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L A MÉMOIRE DU PRÉSENT

CHAPITRE TROIS

Si le présent est impossible chez Flaubert, s’il est un temps où la vie ne peut se faire puisqu’elle est déjà faite, c’est vers une autre dimension temporelle que devra se tourner le roman. Il est encore un aspect de la poétique de l’épilogue pouvant nous éclairer ici : selon Christophe Pradeau, le livre demanderait alors au lecteur de faire comme s’il l’avait déjà quitté et le considérait à distance — de glisser d’un régime de « fréquentation textuelle », d’accompagnement des personnages, à un régime de « survivance mémorielle1 ». C’est en effet

la mémoire qui remplit le temps lorsque tout a eu lieu. Ainsi le présent chapitre pose l’hypothèse que les romans de Flaubert, qui tendent comme nous l’avons suggéré vers l’épilogue, sont des œuvres de mémoire. Ils trouveraient là une manière de résoudre le problème auquel ils sont confrontés, à savoir la nécessité de se déployer, d’introduire une certaine quantité de nouvelle matière, tout en signifiant qu’aucun avenir n’est possible.

Le premier chapitre de cette thèse a montré que l’existence posthume débouche dans le discours épistolier de Flaubert sur une véritable domination du passé. Le présent, coupé de ce qui a été, prend la forme d’une brèche qui se comble de mémoire. Celle-ci a moins pour conséquence d’assurer la continuité des époques, en réconciliant les temps présents et passés, que d’enlever au présent sa qualité de présent : ce qui est a toujours déjà été. Les écrits autobiographiques de la jeunesse, nous l’avons vu, ont transféré de façon directe cette expérience du temps chez des narrateurs rétrospectifs, n’ayant de consistance dans la fiction que par leur propre passé. L’œuvre de maturité fait quant à elle le pari d’installer dans ses pages

mêmes ce que nous appellerons, d’après Baudelaire, une mémoire du présent. L’expression, empruntée à l’étude que consacre le poète à Constantin Guys2, nous servira à caractériser le

présent flaubertien, qui se donne lui-même déjà pour souvenir, s’imprimant de la marque du passé (car il n’y a pas que le passé historique qui puisse être mis en souvenir). Il ne faut pas croire, selon une idée reçue que nous aimerions interroger, que rien n’arrive chez Flaubert : plutôt, le passé seul peut arriver. Les facultés exacerbées de la mémoire de Flaubert se traduisent encore très immédiatement chez Emma, personnage qui conserve quelque chose des narrateurs de Novembre ou les Mémoires d’un fou. Elles seront cependant peu à peu transposées sur le lecteur, d’un mouvement similaire à celui de l’identification des fins, exposé au chapitre précédent. Il s’agira maintenant de montrer que l’hypermnésie déclarée du romancier est prise en charge, dans son œuvre romanesque, par la forme — plus précisément, par ses perpétuelles reprises. Le travail de rétrospection du personnage dans Madame Bovary devient, avec Bouvard et Pécuchet, un mode imposé de la lecture, alors que la mémoire du personnage se révèle lacunaire et faillible.

Dans la critique flaubertienne, la reprise, ou la répétition, est restée associée à l’étude du discours social, des modalités de son intégration dans la fiction3. Si, comme l’écrit Roland

Barthes, tout texte est en rapport citationnel avec l’Histoire, constitué de codes culturels correspondant à « certains types de déjà-vu, de déjà-lu, de déjà-fait4 », la particularité de l’œuvre

de Flaubert serait de rendre ces citations conscientes — d’en faire l’objet même de son écriture,

2 « Pour trop s’y plonger [dans l’étude de l’art antique], il perd la mémoire du présent ; il abdique la valeur et les privilèges fournis par la circonstance, car presque toute notre originalité vient de l’estampille que le temps imprime à nos sensations. » (Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, dans L’Art romantique, Paris, Calmann Lévy, 1900, p. 72)

3 Voir, notamment, Claude Duchet, « Signifiance et in-signifiance : le discours italique dans Madame Bovary », dans

La Production du sens chez Flaubert, p. 358-394 ; Françoise Gaillard, « L’En-signement du réel (ou la nécessaire

écriture de la répétition) », dans ibid., p. 197-220 ; Shoshana Felman, La Folie et la chose littéraire ; Christopher Prendergast, The Order of Mimesis.

