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LA TECHNOPHANIE COMME MODE D’ACCÈS

Dans le document Manufactures Technophaniques (Page 123-130)

AUX TENSIONS

Qu’est-ce que Simondon cherchait avec cette tentative technophanique ? Quelles performances nouvelles les technophanies peuvent-elles bien obtenir, que les autres procédés techniques n’ont pas ?

Dans ce chapitre, nous allons étudier ce que cette symbolique associée à la technique permet de générer vis-à-vis d’individus et de collectifs qui en font l’expérience. Nous verrons que les réactions sont de deux types. La première est celle de la compréhension du schème technique, qui permet l’action et la création. Ce premier effet est similaire à l’explication du procédé ou à l’instauration d’une culture technique. Le symbolisme de la machine est corrélative aux signes utilisés pour la décrire. Nous sommes dans l’ordre de l’explication. Le second effet est spécifique au symbole : chaque technophanie est source d’une ambivalence, d’une tension, d’un décalage. Mes projets, par les relations qu’ils instaurent avec d’autres univers, sont souvent source d’un débat, d’une limite, d’un problème, d’une prise de position. Isomorphe à la hiérophanie qui révèle le sacré dans les choses, la technophanie révèle des tensions inhérentes à la technicité.

Emile De Visscher, Pearling, dans l’exposition EN

VIE aux frontières du design, Paris, Fondation EDF,

2013, commisariat Carole Collet. Fig 34.

186 187 Si nous avons jusqu’ici exploré la genèse et les caractéristiques de la technophanie,

nous n’avons pas encore abordé ses effets. En quoi est-ce que les manufactures technophaniques sont elles intéressantes ? Qu’est-ce qu’elles génèrent comme relation vis-à-vis des individus et collectifs concernés, que d’autres dispositifs techniques ne produisent pas ?

8.1. RAPPROCHEMENT DES GILBERTS

Pour aborder ce point et poursuivre la lecture “forte” de la technophanie que je tente d’établir ici, il est utile de faire appel à un autre auteur, contemporain de Simondon : Gilbert Durand. Celui-ci soutient sa thèse de philosophie en 1959, l’année suivante de celle où Simondon soutient ses thèses principale et complémentaire. Durand ne vient pas du même milieu philosophique que Simondon, étant élève de Bachelard et de Corbin avant tout. Mais il est aussi influencé par Jung et Eliade que l’on retrouve dans l’ensemble de son travail. De plus, Les Structures Anthropologiques de l’Imaginaire, sa thèse publiée en 1960, est devenue, comme les thèses de Simondon, une référence incontournable de son champ, une entreprise gargantuesque qui transformera la manière de penser et de pratiquer l’anthropologie et la philosophie de l’imaginaire. Durand est d’ailleurs investi d’une mission très similaire à celle de Simondon, mais si ce dernier cherche à réévaluer les techniques, Durand veut pour sa part réintroduire les imaginaires au sein des sciences sociales, qu’il considère délaissées comme objet d’étude :

Pour Gilbert Durand, l’étude de l’homme est passée aux mains de courants d’idées réductionnistes et quasi totalitaires, qui divisent l’homme pour le réduire à l’objectivité, qui cherchent dans divers matérialismes, historicismes et déterminismes externes, les clés d’une humanité qui s’est révélée en fait limitée le plus souvent à l’homme européen rationnel, propre aux Lumières, incapables de comprendre les diverses voies des cultures pour exprimer leur sens de la vie et du monde. 1

D’une certaine manière, Durand poursuit les études initiées par Bachelard sur les éléments et l’espace. Mais il va aussi s’en éloigner sur un point capital. Si Bachelard soutient que l’imaginaire et la science sont opposés et ne doivent pas interagir, Durand n’émet pas de différence fondamentale entre les différentes cosmologies ancestrales ou “archaïques” et celles de l’objectivité occidentale, en “contestant l’antagonisme entre imaginaire et rationalité”2. Cette posture est particulièrement intéressante pour notre entreprise technophanique, parce qu’elle permet de questionner l’impossibilité substantielle d’un lien entre technique et symbolique émise par différents philosophes (comme Ellul et Hottois discutés ci-avant). Pour Durand, c’est l’étude de l’imaginaire qui peut expliquer l’apparition et les structures de “la soi-disant objectivité et des mouvements de la raison”3, et non l’inverse :

