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La tempérance comme vertu relative

1.2 Le sujet des habitus

2.1.1 La vertu: un habitus opératif

2.2.2.3 La tempérance comme vertu relative

À première vue, nous pourrions penser que la tempérance, par rapport à !,intempérance, bénéficie d’un critère objectif. En effet, comme le dit Aristote :

43. Idem.

manger ou boire les aliments même les plus vulgaires, jusqu’à ce qu’on soit rassasié outre mesure, c’est aller, par la quantité que l’on prend, au-delà de tout ce que la nature réclame, puisque l’appétit naturel vise simplement la

satisfaction du besoin45.

La notion clé est ici l’idée de

satisfaction du besoin.

Par là, nous sommes à même de conclure que l’intempérant sera celui qui prend part au plaisir plus qu’il ne faut, c’est-à- dire au-delà de ce que commande la satisfaction des besoins naturels. Par contre, nous ne pouvons soutenir que nous avons là un critère absolu pour discerner le tempérant de l’intempérant. En effet, bien que la satisfaction du besoin doit commander notre participation aux plaisirs corporels, il n’en demeure pas moins que cette satisfaction est relative à chacun de nous. Ainsi, la tempérance devient une vertu

relative

en ce sens où, pour satisfaire leurs appétits

naturels

, certains ont besoin de plus alors que d’autres ont besoin de moins.

En fait, nous pourrions dire que, de manière générale, l’être humain tempérant est celui qui ne s’afflige pas de l’absence de plaisir, en ce sens où il ne jouit pas de ce qu’il ne faut pas et qu’il ne désespère pas face à ce qu’il doit refuser. Le tempérant pourrait être défini comme étant celui qui cherche avec mesure tous les plaisirs qui contribuent à la santé et au bien-être46. Mais, par quel moyen ou de quelle manière pouvons-nous devenir tempérants?

2.2.2.4 La tempérance comme vertu raisonnée

La question du moyen est intéressante, puisqu’il semble si facile de tomber dans les plaisirs de manière intempérante. Les appétits sont forts et c’est pourquoi Aristote affirme qu’ils doivent être réglés par la partie dominante de l’âme, à savoir la

raison.

Terminons cette analyse de la vertu de tempérance par ces quelques mots d’Aristote :

Le désir du plaisir est insatiable, et il naît de tous côtés dans le cœur de l’insensé, que la raison ne conduit pas. [...] Il faut donc que toujours les

45. Idem.

appétits soient modérés, peu nombreux et qu’ils n’aient rien de contraire à la raison. [...] Ainsi, dans l’homme tempérant, l’appétition ne doit jamais produire que des désirs conformes à la raison qui les approuve; car ces deux facultés n’ont point d’autre but que le bien, il ne désire que ce qu’il faut, il le désire comme il faut, et quand il faut le désirer; et c’est là aussi précisément ce que la raison ordonne47.

Avec ce passage, nous voyons bien comment la vertu de tempérance est en quelque sorte une vertu

raisonnée.

La raison apporte la mesure, le sommet-milieu que se propose d’atteindre la vertu en tempérant les désirs afín qu’ils puissent s’organiser et se réaliser d’une manière adéquate et respectueuse des principes de la nature. Ainsi donc, la tempérance, pour exister, a besoin de la raison. Voyons maintenant ce qu’il en est de la justice.

2.2.3 La justice

Lorsque nous parlons de justice, la plupart du temps, nous faisons appel à la notion de

conformité aux lois.

Ainsi, en un premier sens, l'idée de justice renvoie à une forme juridique. Par contre, comme nous le verrons, cette conception de la justice ne saurait être considérée comme une vertu proprement

morale.

Mais avant d’étudier cette forme particulière de justice, nous présenterons brièvement une division des formes de justice, ce qui nous permettra d'aborder l'idée de justice en tant que vertu.

2.2.3.1 Division de la justice

Pour cette partie, nous pourrions nous rapporter à la division de la justice telle qu1 Aristote la présente, et affirmer qu'il existe deux sortes de justices, dont l'une est dite

morale

- théorie de la justice générale - et l'autre

légale,

bien qu’elles devraient, en principe, s’appeler réciproquement. Lorsque nous parlons de la justice comme vertu entière, c'est à la justice dans sa dimension plus proprement morale que nous faisons référence, car il semble qu'une justice qui ne s'occuperait que des lois serait incomplète. Cette justice

partielle ou légale fait appel à deux champs d'intérêts bien distincts. Ainsi il y a d'une part, la justice dite «distributive» (répartition des biens), et d'autre part la justice dite «corrective» (réparation des maux). Nous ne présenterons pas ces divisions dans le détail, non pas parce qu’elles ne méritent pas notre attention, mais bien parce que notre étude porte essentiellement sur les vertus, et qu’en ce sens, nous aborderons plus spécifiquement l’idée de justice comme vertu. Retenons que la justice, en tant que vertu, se distingue de la justice distributive et corrective. Mais voyons tout de même en quoi la justice, en tant que conformité au droit, contient certaines limites. Ceci nous permettra de mieux dégager les éléments essentiels à notre compréhension de la vertu de justice.

2.2.3.1.1 Les limites de la justice comme conformité au droit

Selon Aristote: «Le juste est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l'égalité»48 Pris en ce sens, une personne juste est celle qui ne viole ni la loi ni les intérêts légitimes d'autrui. En ce qui concerne la loi, nous pouvons dire qu'elle serait sensée être juste, puisqu'en tant qu’elle permet de réguler les interactions entre les être humains, elle est instituée à l’origine en vue d’atteindre les fins que visent la justice. Premièrement, il y a l'idée selon laquelle, plus souvent qu'autrement, la loi est instituée par une autorité et non par la vérité49. Ainsi, il peut arriver qu'une loi soit injuste et qu'elle s'oppose à l'égalité: «Quand l'égalité et la légalité s'opposent, où est la justice?50» Dans de pareils cas, il semble qu'il soit plus juste de s’opposer à la loi que de la suivre. Aristote affirmait d'ailleurs la même chose dans Γ

Éthique à Nicomaque

lorsqu'il disait que: «la nature de l'équité, c'est précisément de redresser la loi là où elle se trompe, à cause de la formule qu'elle doit prendre»51. La raison en est que toujours les lois sont générales, et que toujours les cas sont particuliers: il est donc possible que la généralité des lois ne puisse pas s'appliquer à la particularité des situations. Ainsi, la justice légale est précédée par la justice morale; c'est

48. Aristote, OP.CIT., 1129 a 34. 49. Comte-Sponville, OP.CIT., p.84. 50. Ibid., p.85.

cette dernière qui règle et oriente la première. Cette circularité inhérente à la justice légale explique la difficulté à laquelle elle peut faire face:

La loi est la loi, qu'elle soit juste ou pas. Mais elle n'est donc pas justice, et c'est ce qui nous renvoi au second sens. Non plus la justice comme fait (la légalité), mais la justice comme valeur (l'équité, l'égalité), ou, nous y voilà, comme vertu52.

Deuxièmement, nous savons que toute vertu suppose un acte de volonté. Or, nous pourrions très bien toujours respecter les lois dans réellement le vouloir. Nous ne pourrions donc dire qu’une personne qui agit ainsi possède la vertu de justice. Alors, revenons à l’idée de justice comme vertu.