4 Il ajoute : « le code est la forme de ce déjà constitutif de l’écriture du monde » (Roland Barthes, « Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe », p. 355).

de sa critique des personnages. Notre chapitre s’éloignera de cette mémoire intertextuelle, pour prendre comme objet ce que Michel Charles a appelé, par distinction, une mémoire « contextuelle ». Il faut y entendre une mémoire du texte même, de ses différentes parties, au cours de la lecture5. Ainsi le roman flaubertien ne serait pas seulement une « mémoire

immense6 » de la société d’où il provient : il se constitue en même temps comme mémoire de

lui-même, le déjà-lu et le déjà-vu s’intériorisant en ses pages. Nous postulons que la reprise peut aussi être conçue comme la conséquence structurelle des fins inaugurales. C’est dire qu’elle est un rapport de l’œuvre avec elle-même, pouvant se penser indépendamment de l’avant-roman, d’un dépôt mémoriel qui précède l’écriture et sur lequel l’écriture fait retour. L’objectif n’est évidemment pas de couper les ponts avec tout dehors du roman : nous espérons, au contraire, que cette hypothèse serve à frayer de nouveaux chemins, moins directs, vers son historicité.

Deux procédés seront étudiés au sein de l’œuvre de Flaubert, suivant les formes de mémoire contextuelle identifiées par Michel Charles : prospective et rétrospective. Nous analyserons d’abord les procédés ayant pour objectif de contrecarrer la nouveauté des événements encore à venir, de programmer l’effet de déjà-vu en amont. Ensuite, nous nous pencherons sur l’insistance du rappel des événements en aval — rappel qui s’arrime à la structure répétitive des romans de Flaubert, déjà suffisamment commentée par la critique, sans cependant se confondre avec elle. Le rappel a pour effet de replier le roman sur lui-même, jusqu’à l’enfermer dans son propre passé, au sein de conclusions qui se lisent comme des amoncellements de lieux de mémoire.

5 Michel Charles, Introduction à l’étude des textes, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1995, p. 80.

6 L’expression est empruntée à Anne Herschberg-Pierrot et Jacques Neefs, dans la « Présentation » de leur numéro Bouvard et Pécuchet, Flaubert, revue critique et génétique, n° 7, 2012. URL : https://flaubert.revues.org/1813 (page consultée le 10 juillet 2017).

I.RECONNAISSANCES

Rappelons nous-mêmes, pour commencer, un passage célèbre de Madame Bovary, où Emma couvre Rodolphe, son premier amant, d’une profusion de paroles amoureuses.

Il s’était tant de fois entendu dire ces choses, qu’elles n’avaient pour lui rien d’original. Emma ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage. Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique, la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. (MB, p. 466)

La narration ne nie pas l’authenticité d’un sentiment qui est, dans les faits, exprimé pour la première fois par Emma (et auquel le lecteur est, lui aussi, confronté pour la première fois dans son expérience du roman) : la faute revient à la parole, ce « chaudron fêlé » (ibid.). Mais elle nous empêche de bien entendre l’héroïne, puisque nous écoutons avec Rodolphe qui ne perçoit que répétition dans ces déclarations, dont les mots ont été usurpés par les « autres » du passé dont se méfie la jeune femme. L’histoire d’Emma n’a pas de secrets pour le hobereau de province, qui sait, du premier coup d’œil, décoder le corps de Charles — les ongles sales, la barbe de trois jours — et en même temps l’état d’esprit de sa femme lors de leur rencontre. Ainsi, en s’ajoutant tardivement à tout un ensemble de femmes, Emma ne peut être que

reconnue par l’homme au long passé.