Les rationalistes et les démarches pragmatiques des sciences ne se débarrassent jamais complètement du halo imaginaire, et tout rationalisme, tout système de raison porte en lui ses fantasmes propres. Comme le dit Jung, “les images qui servent de base à des théories scientifiques se tiennent dans les mêmes limites (que celles qui inspirent contes et légendes).4

Il rejoint Edgar Morin qui soutient aussi que la pensée logique est toujours insérée dans la pensée imaginaire ou mythique :

1 Jean-Jacques Wunenburger, Préface à la 12e édition, dans Gilbert Durand, Les Structures

Anthro-pologiques de l’Imaginaire (1960), Malakoff, Dunod, 2016, p. IX.

2 Ibid., p. XIII.

3 Gilbert Durand, Les Structures Anthropologiques de l’Imaginaire (1960), Malakoff, Dunod, 2016, p. XXVII. 4 Ibid., p. 42.

“L’esprit humain produit une double pensée, l’une symbolique/mythologique/ magique, l’autre rationnelle/logique/empirique. L’une est toujours d’une certaine façon en l’autre (en yin-yang), mais c’est dans la première que l’analogie subit ses moindres contrôles et trouve son plein essor ; c’est dans la seconde que l’analogie est la plus contrôlée et réprimée.”5

Durand surenchérit :

“Non seulement la fonction fantastique participe à l’élaboration de la conscience théorique, mais encore, elle ne joue pas dans la pratique le simple rôle d’un refuge affectif, elle est bien un auxiliaire de l’action. “6

Pour Durand, il n’y a donc pas incommensurabilité entre pensée rationnelle et pensée imaginaire, objectivité et subjectivité, figure et fond. Au contraire, les deux régimes sont liés et peuvent, lorsqu’ils ne sont pas isolés l’un de l’autre, participer équitablement à la compréhension et à l’action. Durand s’accorde d’ailleurs avec Simondon et Eliade sur la différence entre signe et symbole : “Dans le symbole constitutif de l’image il y a homogénéité du signifiant et du signifié au sein d’un dynamisme organisateur et, par là, l’image diffère totalement de l’arbitraire du signe”7 ; “en perdant de sa polyvalence, le symbole tend à devenir signe, tend à migrer du sémantisme au sémiologisme.”8 ou encore “La fonction symbolique est donc dans l’homme le lieu de passage, de réunion des contraires : le symbole dans son essence et son étymologie est unificateur de paires d’opposés”9. Le symbole chez Durand est aussi instauratif et phénoménologique :

le symbole est une représentation qui fait apparaître un sens secret, il est l’épiphanie d’un mystère. 10 Yves Labbé ajoute d’ailleurs à propos de l’acceptation Durandienne du symbole : “elle ne permet pas de mieux voir. Elle rend visible l’invisible. Elle n’est pas pédagogique, mais bien épiphanique.”11 Ce mystère ne se dévoile non pas par lui-même, mais par le réseau de symboles auquel il renvoie, ce que Durand appelle la redondance :

C’est par la pouvoir de répéter que le symbole comble indéfiniment son inadéquation fondamentale. Mais cette répétition n’est pas tautologique : elle est perfectionnante par approximations accumulées. Elle est comparable à une spirale, ou mieux un solénoïde, qui à chaque répétition cerne davantage sa visée, son centre. Non pas qu’un seul symbole ne soit pas aussi significatif que les autres, mais l’ensemble de tous les symboles sur un thème éclairent les symboles les uns par les autres, leur ajoute une puissance symbolique supplémentaire. 12

Très important pour nous dans ce chapitre, Durand insiste sur le caractère épiphanique du symbole :

Tout symbolisme est une sorte de gnose, c’est-à-dire un procédé de médiation par une concrète et expérimentale connaissance. Comme une certaine gnose, le symbole est une “connaissance béatifiante”, une “connaissance salvatrice”. [...] C’est alors que se révèle le sens profond du symbole : il est “confirmation” d’un sens à une liberté personnelle. C’est pour cela que le symbole ne peut pas s’expliciter : l’alchimie de la transmutation, de la transfiguration symbolique ne peut, en dernier

5 Edgar Morin, La Méthode, III : La Connaissance de la Connaissance, I : Anthropologie de la Connaissance, Paris, Seuil, 1986, p. 141.

