• Aucun résultat trouvé

SUGGÉRER LE POTENTIEL PLUTÔT QUE DES POTENTIALITÉS

Dans le document Manufactures Technophaniques (Page 72-77)

L’OUTIL DE LA PRATIQUE

3.7. SUGGÉRER LE POTENTIEL PLUTÔT QUE DES POTENTIALITÉS

Produire des outils correspond donc à définir des opérations qui ouvrent des espaces de pratiques, alors que l’objet définit des fonctions et ouvre un espace d’usage. L’un ouvre des possibles, l’autre des possibilités51. Tous mes projets constituent, en ce sens, des outils, parce qu’ils définissent une opération, mais aucun usage a priori. L’usage se fera par la rencontre avec des contextes (voir partie 3). Mais il y a un problème tout à fait fondamental qui se pose dans la transmission de tels outils : comment donner à voir ces possibles justement ? Comment fournir des clés de projection dans

48 Pierre-Damien Huygue, “Le Design Comme Prudence”, dans Pierre-Damien Huygue, À quoi tient le

design, Saint-Vincent de Mercuze, Éditions De L’Incidence, 2014, p. 55.

49 Aristote, Métaphysique : Delta (-320), sous la direction de David Lefebvre et Marwan Rashed, Paris, Vrin, 2014, pp. 49-51.

50 C’est tout aussi vrai pour l’architecte, qui a beau avoir un art de bâtir, il ne pourra rien construire sans instruments, sans équipe, sans briques. Pareil pour la lyre, qui a beau contenir une capacité de son, elle ne produit aucun son sans une action externe, une action elle-même infusée de savoir-faire.

51 Voir à ce sujet l’article de Barbara Adams, “Up-ending Systems”, dans Susan Yelavich et Barbara Adams (eds), Design as Future-Making, London, Bloomsbury, 2014, p. 180.

des usages, sans les définir et risquer de restreindre l’outil ouvert à une destination spécifique ? Comment suggérer sans prescrire ? Cette question, qui paraît annexe, est en fait fondamentale parce que pour qu’un outil soit pratiqué, il faut que les individus et collectifs concernés puissent envisager les possibles de cet outil.

Cette question m’a toujours posé problème dans mes projets. C’est tout d’abord avec Polyfloss que je pris conscience de l’ampleur de la difficulté. Pour sa première présentation publique, au Work In Progress Show du Royal College of Art en 2012, nous avions prototypé une série d’objets d’usage réalisé avec la laine recyclée. Il y avait, en particulier, une doudoune taille réelle montée sur un mannequin, un pot de fleurs en aquaponie, ainsi qu’un casque d’écoute. Bien entendu, ces prototypes n’avaient pas vocation à être des produits : la doudoune était bien trop rigide pour être portée, le pot de fleurs fuyait, et les différentes parties du casque ne tenaient ensemble que parce que collées à un montant pour l’exposition. Mais l’objectif était de suggérer de possibles applications dans les objets du quotidien. Ce choix fut absolument catastrophique. Après la première réaction enthousiaste vis-à-vis de la machine, plusieurs visiteurs voyaient alors les applications et résumaient le projet à celles-ci : “votre machine permet donc de créer des casques d’écoute et des doudounes”. À chaque fois, nous devions les contredire pour expliquer que ce n’étaient que des exemples, qu’il fallait plutôt voir le potentiel de mise en forme et de techniques ouvertes par le procédé, pas les usages spécifiques de telle ou telle application. D’autres, se penchant sur les objets, émettaient directement une série de doutes : “je ne porterai jamais cette doudoune ! Avez-vous testé la toxicité ? Le casque m’a l’air bien faible ! Est-ce qu’il n’y aurait pas des gaz enchâssés dans votre pot de fleurs qui nuirait au développement de la plante ? Êtes-vous sûr de vouloir mettre du plastique recyclé en contact avec la peau ? Etc.”. À chaque fois, nous devions argumenter avec les mêmes réponses : ce ne sont que des exemples qui permettent de montrer différents types de mises en formes de la matière que nous avions inventée. Nous nous sommes rendu compte que ces objets nuisaient considérablement à la compréhension et l’adhésion au projet — bien pire : ils accaparaient tout le discours qui se focalisait sur des problèmes d’usage. Nous avons appris à cette occasion qu’il ne fallait jamais présenter le potentiel d’un procédé au travers d’applications trop spécifiques — l’usage présenté accaparait totalement la proposition de procédé ouvert et participatif.

