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Pensée critique et éducation morale

La philosophie pour les enfants

5. la mise à l’épreuve de l’hypothèse (exemple et contre-exemple) 6 la révision de l’hypothèse (s’il y a lieu).

3.2 La conception de l’éducation morale en philosophie pour enfants

3.2.1 Pensée critique et éducation morale

L’ensemble de cette conception en faveur d’une relation étroite entre le développement de la pensée et l’éducation morale découle d’un objectif qui est lui-même d’ordre moral. Voici comment le tout s’articule selon Pierre Laurendeau:

Selon l’approche de Lipman, «faire» de la philosophie consiste à mettre en place un certain nombre de conditions favorisant chez l’enfant !’apprentissage d’habitudes de penser et lui permettant ainsi de devenir plus «raisonnable». Lipman parle plus précisément de «raisonnabilité», c’est-à- dire d’ouverture d’esprit à raisonner avec d’autres personnes, d’utiliser la raison au profit du développement humain150.

Ce commentaire à l’égard de la conception de l’éducation met bien en relation l’idée de la réflexion avec celle de l’éthique, puisqu’elle fait référence à la «raisonnabilité». Comme nous l’avions montré lors de notre présentation sur la pensée critique, il semble que, pour Lipman, la pratique du jugement critique amène les enfants à devenir de plus en plus raisonnables. Nous pourrions dire que la «raisonnabilité» est, pour une large part, l’objectif «moral» du programme de Lipman, puisqu’il n’est plus question de simplement poser un

149. Ann Margareth Sharp,OP.Crf., p.37.

jugement sur une chose, mais d’

appliquer

ce jugement dans

V action.

Lipman dira d’ailleurs que les

bons jugements

sont traduits par des

actes bons151.

Nous pourrions exprimer cette pensée de la manière suivante : c’est par la pratique du raisonnement, ou plus particulièrement le raisonnement moral, que nous développons notre capacité à agir de manière raisonnable. Lipman insiste et approfondit cette position en allant même jusqu’à énoncer une forme d’identité entre ces deux dimensions : «ce que l’on désigne sous le nom de conduite morale n’est rien d’autre que la pratique d’un tel raisonnement152.»

En fait, ce qu’il importe de retenir dans ce qui précède, c’est que selon Lipman, il devient possible de disposer les enfants à agir de manière raisonnable en mettant l’accent sur le processus. Ainsi, si nous croyons que l’agir moral n’existe que par l’entremise de la pratique d’un jugement moral, il devient alors possible de penser que la pratique d’un tel jugement nous amène à mieux agir. En ce sens, nous pourrions dire que notre capacité à agir de manière morale est proportionnelle à notre capacité à bien juger dans un contexte qui comprend des dimensions morales. Et cette perspective est souvent proposée en philosophie pour les enfants, comme c’est le cas lorsqu’on envisage un problème sous l’angle éthique: il y a là une pratique du jugement moral.

3.2.2 Dialogue et éducation morale

Bien qu’il semble exister un lien entre le fait de réfléchir pour développer un meilleur jugement et agir de manière plus raisonnable, mais nous ne pouvons pas affirmer fermement que cette activité représente une

pratique morale

en soi. En effet, il est également possible d’avoir un jugement correct et réfléchi sur les affaires théoriques et agir néanmoins de manière déraisonnable. Lipman pense la même chose lorsqu’il affirme qu’il faut créer une variété de situations où l’ensemble de notre être moral est mis en scène153. C’est ici notamment que l’idée de dialogue prend tout son sens. Cette dimension du programme ne sert pas seulement, comme nous l’avons vu, de point de départ et de

151. Matthew Lipman, OP.OIT., p.145.

152. Mathew Lipman, Philosophy in the classroom, OP.CIT., p. 157. 153. Matthew Lipman, OP.CIT., p. 173.

condition de possibilité à la recherche en commun. Elle représente également un environnement actif dans lequel chacun des participants est engagé dans un contexte qui nécessite un agir moral. Le dialogue appelle donc une action morale, et met en place un cadre approprié pour engager une pratique de la moralité. Plusieurs habiletés sont alors mises à contribution. Nous pensons d’emblée à la capacité de reconnaître ses sentiments et ceux des autres, de développer une plus grande sensibilité, d’acquérir un juste sens des proportions, d’être plus ouvert face à la diversité et donc d’être plus tolérant ^.. Toutes ces dispositions sont propres au dialogue, ce qui implique qu’elles sont nécessairement présentes lors d’une activité dialogique telle que celle que met en place l’approche de Lipman.