6 Gilbert Durand, op. cit., p. 427. 7 Ibid., p. 9.

8 Ibid., p.42.

9 Gilbert Durand, L’imagination Symbolique (1964), Paris, Presses Universitaires de France, 2015, p. 68 10 Ibid., p. 13.

11 Yves Labbé, op. cit., p. 43.

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ressort, s’effectuer que dans le creuset d’une liberté. Et la puissance poétique du symbole définit la liberté humaine mieux que ne le fait une quelconque spéculation philosophique : cette dernière s’obstine à voir dans la liberté un choix objectif, alors que dans l’expérience du symbole nous éprouvons que la liberté est créatrice d’un sens : elle est poétique d’une transcendance au sein du sujet le plus objectif, le plus engagé dans l’évènement concret.

Le symbole est toujours le lieu d’une expérience. “Le lien entre les symboles ne relève pas de la logique conceptuelle : il n’entre ni dans l’extension ni dans la compréhension d’un concept. Il n’apparaît pas davantage au terme d’une induction ou d’une déduction ; ni d’aucun procédé rationnel d’argumentation. Le symbolisme n’est pas logique... [...], car finalement, il s’agit toujours d’un naître avec, en mettant l’accent sur cet avec, petit mot mystérieux où gît tout le mystère du symbole.”13

8.2. RÉACTIONS AUX MANUFACTURES TECHNOPHANIQUES : L’INFORMATION Toutes ces théories éminentes sur le pouvoir de la pensée symbolique sont très intéressantes, mais il faut pouvoir les relier aux cas concrets de l’expérience pour révéler ce qu’elles signifient et ce qu’elles impliquent dans la technophanie. Pour ce faire, je ne peux pas parler de ce que j’aimerais véhiculer avec mes projets, car je risque d’y inscrire mes propres interprétations. Il faut plutôt que je me penche sur les réactions que j’ai pu avoir lors des différentes mises en public. J’utiliserai principalement Polyfloss et

Pearling, puisque ce sont les projets qui ont été montrés avant et au cours de la thèse

— les deux autres projets seront exposés pour la première fois à la soutenance. À chaque fois, que cela soit dans le cadre d’une exposition, d’un atelier participatif, d’une conférence ou d’une performance, les individus ou spectateurs commencent par chercher des indices de compréhension du processus. Comme dans les machines mises en scènes de la première partie, les spectateurs sont intrigués par le mouvement, la disposition, les matières en transformation. Ils paraissent intéressés par l’esthétique de la machine, et font appel à leurs sens pour en deviner ce qui s’y déroule. Puis, à un moment donné, ils reconnaissent quelque chose qu’ils ont déjà vu ailleurs. Ce moment est souvent très marqué, particulièrement visible sur leur visage, instantané. Il y a un réel déclic. Pour la machine Polyfloss notamment, je me souviens très bien d’un certain nombre de visiteurs lors de la première présentation publique au Salone del Mobile de Milan 2012, qui après quelques minutes d’observations, d’analyse, avec sourcils froncés et une certaine désapprobation, se sont tout d’un coup mis à éclater de rire, à appeler leurs amis et collègues pour leur montrer le projet, et à vouloir toucher la matière absolument. C’est ce même déclic que j’ai moi-même décrit lors de la découverte des machines citées dans le prologue : tout d’un coup j’ai reconnu l’opération de Cloaca comme un tube digestif, j’ai établi un lien avec un ailleurs qui n’existait pas l’instant d’avant. Ce premier moment, celui de la création d’un lien, correspond exactement à ce que j’ai moi-même cherché dans mon processus de création et qualifié de “choc bisociatif” suite à Koestler. Cette liaison abrupte, dans le cas d’une blague, enclenche le rire.