Le passage du « chaudron fêlé » peut être pensé aux côtés du discours tenu par Rodolphe peu de temps auparavant, pendant les comices agricoles, alors qu’il cherche encore à devenir l’amant d’Emma. Le séducteur décrit la rencontre amoureuse dans les termes suivants : « Alors des horizons s’entr’ouvrent, c’est comme une voix qui crie : ‘Le voilà !’ Vous sentez le besoin de faire à cette personne la confidence de votre vie, de lui donner tout, de lui sacrifier tout ! On ne s’explique pas, on se devine. On s’est entrevu dans les rêves. » (MB, p. 422) Ainsi la véritable rencontre, en chair et en os, serait toujours secondaire, car elle a déjà

eu lieu en esprit. Rodolphe poursuit, parallèlement au président du jury, qui discourt sur le passé des civilisations :

le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de quelque existence antérieure.

« Ainsi, nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ? Quel hasard l’a voulu ? C’est qu’à travers l’éloignement, sans doute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous avaient poussés l’un vers l’autre. » (MB, p. 427) La reconnaissance bien concrète du passage précédent est transformée pour les fins de la conquête, avec un certain cynisme, en topos romantique7. Les amants se re-connaîtraient

toujours, s’étant déjà connus au cours d’une existence antérieure. À en croire Rodolphe, leur rencontre n’aurait donc rien du « hasard8 », de la coïncidence, principe romanesque par

excellence, qui fait surgir sans préparation le neuf. Plutôt, elle aurait été déterminée d’avance, acheminée par un mouvement plus fort que tout, trouvant son origine dans un temps antérieur à la naissance des deux êtres. Cette manière de déguisement d’un désillusionnement (tout est toujours pareil en amour pour le séducteur) est aussi une radicalisation du mal, car c’est l’existence terrestre qui bascule tout entière dans l’après-coup.

Le discours de Rodolphe n’est pas sans évoquer l’expérience de Flaubert dans Pyrénées-

Corse, où apparaît une version de ce sentiment de reconnaissance, éprouvé devant ce qui est

pourtant tout à fait inédit. Il revient au jeune homme « un souvenir de choses que je n’avais pas vues » (OJ, p. 716). Plus tard, se remémorant les lieux de voyages imaginaires, il écrit à Louise Colet : « J’ai vécu partout par là, moi, sans doute, dans quelque existence antérieure. »

7 Nous avons discuté de l’idée de métempsycose dans la correspondance de Flaubert au premier chapitre de cette thèse.

8 S’il ne fait pas de doute, depuis l’article de Jean Bruneau sur L’Éducation sentimentale, que le hasard joue un rôle dans le principe de composition des romans de Flaubert, il faut ajouter que ce n’est pas l’unique impression à la lecture — notamment parce que les personnages ne perçoivent pas l’existence en ces termes, et parce que le roman (nous y venons) travaille la reconnaissance pour le lecteur. Voir « Le rôle du Hasard dans L’Éducation

(4 septembre 1852, C2, p. 153) La remarque témoigne de l’extension de la mémoire que revendique Flaubert, comme nous l’avons vu au premier chapitre, mais elle porte à conséquence sur l’expérience du présent. Une telle identification (au sens de rendre identique) de l’inconnu permet de se sentir en terrain connu dans un lieu où l’on n’a jamais posé les pieds — ou avec une personne que l’on n’a jamais rencontrée. Ainsi, dans les romans de Flaubert, faire connaissance est toujours reconnaître. Lorsque Frédéric et Mme Arnoux, seuls à la maison d’Auteuil, se racontent leur existence d’autrefois, le jeune homme situe dans ce passé une première vision de Mme Arnoux, assurant sa familiarité avant même leur rencontre sur le pont de la Ville-de-Montereau. « Il lui conta ses mélancolies au collège, et comment, dans son ciel poétique, resplendissait un visage de femme, si bien qu’en la voyant pour la première fois, il l’avait reconnue. » (ÉS, p. 302) Évidemment, l’impression de reconnaissance doit au stéréotype, au cliché, à toutes les images déjà constituées qui formatent, comme on le sait, l’appréhension de la réalité chez les personnages flaubertiens. Si Mme Arnoux est « reconnue » par Frédéric lorsqu’ils se rencontrent, comme il le lui dit longtemps après les faits, c’est qu’il avait immédiatement projeté sur elle ses souvenirs de lecture9. Il se le formule très tôt (et moins

poétiquement) : « Elle ressemblait aux femmes des livres romantiques. » (ÉS, p. 41) Frédéric est plus sincère dans son recours au topos, mais le mécanisme est le même que chez Rodolphe10.