À la suite de cette expérience, nous avons présenté le projet à la Foire de Milan. Prenant l’option inverse, nous avons décidé de ne montrer que des échantillons, des morceaux de matière et de couleurs, des assemblages. Certains d’entre eux étaient refondus sur des moules à gâteau sphériques, ce qui pouvait suggérer la typologie du bol, mais sans pour autant le présenter comme tel. Cette option fut bien plus fructueuse, car elle permettait de focaliser les discussions et les retours sur les qualités de matières, de mises en forme, le fonctionnement de la machine, le potentiel d’application, plutôt que de bloquer sur des usages. De nombreux designers, architectes ou artistes enthousiastes nous demandaient si nous avions pensé à des applications dans le bâtiment, dans la sculpture, dans l’édition, dans les textiles, dans le mobilier, etc. Notre choix fut donc bien plus efficace pour véhiculer le potentiel du projet.

Néanmoins, plusieurs expositions dans d’autres contextes soulevèrent la particularité du Salone del Mobile de Milan : cette dernière est le rendez-vous annuel de tous les créateurs, designers et architectes d’intérieur — l’audience est constituée uniquement de gens dont le métier est de projeter des applications vis-à-vis de matériaux sous formes parcellaires (échantillons, mais aussi catalogues de pièces détachées, etc.). Dans des contextes moins spécifiques, avec un public plus large, par exemple dans la foire Habitat & Jardin à Lausanne (2014), le Popup Store Wired à Londres (2012) ou la Galerie Ben Simon à Paris (2013), les questions des visiteurs étaient toutes tournées vers le manque d’applications présentées : ils n’arrivaient pas à imaginer des usages à partir de quelques échantillons de matière disposés devant eux. Ils étaient bien intéressés par la machine, mais il leur était bien plus difficile de concevoir mentalement

Première présentation publique du projet

Polyfloss au WIP du Royal College of Art, Londres,

2012.

Installation de présentation du projet Polyfloss au sein de l’exposition We Make It au salon Habitat et

Jardin, Lausanne, 2014.

Détails des objets produits pour le RCA WIP, Londres, 2012.

Performance de fabrication de lampes en plastique recyclé Polyfloss au cours de l’exposition We Make It au salon Habitat et Jardin, Lausanne, 2014.

Détails des produits présentés à Milan en 2012.

Prototypes proposés par les élèves de l’EnsAD, suite à l’atelier Partagé organisé par Aurélie Mossé et Jean-François Bassereau autour de Polyfloss, présentés au sein de l’exposition

Invention/Design, regards croisés, au Musée des

Arts et Métiers, Paris, 2016. Détails des objets produits pour le RCA WIP,

Londres, 2012.

Installation de présentation du projet Polyfloss au sein de l’exposition Rehogar 6, Séville, 2014. Stand de présentation du projet Polyfloss au sein

de l’exposition Paradise du Royal College of Art au Salone del Mobile, Milan, 2012.

Détails des produits présentés à Milan en 2012.

Détails des moulages de Polyfloss réalisés au sein du doctorat, 2017.

Installation Polyfloss au sein de l’exposition

Invention/Design, regards croisés, au Musée des

Arts et Métiers, Paris, 2016.

Fig 39. Fig 43. Fig 45. Fig 49.

Fig 40. Fig 46. Fig 41. Fig 42. Fig 47. Fig 48. Fig 44. Fig 50.

86 des produits ou des intérieurs faits à partir de ces petits carrés de matières colorés.

Nous étions donc dans une impasse : les échantillons de matière faillissaient autant que les objets fonctionnels dans leur mission de transmettre le potentiel du projet — du moins pour les audiences extérieures au design que nous cherchions à enrôler.