La bisociation soudaine d’une idée ou d’un évènement à deux matrices habituellement incompatibles produit un effet comique à condition que le récit, le canal sémantique, ait la tension émotive qui convient. Ce chéneau troué, notre attente flouée, la tension devenue excessive éclate en fou rire, ou s’égoutte doucement en sourire. 14

C’est exactement le même processus qui s’opère lors de la découverte de mes projets :

13 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (dir), Dictionnaire des Symboles, Paris, Robert Laffont, 1969, p. XXX. 14 Arthur Koestler, Le Cri d’Archimède, La Découverte de l’art et l’art de la découverte (1964), Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 37.

au départ lié à un contexte d’exposition de design, les individus y voient une machine, des formes, des couleurs, et ne s’attendent pas à y reconnaître des choses provenant d’un plan totalement différent. Puis, d’un coup, le lien se fait : l’individu fait corréler les plans de son imaginaire de l’enfance, du sucre, du plaisir, de l’informe, de la fête foraine — avec la machine de production très sérieuse et compliquée qu’il a devant lui. Un choc s’opère, et, comme le dit Koestler, “le tout sera d’autant plus surprenant que les parties sont familières”15. S’enclenche alors une surprise, un sourire, un attachement particulier. Dans de nombreuses expositions ou ateliers, les personnes qui ont vécu ce moment sont devenues les ambassadeurs temporaires du projet : ils invitaient les spectateurs autour à venir voir, ils commençaient à expliquer eux-mêmes le processus, ils voulaient se l’approprier. Dans le cas de Pearling, j’ai pu observer ces mêmes réactions : au départ très dubitatifs, certains visiteurs ont reconnu la perle et ont fait le lien avec l’huître qui est bien loin, a priori, d’une machine articulée et motorisée avec des bains de produits chimiques dans la Fondation EDF. Ce premier moment peut advenir de lui-même, mais il peut aussi être généré par mon explication. Certains visiteurs viennent directement demander de quoi il en retourne, et je n’ai qu’à leur dire qu’il s’agit d’une barbe à papa de plastique recyclé ou une fabrique de nacre pour qu’ils fassent le lien et retournent observer les projets pour valider l’analogie que je viens de leur fournir.

Suite à cette première étape, différents types de réactions peuvent advenir. Je ne peux pas réellement les ordonner, au sens où il y aurait une première, deuxième puis troisième successivement. Cela dépend des personnes, du contexte, de la manière dont sont présentées les machines et sans doute de mon attitude aussi.

L’une de ces réactions concerne le principe technique du processus. Une fois l’analogie établie, on me pose souvent des questions de précision sur le fonctionnement : la plupart connaissent le principe de la barbe à papa et me demandent donc si ce sont les mêmes températures, les mêmes vitesses, de quelles tailles les trous doivent être, comment notre machine est chauffée, etc. Il s’agit donc, dans ces questions, de comprendre les différents mécanismes à l’œuvre dans la machine. La technophanie donne des clés de compréhension technique (on sait qu’il faut introduire des granules, qu’ils se transforment en laine, qu’il y a quelque chose qui chauffe et qui tourne, qu’il faut le collecter sur une structure, etc.). Pour Pearling, on me demande souvent si j’ai introduit un grain de sable, quels sont les contenants des bains, à quelle vitesse cela se construit, si j’ai construit la machine moi-même. À nouveau, la symbolique de la perle informe sur certains éléments techniques du processus — et la série de questions qui s’ensuit sur ce point cherche à établir les correspondances et les différences entre les mécanismes de la machine et le processus de l’huître des océans et lagons. Dans ce cadre, l’objectif de la technophanie n’est pas de transmettre les raisons scientifiques inhérentes au procédé, qui peuvent venir dans un second temps si l’interlocuteur le souhaite, mais d’en comprendre le mécanisme global, ce que Simondon appelle une “compréhension technique”. Comme pour les enfants auquel il donnait des cours d’initiation pratiques, Simondon soutient qu’un jeune “ne peut pas comprendre, au sens profond du mot, ce qu’est un arbre ou un animal. Il peut pourtant comprendre, au sens technique du mot, pourquoi on doit arroser un arbre qui vient d’être planté, pourquoi un arbre a besoin de lumière ; c’est que l’enfant réalise une saisie intuitive de l’organisation de l’arbre ; il ne comprend pas scientifiquement l’assimilation et la photosynthèse, mais il peut comprendre ce qu’est une greffe ou un marcottage. C’est ce genre de compréhension, intuitive, mais non affective ou animiste, que nous nommons compréhension technique.”16 La technophanie fournit ce type d’information : elle ne cherche pas à transmettre les connaissances scientifiques ou mécaniques profondes, mais plutôt une compréhension instinctive des mécanismes sous-jacents. Dans un second temps, elle peut amener à s’intéresser à la technologie et son langage chiffré :

