependant une nouveauté par le biais de l’invitation au bal. Si le chapitre se clôt sur l’arrivée à la Vaubyessard — « Ils arrivèrent à la nuit tombante » (MB, p. 333) —, l’inauguration que représente l’événement semble se défaire dans le crépuscule et dans sa position en fin de chapitre : Flaubert reprend le procédé du mariage, où l’événement apparaît comme épuisé par la narration avant même que son récit se déroule. Celui du bal de la Vaubyessard est inséré dans le chapitre suivant, qui se termine sur la journée après le bal et l’occupation déjà régulière de la réminiscence d’Emma — ramenant le lecteur à la routine établie au lendemain du mariage, augmentée seulement d’un regret. Le neuvième chapitre de la première partie vient en offrir la confirmation, en exprimant explicitement le constat désenchanté posé dans chaque fin de chapitre, depuis le cinquième. Lorsqu’Emma se rend compte qu’elle ne sera pas réinvitée au bal, la monotonie quotidienne est ressentie avec encore plus d’amertume :

Après l’ennui de cette déception, son cœur, de nouveau, resta vide, et alors la série des mêmes journées recommença.

Elles allaient donc maintenant se suivre à la file, toujours pareilles, innombrables, et n’apportant rien ! […] Mais, pour elle, rien n’arrivait, Dieu l’avait voulu ! L’avenir était un corridor noir, et qui avait au fond sa porte bien fermée. (MB, p. 348)

Tout en signifiant, notamment par la ponctuation, que l’irritation appartient à Emma, le style indirect libre achève de faire de cette « série » de journées identiques un fait objectif. La répétition fait l’objet d’une redondance dans l’organisation même de la matière — c’est-à-dire que son constat par Emma constitue le contenu de cette redondance, avec pour résultat de figer la première partie du roman, à partir du cinquième chapitre, dans une stase narrative. Le temps semble bien s’être arrêté au moment de l’établissement de la routine domestique. Avec le sommaire à l’imparfait itératif, qui s’introduit surtout à partir du septième chapitre pour en venir à dominer tout à fait, la succession des chapitres soumet le lecteur au retour du même et organise pour lui le sentiment que le dénouement a eu lieu.

Madame Bovary fait donc éprouver au lecteur le problème de survivre à la fin — problème

indissociable du « défilement continu, monotone, morne, indéfini79 » qui constitue le temps flaubertien,

comme l’a formulé Proust. Or ce temps n’est pas une donnée invariable de la fiction : si le roman l’intègre à l’expérience de lecture, il faut noter qu’il advient par le mariage. C’est en effet à la situation de l’héroïne dans l’après que peut être attribué le « grand Trottoir roulant80 » de la première partie du

roman. On peut s’en convaincre en revenant aux rêveries parallèles des deux époux, qui tentent de saisir l’existence telle qu’elle se déroulera au-delà d’une fin qu’ils espèrent encore rencontrer — et qui