Pearling suivit un parcours tout à fait similaire : la première mise en public en 2012

montrait, à côté des tests et de la machine, un service à vaisselle réalisé en pâte à bois et peinture perlée sur des couverts et assiettes en plastique. J’avais cherché à montrer le potentiel transformateur de ma machine, rendant des objets jetables en produits précieux. Ces objets furent un désastre pour le public : je devais expliquer que ce n’étaient que des prototypes, des extrapolations, que l’irisation n’était même pas celle que l’on obtenait avec mon procédé, bref, que tout cela était fait en moulage et peinture d’acrylique, très maladroitement réalisée par ailleurs. Des visiteurs me demandaient si cela tiendrait au lave-vaisselle, si la fourchette n’allait pas se briser au contact des dents ou s’il était possible de l’utiliser dans un micro-ondes. Lors de ces discussions, je perdais instantanément l’intérêt que j’avais obtenu grâce à la singularité de la machine et les échantillons disposés comme des objets précieux. C’était comme un trou noir — le projet attirait beaucoup, mais dès que la discussion se focalisait sur ces objets, je perdais toute crédibilité. Je décidai donc, comme pour Polyfloss, de m’arrêter sur des échantillons pour les expositions suivantes.

Ce fut le cas de l’exposition à l’Espace EDF — ALIVE, pour laquelle j’avais produit une nouvelle machine à six branches. J’ai signifié à Carole Collet, commissaire de l’exposition et professeur à la Saint-Martins à Londres, que je ne voulais pas montrer d’objets, mais uniquement des échantillons, et si possible des échantillons produits sur place. Elle accepta, et le présentoir de mon installation évolua ainsi avec des ajouts successifs de formes et de bouts de matière variés. Pour l’exposition collective plus récente Percolaris, je proposai d’aller encore plus loin dans la monstration de l’envers du décor du processus de fabrication : je décidai de monter mon laboratoire sur place. Je plaçai toutes les machines dans l’espace et me construisis une paillasse avec mes produits chimiques à disposition sur une grande étagère. J’assumais ainsi pleinement le caractère évolutif et inabouti du projet : non seulement je montrais des échantillons et des résultats expérimentaux sur plaques de verre, mais en plus je me mettais moi-même en scène comme quelqu’un qui ne sait pas exactement encore comment venir à bout du projet — j’étais moi-même exposé en tant que forme inachevée dans le procédé de développement, je n’avais pas encore pu refermer la boîte de pandore de la solution technique.

Malgré ces tentatives, il fut de même que pour Polyfloss : les échantillons ne suffisaient pas. La grande majorité des visiteurs, passionnés par la machine et le procédé, n’y voyaient qu’un moyen économique pour produire des perles. Mais l’intérêt de la machine est qu’elle n’est plus limitée par la forme sphérique ni par la dimension de l’huître : il est tout à fait possible de “nacrer une carcasse de voiture” — comment me l’a demandé un visiteur un jour — ou de manière moins radicale, des objets, des pièces techniques, des déchets, des dents, des os, etc. Hors mes échantillons, de petites tailles, souvent proches de la sphère, ne supposaient pas ce type d’ouvertures. Encore une fois, j’étais face à cette impasse.

Cette question n’est pas seulement épineuse pour moi. Elle l’est aussi pour la grande majorité des designers que j’ai énuméré en début de thèse. La plupart de ces fantastiques inventeurs, particulièrement créatifs sur les procédés, limitent les objets produits à des échantillons, des principes constructifs, ou des objets typologiques du design. Dans nos discussions entre designers, il y a d’ailleurs une caricature qui coure bien souvent : “lorsque tu utilises un nouveau matériau, tu tentes de faire une chaise — si tu n’y arrives pas, tu tentes de faire un tabouret — si tu n’y arrives pas, tu fais un vase — si tu n’y arrives toujours pas, tu fais l’objet le moins contraignant du design : un

abat-jour !”. Bien entendu, ces typologies servent de démonstrateurs : rares sont les projets qui deviennent réellement édités sous ces formes (à part quelques cas particuliers comme Oskar Zieta ou Dirk Vander Kooij). L’emprunt à des typologies classiques de design permet de ne pas soulever la question de l’usage, et limite la proposition à la forme.