15 Arthur Koestler, op. cit., p. 108.

16 Gilbert Simondon, “Place d’une initiation technique dans une formation humaine complète” (1953), dans Gilbert Simondon, Sur la Technique, Paris, Presses Universitaires de France, 2014, p. 217.

190 alors les technophanies “peuvent permettre à l’être humain de franchir les limites de

la culture et de pénétrer dans le monde des objets techniques non ritualisés, comme l’initié franchit les limites du sacré après avoir accompli les rites.”17

Une autre réaction concerne la production. La découverte de sa symbolique apporte au spectateur différentes informations sur les résultats de la machine : Polyfloss va produire une laine flexible de fibres enroulées comme la barbe à papa. Mais cette analogie soulève d’autant plus de questions vis-à-vis de son utilité. À quoi peut servir cette laine ? Est-elle isolante ? Est-elle inflammable ? Est-elle moulable ? Est-ce qu’on peut en faire des habits ? La tisser ? Est-ce que je pourrais l’utiliser pour faire des cotons-tiges (entendu lors d’un salon professionnel) ? Des sacs pour le riz (entendu dans une présentation à un industriel du plastique) ? Des systèmes de captation de brume (dans une école d’ingénieur) ? Pour Pearling, on me demande si les perles doivent être lustrées comme les perles naturelles, si on peut réaliser n’importe quelle géométrie — on m’a même demandé si je pourrais “nacrer une voiture entière” ou une montre — si la qualité est la même, si je pourrais remplacer des perles naturelles sur le marché.

Ces deux réactions, l’une sur la composition de la machine, l’autre sur ses résultats, sont informées par les connaissances provenant de l’analogie avec respectivement la barbe à papa et la perle. Si cette qualité est intéressante parce qu’elle permet de véhiculer des informations techniques ou fonctionnelles sans besoin de discours préalable, elles sont finalement équivalentes à des explications sur le mécanisme ou les résultats de la technique. Pour n’importe quelle machine, il serait possible d’expliquer le fonctionnement et les résultats obtenus de la même manière qu’avec celles que j’ai produites là. Ces premières réactions sont de l’ordre de l’information. Si la technophanie se résumait à cet effet, elle serait bien loin des discours théoriques d’Eliade, Durand et Simondon quant à “l”épiphanie du symbolisme”, “la gnose” ou “le mouvement à l’intérieur du réel” que nous avons évoqué.

8.3. RÉACTIONS AUX MANUFACTURES TECHNOPHANIQUES : LA TENSION

La réaction la plus intéressante et la plus importante à la technophanie se situe ailleurs. Elle est souvent plus subtile aussi. Elle s’opère par l’ambivalence que génère la symbolique invoquée.

Le projet Pearling est emblématique de ce rapport, selon deux aspects. Le premier concerne la temporalité de production. Le procédé technique résulte d’un biomimétisme du principe par lequel l’huître crée la nacre. Dès lors, la temporalité nécessaire à la création de couches de nacre successives est similaire à celle de l’huître. Malgré tous mes efforts d’accélérations en laboratoire, le principe de la machine est de tremper des formes dans des bains successifs de matière, et chaque trempe en dépose quelques microns en une dizaine de minutes. La pousse des perles est ainsi extrêmement lente, de l’ordre d’un millimètre tous les 6 mois. À de nombreuses reprises, lors de mises en public, j’ai eu droit à des questions concernant cette temporalité : “est-il possible de l’accélérer ? Est-ce plus lent ou plus rapide que la perle naturelle ?”

Dans le document Manufactures Technophaniques (Page 123-130)