Que Mme Arnoux ressemble à des femmes représentées, alors qu’Emma ressemble à des femmes déjà connues, il reste que les deux amants sont incapables de percevoir la nouveauté,

9 Léon fait également disparaître Emma sous les reconnaissances : « elle allait rappelant en lui mille désirs, évoquant des instincts ou des réminiscences. Elle était l’amoureuse de tous les romans, l’héroïne de tous les drames, le vague elle de tous les volumes de vers. Il retrouvait sur ses épaules la couleur ambrée de l’odalisque au

bain […] » (MB, p. 533).

10 L’expérience de Rodolphe, écrit Naomi Schor, génère le cliché au sein du vécu. « Having spent his life repeating, indeed perfecting an invariable scenario whose only variant is the partner, Rodolphe cannot go beyond clichés, ready-made formulas. Everything happens as if Rodolphe’s decoding mechanism were programmed to function only with information that has already been received. » (« For a Restricted Thematics : Writing, Speech, and Difference in Madame Bovary », dans Breaking the Chain. Women, Theory, and French Realist Fiction, New York, Columbia University Press, 1985, p. 10)

la différence, lorsqu’elle leur advient : ils peuvent seulement se retourner sur le passé pour concevoir une relation qui n’en a pas encore.

Au lieu de reconduire l’analyse de ces passages vers la critique flaubertienne du cliché, déjà bien connue, nous aimerions plutôt souligner la manière d’être au temps mise en place par la reconnaissance, pour avancer que le lecteur semble lui-même y être conditionné. Il s’avère que Rodolphe n’a pas tout à fait raison de penser que, sous le vêtement de la nouveauté, on retrouve toujours le même. La fiction flaubertienne travaille plutôt l’effet contraire : ce qui est réellement neuf dans le roman, dans la vie de son héroïne — en somme, l’événement de son adultère — est enveloppé pour le lecteur des atours du passé, alors que le roman, comme la relation avec Rodolphe, en est encore dépourvu. L’inconnu est appréhendé par le souvenir, ou plus exactement en tant que souvenir. Nous aurons l’occasion de revenir à ce cri du cœur de la reconnaissance chez Rodolphe — « Le voilà ! » — qui résonne sous diverses formes, et dans diverses bouches, dans tous les romans de Flaubert. Notons seulement la signification particulière du mot, qui correspond à la traduction française de l’anagnorisis aristotélicien et fait donc partie de l’appareil du dénouement narratif. Le procédé est défini dans la Poétique comme ce qui accomplit le passage de l’ignorance à la connaissance11. Mais, comme le remarque

Terence Cave, ce renversement ne s’épuise pas dans la simple opposition entre les deux termes. La reconnaissance possède une dimension temporelle, permettant de recouvrir une vérité qui s’était perdue : elle correspond au « recovery of something once known12 ». En ce sens, elle est

un procédé narratif tardif, voire conclusif, qui force la rétrospection. Peter Brooks en a fait l’observation : « It is at the end — for Barthes as for Aristotle — that recognition brings its

11 Aristote, Poétique, chapitre 11.

12 Terence Cave, Recognitions. A Study in Poetics, Oxford, Oxford University Press & Clarendon Press, 1990, p. 33. Il rappelle l’étymologie du mot : ana peut signifier « vers », à la fois un aller (à la rencontre de la connaissance) et un retour. Selon lui, la reconnaissance s’associe au récit rétrospectif, le provoque, suivant l’exemple d’Ulysse à la fin de l’Odyssée (voir p. 22-23).

illumination, which can then shed retrospective light.13 » La reconnaissance impose la

rétrospection au sein du présent, signifiant du même coup que le personnage — et le lecteur avec lui — se tient dans la fin. Au lieu de s’élancer, l’aventure se replie déjà sur elle-même : par l’anagnorisis, selon le commentaire d’Aristote que propose Terence Cave, l’intrigue se voit « twisted, folded back on itself14 ».