Dans le même ordre d’idées, nous pourrions penser que la pratique du dialogue en communauté de recherche philosophique détient un caractère intrinsèquement moral, en ce sens où elle installe les participants dans une sorte de microsociété dans laquelle ils doivent s’investir activement, ce qui implique qu’ils doivent respecter certaines attitudes morales comme le respect, la justice, la tolérance et la prudence. Dans le cadre de la formation morale, cette pratique de la vie démocratique occupe une place aussi grande que celle que détient le développement du jugement par la recherche :

la raison pratique, la recherche réflexive et le jugement pratique, reflétés dans une praxis politique communautaire, présupposent que les personnes de la société ont le sens de la recherche et du dialogue communautaires, ainsi qu’une disposition vis-à-vis les habiletés d’une telle recherche. Les personnes seront éventuellement capables de prendre un rôle actif dans la formation d’une société démocratique, uniquement dans la mesure où elles auront auparavant expérimenté le dialogue avec d’autres personnes en tant qu’égales, et qu’elles auront aussi pris part à une recherche publique partagée154 155.

3.3 Conclusion

Dans cette seconde partie, nous avons pu voir un peu plus en détail ce qu’est la philosophie pour les enfants. Ainsi, nous avons montré comment le programme initié par

154. Ann Margareth Sharp, OP.CÏT., p.64.

155. Ann Margareth Sharp, La communauté de recherche: une éducation pour la démocratie, IAPC, Montclair State College, 1989; in. Recueil de textes Philosophie pour les enfants, OP.CIT., p.61.

Lipman vise essentiellement à améliorer le jugement des enfants5. Pour ce faire, Lipman opte pour une pratique de la philosophie à Γintérieur d’une communauté de recherche. Dans ce contexte, les enfants sont amenés à entrer en dialogue et à explorer de manière critique, par le biais de la recherche, le problème qui sert de contenu à la discussion. C’est en prenant appui sur cette présentation générale que nous avons pu dégager deux éléments essentiels à la démarche : la pensée critique et le dialogue.

Nous avons pris soin d’explorer l’idée de pensée critique. L’ayant défini, nous avons, par la suite, tenté de montrer comment le

processus

qu’implique la pratique de la pensée critique en commun, s’intériorise en chaque individu et est susceptible de se traduire non seulement par des jugements critiques, mais également par des actions orientées par des décisions

réfléchies.

C’est en s’inspirant d’une distinction entre communication et dialogue que nous avons pu prendre connaissance du caractère à la fois cognitif et éthique de ce dernier. Ainsi, nous avons d’abord vu que, étant donné le processus qu’il engage (questionnement / argumentation / raisonnement / définition... ) et la fin qu’il vise (la vérité), le dialogue contribue largement au développement de la pensée. Ensuite, nous avons vu que, de par sa nature, le dialogue suppose une

rencontre

et que celle-ci, pour être dialogique, doit comporter certaines exigences éthiques, à savoir: considérer l’autre comme une

personne,

c’est-à-dire libre, digne et égale, ou pour mieux dire, comme un autre soi.

Finalement, nous nous sommes concentrés sur la conception de la formation morale en philosophie pour les enfants. Cette étude nous a permis de voir qu’en terme de formation morale c’est la pratique qui prime dans cette méthode, et c’est en quoi nous parlons d’éducation. Or, le dialogue apparaît comme une action dans laquelle nous sommes conduits à adopter et pratiquer des comportements moraux. C’est en quoi d’ailleurs le dialogue s’intégre parfaitement à la conception qu’adopte la philosophie pour les enfants en terme d’éducation morale.

Il semble que nous avons recueilli suffisamment d’éléments nécessaires pour nous engager dans la dernière partie de notre recherche. Nous prendrons les éléments recueillis jusqu’ici, qui seraient incompréhensibles sans la présentation que nous venons de faire, pour les relier aux critères de la formation des vertus. Cet arrimage des concepts nous permettra de porter un jugement critique à l’égard de notre problématique initiale.