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ENCYCLOPÉDIE ET SIÈCLE TECHNOPHANIQUE

Dans le document Manufactures Technophaniques (Page 134-141)

SOCIALISATION DES TECHNIQUES

9.4. ENCYCLOPÉDIE ET SIÈCLE TECHNOPHANIQUE

Simondon, dans son texte Psychosociologie de la technicité, ne cherche pas seulement à mettre en lumière les caractères de la technophanie, il cherche aussi à en repérer les occurrences dans l’histoire. Dans sa pensée, l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert constitue un moment privilégié : “L’esprit encyclopédique est avant tout un plaidoyer en faveur de la technicité”25. Même s’il accorde à Descartes la primauté de la vision mécaniste et donc de la pensée technique, il soutient que l’Encyclopédie est une avancée collective bien plus importante :

Les technophanies de l’Encyclopédie n’ajoutent peut-être pas de schèmes intellectuels nouveaux au travail cartésien, mais elles apportent la condition de participation qui fait passer une inspiration de l’individu à un public. Au XVIe siècle, on pouvait apprécier le rationalisme cartésien sans saisir toute sa portée. [...], Mais les conditions collectives d’un avènement de la technologie comme source de valeurs n’étaient pas réalisées parce que les technophanies n’existaient pas. 26

Simondon qualifie même le XVIIIe de siècle technophanique. En son sein, “un simple support ou une masse de lestage étaient travaillés au tour, comme si, au cours de l’œuvre constructrice elle-même, le loisir s’était matérialisé sous forme de perfection de l’accomplissement. Nos traités de physique du XIXe siècle conservent encore l’image de ces instruments et de ces machines qui sont des œuvres d’art, et qui fournissent l’équivalent technique de la douceur de vivre du siècle des Lumières”27. Le siècle précédent et suivant n’ont plus les mêmes rapports à la technique :

Le mouvement d’idées qui se concrétise dans l’encyclopédisme du XVIIIe

siècle s’insère entre deux étapes moins purement technophaniques et plus rigoureusement scientifiques, celle du XVIIe siècle mécaniste et celle du Positivisme. Le mécanisme du XVIIe siècle exprime la prise de conscience de la constructivité des techniques en un temps où elles étaient la chose de l’opérateur individuel. [...] Dans le Positivisme, au contraire, les catégories mentales ont changé : le travail humain et ses produits dépassent l’envergure de l’individu, la maille de son réseau, l’échelon de son ordre de grandeur. Le geste de travail de l’être individuel s’insère dans la dimension d’universalité actuelle et temporelle ; il prend un sens dans la solidarité de l’individu par rapport à l’Humanité qui le dépasse infiniment selon le temps et selon l’espace. Ce n’est pas que le travail et les techniques ne soient pas doués de constructivité ; mais il n’est plus possible de faire le tour de l’œuvre, tellement immense que l’on n’aperçoit plus ses fondations.28

Cette question d’échelle, que nous avons déjà traitée dans le cadre de la première partie, est en fait corrélative à la technophanie : l’expression symbolique de la technicité n’est transmissible que si elle est perceptible et actionnable dans son ensemble. Le XVIIIe

siècle, pour Simondon, est un moment de croisement fertile entre dimension humaine et développement technique :

L’objet technique était en train de se développer : mais il n’avait pas encore franchi le seuil de la production industrielle, il restait à la mesure des moyens individuels ou artisanaux de construction et d’utilisation : il n’était pas plus grand que l’homme, il ne le dominait pas, et donnait l’impression d’être ployable, disponible, aisément constructible.

25 Gilbert Simondon, “Psychosociologie de la technicité (1960-1961)”, dans Gilbert Simondon, Sur la

Technique, Paris, Presses Universitaires de France, 2014, p. 100.