Au cours du doctorat, j’ai donc cherché des exemples de designers qui dépassaient cette problématique : et quelques-uns y arrivent brillamment. Anton Alvarez, lorsqu’il réalise des sortes de structures architecturales indéfinies, montre avec brio le potentiel de son procédé sans se limiter à l’échantillon ni rentrer dans des tabourets et des abat-jour. Le Studio FormaFantasma aussi, à différentes reprises, sort de la proposition classique de design pour proposer des installations, des objets non identifiés ou des collections de formes qui impliquent des usages possibles, mais ne sont clairement pas définis, de manière fermée et affirmative, dans une application claire. On peut retrouver ces mêmes traitements chez Studio Swine en Angleterre. Ces designers arrivent à rester dans une forme d’ambiguïté entre échantillons et objets fonctionnels, à maintenir leur pratique sur cette corde raide qui permet d’être ni trop démonstratif ni trop didactique. Ils arrivent à produire des propositions généreuses, tout en laissant la part belle à l’imagination parce que trop indéfinis pour impliquer des usages clairs. C’est cette ligne que j’ai donc tenté d’explorer de différentes manières dans la concrétisation de mon doctorat.

Première présentation publique du projet

Pearling au SHOW du Royal College of Art,

Londres, 2012.

Détails des objets produits pour le RCA SHOW, Londres, 2012.

Détails des objets produits au cours de la thèse avec la machine Pearling, 2017.

Détails des objets produits au cours de l’exposition EN VIE, aux frontières du design, à la Fondation EDF, Paris, 2013.

Fig 51. Fig 53.

88 89 Pour Polyfloss, j’ai décidé de travailler sur des surfaces : capitonnées, translucides,

dallages, matière brute. Les géométries impliquent certaines projections d’usage — la microarchitecture, l’intérieur de maison, les séparateurs d’espaces, les briques, la transparence, mais ne sont aucunement, en tant que tels, objets d’usage — comme l’étaient la doudoune ou le casque d’écoute. Pour Pearling, je décidai de réaliser une série de formes de boîtiers et contenants en impression 3D — couplé à des parties en laiton. Leur dessin a pour vocation d’impliquer un usage domestique, mais la multiplication des formes et des assemblages les sortent d’une proposition déjà commercialisable — elles sont des formes à l’étude. Pour les mousses, les formes impliquent des géométries dans l’espace, des assemblages et des dessins sans entrer dans l’univers du mobilier ou de l’architecture urbaine en particulier. Enfin, Pétrification cherche à montrer des propriétés de la matière (résistance au feu, à l’eau, à la chaleur, à la pression) au travers de formes élancées, qui encore une fois, sortent la proposition des questions d’usage ou de commercialisation trop précoces.

Comment qualifier ces propositions ? Dans une conférence donnée en novembre 2006 à Marseille, le philosophe Élie During a travaillé sur l’idée de prototype et sa description semble bien correspondre à mes tentatives. Pour ce dernier, le prototype qualifie “des formes qui participent simultanément d’une logique de l’objet et d’une logique du projet” ou encore “des objets qui sont à la fois idéaux (relevant d’un régime prospectif ou projectif : celui de l’Idée qui cherche à se réaliser, à trouver sa détermination adéquate), et expérimentaux (car le prototype est déjà un objet, mais un objet non stabilisé, un objet qui peut passer le test de l’expérience, et à propos duquel les notions d’échec et de réussite doivent entrer en ligne de compte, quitte à être redéfinies à chaque étape de son élaboration). ”52 En ce sens, le prototype n’est ni le processus lui-même ni l’œuvre ouverte à la modification.