Les Trois contes peuvent encore une fois servir de modèle à la lecture des romans de Flaubert, dont ils exacerbent et explicitent les procédés. Nous avons montré au chapitre précédent que, par le résumé du demi-siècle de Félicité et les annonces à saint Julien et à Hérode-Antipas, le début de l’histoire coïncide avec sa fin. La progression est rendue impossible, mais il ne faut pas cependant en conclure que rien ne se passe pour le roman : il serait plus exact de dire que quelque chose va revenir. En effet, en télescopant la fin dans le début, les Trois contes donnent à lire ce que nous appellerons leur « script » — ce qui est écrit d’avance comme, par exemple, le texte rédigé d’une pièce de théâtre ou d’un film15. Une telle

reconnaissance interne ne doit pas être confondue avec la prolepse, au sens où l’entend Gérard Genette, c’est-à-dire une anticipation par la narration sur l’histoire qu’elle va raconter16. Le

procédé que nous voulons étudier dans cette section s’en distingue quelque peu, en ce qu’il demeure au niveau de la diégèse : c’est bien une donnée du monde fictionnel qui fait retour, qui

13 Peter Brooks, Reading for the Plot, p. 92. 14 Terence Cave, Recognitions, p. 32.

15 Évidemment, les deuxième et troisième contes sont littéralement des récritures. La prophétie apparaît comme la réitération d’une mémoire culturelle, que les contes flaubertiens intériorisent, intègrent à leurs pages, provoquant le déjà-lu à la fin de l’histoire même chez ceux qui n’en auraient pas eu connaissance a priori. En d’autres mots, la narration énonce les anticipations rendues possibles par la mémoire culturelle. Mary Orr a ainsi étudié la Légende de saint Julien l’Hospitalier comme un « lieu de mémoire », idée qui donnerait selon elle au recueil son unité. Voir « Cultural History in Question : Flaubert’s La Légende de saint Julien l’Hospitalier and the Genres of Collective Memory », dans Susan Harrow and Andrew Watts (dir.), Mapping Memory in Nineteenth-Century French

Literature and Culture, Amsterdam & New York, Rodopi, 2012, p. 259-275.

16 La prolepse revient à « raconter ou évoquer d’avance un événement ultérieur » (Gérard Genette, Figures III, p. 82). On en trouve un exemple dans la phrase suivante d’Un cœur simple, au sujet de Virginie et de Victor : « Leur destinée devait être la même » (UCS, p. 606).

est redistribuée, qui réapparaît sous la forme d’un événement. En cela, le procédé ne correspond pas à proprement parler à une annonce, car il ne détermine aucunement sa reprise, il ne révèle rien à l’avance : on le remarque seulement depuis le véritable événement, qui devient alors souvenir de lui-même. Ainsi les scripts programment la réminiscence et préparent une expérience rétrospective de l’histoire. Le lecteur se trouve à la fois tourné vers le futur de ce qui reste à lire et vers le passé du script contenu dans les premières pages. Les Trois contes mettent en scène cette redite pour faire de la diégèse l’actualisation d’un souvenir : le lecteur se rappelle l’histoire qu’il est en train de lire, et celle-ci ne pourra pas excéder le souvenir. La conséquence de la trouvaille structurelle de Flaubert — faire advenir la fin d’emblée — serait donc d’introduire la mémoire comme mode de lecture.

Madame Bovary en donne un exemple. Lorsque Rodolphe voit Emma pour la première

fois, en faisant appel au médecin d’Yonville, il se dit : « Avec trois mots de galanterie, cela vous adorerait, j’en suis sûr ! ce serait tendre ! charmant !… Oui, mais comment s’en débarrasser ensuite ? » (MB, p. 410) Les expériences antérieures de Rodolphe continueront de lui