26 Ibid., p. 104. 27 Ibid., p. 108. 28 Ibid., p. 109.

208 209 Quelle ressemblance entre cette description et l’ensemble des initiatives de FabLabs

et de nouvelles machines à échelle locale pour ateliers participatifs qui se déploient de manière exponentielle depuis la fin des années 90 ! Simondon poursuit :

L’encyclopédisme marque un moment privilégié : l’ordre de grandeur de la réalité technique, jadis plus petite que l’homme et manipulable, exemple d’immanence, construit par l’homme et modifiable à tout instant par lui sans difficulté, mais peu puissant pour cette raison, avait grandi et était devenu assez puissant pour mettre l’ordre humain de grandeur en relation de continuité avec des réalités jadis surnaturelles ; mais cet objet devenu machine, alors qu’il était jadis outil, restant pourtant une espèce d’outil, est encore manipulable par l’homme, installé dans tel village, dans telle bourgade, comme une réalité locale. Plus tard, au XIXe siècle, les objets techniques ont franchi le seuil : ils sont plus grands que l’homme et le déterminent [...] Au XVIIIe siècle, l’objet technique grandissant est justement au niveau de l’homme, il est pour quelques décades parfaitement humanisé et peut, en ce sens, servir de base à un humanisme avant de transcender l’homme29. La technophanie n’est pas seulement une propriété, une qualité des machines, elle qualifie aussi un rapport collectif aux techniques, et d’après Simondon une époque spécifique a expérimenté ce rapport de manière notoire. Ne sommes-nous pas, avec des systèmes de communication et d’échanges de pièces globalisées, mais des outils et des machines à échelles humaines, dans un cas similaire ? Pouvons-nous nous inspirer du XVIIIe siècle pour comprendre ce qui nous attend ?

Le fait qu’il [ce moment particulier] ait existé est cependant très précieux, car il nous montre une des conditions de réalisation de l’équilibre technophanique, et met l’accent sur l’importance primordiale, pour les phénomènes psychosociaux, de l’ordre de grandeur d’une réalité servant de cadre de référence, de système de dimension pour l’homme qui pense et perçoit sa relation à ses semblables et à l’univers. 30

La tendance actuelle à la mise en local, à la territorialisation, à la diffusion de machines et d’outils à échelle humaine, basée sur un système de pièces échangeables et de protocoles partagés, semble pointer vers un renouveau des caractères que Simondon soulève concernant le XVIIIe siècle. Sommes nous à l’aune d’un lien renouvelé aux techniques, permettant à ces dernières de servir de bases “à un nouvel humanisme” ? Sommes-nous, par les questions d’échelles, mais aussi de liberté à traiter la technique par la mise en scène, le symbolique et l’acte manuel, en train d’aborder un nouveau siècle technophanique ? C’est une question à laquelle il faudrait tenter de répondre collectivement. Néanmoins, ce que nous pouvons dire, c’est que pour Simondon, cette résurgence transformerait profondément notre rapport au monde, car elle mettrait “à la portée de l’homme en situation moyenne — donc participable — une perception du monde quotidienne, sans particulière tension, qui prend naturellement comme maille de décodage, comme largeur de champ d’appréhension, l’unité d’acte que la technique réalise.”31 De plus, les champs disciplinaires, des arts, sciences et techniques qui sont souvent présentés comme antagonistes pourraient à nouveau s’hybrider et travailler ensemble :

Si cette découverte était possible, elle fournirait les bases d’une culture qui redonnerait à la catégorie esthétique la place centrale qu’elle occupait chez les Grecs, et qui dépasse très considérablement tout ce qui est de l’ordre de l’agrément ou même des arts conçus comme activité séparée, chose d’artistes. Un

29 Gilbert Simondon, “Psychosociologie de la technicité (1960-1961)”, op. cit., p. 107. 30 Ibid., p. 109.

31 Ibid., p. 111.

tel élargissement de la catégorie esthétique s’est manifesté à la Renaissance, qui a vu des ingénieurs-architectes-artistes comme Léonard dze Vinci, alliant invention technique et création artistique. 32