Il se présente en effet d’abord comme une coupe dans le processus, il est une ‘unité de devenir’, pour reprendre une expression de Simondon. Le problème, dès lors, n’est pas d’ouvrir l’œuvre à l’activité artistique dont elle est censée témoigner : il ne s’agit pas de l’empêcher de se figer dans une forme finie pour mieux mettre en scène sa mise en œuvre indéfinie. Le problème est au contraire de s’arrêter, de donner au projet une consistance, une lisibilité suffisante, sous la forme d’une pièce, d’une installation, de dessins ou de notes assemblées. Le prototype n’est pas l’œuvre ouverte, ou l’Œuvre superlative finalement confondue avec son propre processus, mais un objet prospectif, ou si l’on préfère, un projet matérialisé (plutôt que réalisé), un projet disposé, exposé à travers tout un relais de traces matérielles.53

Les objets que j’ai proposés ne sont pas finis au sens où ils pourraient s’implémenter tels quels dans des usages. Mais ils ne sont pas non plus des échantillons ou de simples résultats matériels du procédé quelconques. Je travaille leurs formes, leurs couleurs, leurs agencements. Ils sont pris entre l’idée de forme finie qui cherche à donner corps au projet et celle d’une expérimentation en cours, à développer et poursuivre.

Il [le prototype] est le projet donnant consistance et visibilité à l’idée, qui est elle-même la puissance d’implémentation du projet.54

52 Élie During, “Redéfinir le statut de l’œuvre d’art”, Alphabetville, Marseille, La Friche Belle de Mai, con-férence donnée le 3 novembre 2006. Une partie de la transcription est accessible sur < https://www.alpha-betville.org/article.php3?id_article=44> (consulté le 15 septembre 2018).

53 Ibid.

54 Élie During, “Prototypes (pour en finir avec le romantisme)”, Les Cahiers d’Artes, Bordeaux, Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3, numéro spécial “L’artiste”, 2008. Extrait accessible sur < http://www.th3. fr/imagesThemes/docs/th3_villien_during_13_14_10_relation_objet_prototypes.pdf> (consulté le 10 juillet 2018).

CONCLUSION

Si ce chapitre était principalement lié aux tensions entre outil/objet fonctionnel et usage/pratique, il est indissociable du chapitre suivant qui tentera de voir à quelles pratiques s’adresser pour permettre la diffusion, et surtout la participation, aux activités de production dans l’objectif de leur territorialisation.

Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, l’outil implique une pratique qui ne définit pas les usages, mais apporte des supports d’actions propres. Néanmoins, si la pratique se différencie de l’usage par la répétition sur la longueur et l’acquisition d’un savoir-faire qui permet l’appropriation créative et la prolongation de l’acte d’invention, son point faible réside dans sa force : cette répétition crée une inertie des pratiques. En effet, une pratique peu prendre des années voire des générations à se diffuser dans une société, alors qu’un usage, pour des objets simples, peut s’instaurer en quelques minutes. Instaurer de nouveaux outils requiert donc une grande prudence, car ils risquent de ne pas trouver de communauté capable de prendre le temps et d’assimiler les compétences nécessaires au développement d’une pratique associée. C’est le thème du chapitre suivant.

CHAPITRE 4

MANUFACTURE

La plupart des utopies associées à un renouveau de la production locale sont liées à des outils numériques. Pourtant, ces outils passent tous par une modélisation sur ordinateur, qui ne fait pas appel à l’intelligence de la main et du corps. Elles participent au renforcement du fantasme hylémorphique, aboutissement d’une pensée incarnée dans une forme. Sans minimiser les résultats intéressants que de tels outils nouveaux peuvent apporter, je soutiens qu’il est néanmoins important de proposer, en parallèle, des systèmes de production qui font appel à la main et au corps. Il s’agit de se pencher sur des “manufactures” qui permettent de prendre en compte les savoir-faire manuels, instinctifs et sensibles de chacun.

Toute nouvelle pratique, qu’elle soit numérique ou manuelle, demande une importante phase d’apprentissage et de motivation, ce qui en rend le développement particulièrement difficile dans la société. Les pratiques ont une inertie importante. Pour développer de nouvelles productions locales, en évitant de longues et fastidieuses heures d’apprentissage, je propose de m’appuyer sur des savoir-faire existants, déjà largement diffusés dans la société, comme le tricot, la cuisine, le moulage simple, le repassage, le pliage papier ou le graffiti. En s’appuyant sur ces savoirs diffus et en les détournant, il est possible de développer des manufactures de manière bien plus démocratique que par le développement de technologies

Dans le document Manufactures Technophaniques (Page 72-77)