Nous n’irons pas plus loin dans cette ouverture vers le siècle qui vient, car nous risquerions de tomber dans le fantasme d’art total et d’avant-garde qui est non seulement difficile à tenir, mais aussi particulièrement lié à un système de la table rase et d’esprit guerrier, voire pour certaines occurrences, de fascisme. Ces fantasmes sont trop régulièrement invoqués par tout créateur ou tout nouveau mouvement pour pouvoir l’être si facilement encore aujourd’hui. Il me paraît dangereux d’aller sur ces terrains, d’autant plus que la technophanie n’est justement pas une table rase, elle n’est pas moderne. Mais elle n’est pas non plus post-moderne, elle ne joue pas avec l’ironie, le pastiche ou le relativisme. Comment qualifier la technophanie, ou plutôt, mon interprétation de la technophanie ?

Un terme proposé par Tim Vermeulen et Robin Van den Akker, même s’il paraît barbare, qualifie pourtant assez bien l’esprit derrière mon interprétation de la technophanie et l’ensemble de mon travail : celui de métamodernisme33. Selon leur analyse, nous entrons progressivement dans une nouvelle ère qui se caractérise par une “naïveté informée, un idéalisme pragmatique”34. Nous sortons du cynisme post-moderne pour entrer dans un esprit d’engagement, d’affect et de “story-telling”. Pour notre génération, selon Vermeulen, “les grandes narrations sont autant nécessaires que problématiques, l’espoir n’est plus simplement l’objet du doute, l’amour n’est pas nécessairement quelque chose à tourner en ridicule”35. Le duo hollandais s’accorde pour soutenir qu’un certain renouveau du romantisme prend place dans cette notion. Ils font appel notamment à la figure de Novalis en Allemagne pour soutenir leur argumentaire :

Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel. Cette opération est encore totalement inconnue. Lorsque je donne à l’ordinaire un sens élevé, au commun un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini, alors je les romantise.36

Mes manufactures technophaniques trouvent des résonnances avec ces descriptions : elles sont bien engagées, politiques, porteuses d’un certain espoir, mais aussi passablement ludiques, drôles ou naïves. Elles cherchent à traiter des sujets difficiles avec la frivolité de l’imaginaire. Elles donnent de l’importance à la médiation, aux dénominations, à la surface. Elles cherchent à soigner la fragile manière d’expérimenter les techniques, sans tomber dans le mensonge ou le spectacle trompeur.

32 Gilbert Simondon, “Psychosociologie de la technicité (1960-1961)”, op. cit., p. 121.

33 Timotheus Vermeulen et Robin van den Akker, “Notes on metamodernism”, Journal of Aesthetics &

Culture, Londres, Routlegde, 2:1, n° 5677, 2010, accessible sur < https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.3402/

jac.v2i0.5677> (consulté le 10 juin 2018).

34 “Metamodernisme spirit can be conceived of as a kind of informed naivety, a pragmatic idealism.”, traduit par l’auteur. Ibid.

35 “grand narratives are as necessary as they are problematic, hope is not simply something to distrust, love not necessarily something to be ridiculed”, traduit par l’auteur. Entrée “metamodernism” sur Wikipedia en Anglais, accessible sur <https://en.wikipedia.org/wiki/Metamodernism> (consulté le 23 juin 2018). 36 “The world must be romanticized. In this way its original meaning will be rediscovered. To romanticize is nothing but a qualitative heightening [Potenzierung]. In this process the lower self is identified with a better self. […] Insofar as I present the commonplace with significance, the ordinary with mystery, the familiar with the seemliness of the unfamiliar and the finite with the semblance of the infinite, I romanticize it.”, traduit par l’auteur. Novalis, “Fragmente und Studien 1797 - 1798”, cité par Timotheus Vermeulen et Robin van den Akker, op. cit.

210 211 CONCLUSION À LA DEUXIÈME PARTIE

Dans cette partie, j’ai tenté de mettre en lumière une qualité de mes projets, celle d’être en même temps purement technique et symbolique. Cette dualité fait qu’ils ne sont pas réductibles aux descriptions techniques qui les caractérisent, ils deviennent chevelus de mille associations. Ils excèdent leurs réalités immédiates pour faire jouer des temporalités, des lieux et des discours variés. Ils instaurent un attachement qui permet à chacun, enfant ou adulte, de s’insérer dans la logique qu’ils mettent en marche.

Il y a deux remarques à soulever pour conclure cette partie.

Le premier point concerne le symbolique. La grande majorité des auteurs que j’ai cités ont écrit dans les années 1950 et 1960, à un moment où l’intérêt pour la multiplicité des rationalités, la magie, l’imaginaire et les peuples “primitifs” se développe considérablement. Mais il semble que le symbolique a depuis lors, perdu de sa superbe. Par exemple, Bruno Latour utilise le terme de “monde symbolique” pour qualifier une nouvelle bifurcation que les Modernes ont opérée, similairement à la trahison de la matière qui serait faite de qualité première (réelles et naturelles) et de qualités secondes (perceptions humaines). Selon lui, les discours auraient été segmentés de la même manière, entre ceux qui décrivent le monde tel qu’il est (scientifique et rationnel), et ceux qui utilisent les méandres du symbolisme fantasmatique (peuples primitifs, inconscient, poésie). Le terme de “monde symbolique” est donc pour lui corrélatif d’une vision moderne qui assigne aux cultures extraoccidentales un réseau d’images incohérentes et circonstancielles, subjectives et irréelles, leur permettant de faire sens de leur monde, mais qui ne peuvent le comprendre, l’explorer et l’exploiter au même titre que la science1. Ceux qu’il appelle les “êtres de fictions” lui permettent de réconcilier cette bifurcation, en montrant que la différence entre les “richesses de l’imagination” et “les tristes et froides réalités objectives” ne réside par dans leur caractère de vérité ou de fausseté. Il est avant tout un système de référence différent, il ne s’articule pas de la même manière, mais il n’en est pas moins réel, efficace et vrai. Serions-nous tombés, dans tout ce chapitre, dans le piège d’opposer symbolisme et discours scientifiques ? Avons-nous adopté un discours moderniste en en appelant à l’usage du monde symbolique parallèlement aux considérations techniques et scientifiques ? Je ne le pense pas, parce que l’interprétation du symbolisme chez Eliade ou Durand est plus fine que la réduction conceptuelle qu’en fait Latour pour établir sa critique : le symbolisme dont nous avons parlé n’est pas moins réel, efficace et vrai que les discours technologiques. Au contraire, le symbolisme en tant qu’opération de prise avec le monde permet une insertion collective dans le réel, il est plus efficace pour l’inscrire et le capter. Il est par la même occasion plus marquant et donc, au sens de William James, plus “vrai” qu’un discours scientifique ou technique.

Le second point concerne l’esthétique, dont j’ai peu parlé dans cette partie. Le texte de Simondon “Psychosociologie de la Technicité” fait pourtant souvent référence à l’esthetique, de différentes manières. Parfois, il semble désigner la même chose que la technophanie. J’ai fait le choix de délier ces deux notions dans mon analyse parce que l’esthétique, dans les autres textes de Simondon, me semble justement bien différente de la technophanie. Simondon assigne à l'esthétique et à l’objet d'art le rôle d’une tentative provisoire de rappel de l’unité magique primitive, mais imparfaite :

Pour Simondon, l’œuvre d’art s’est efforcée de maintenir le sens prémoderne de l’objet, l’œuvre d’art n’est pas contenue dans ses propres limites ; toutefois, la dimension symbolique de l’objet a dans ce cas été sauvegardée sur un plan imaginaire seulement et non sur le plan objectif d’un système opératoire. La

1 Bruno Latour, Enquête sur les Modes d’Existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, La Découverte, 2012, p. 257.

machine concrète va alors restaurer le sens symbolique de l’objet magique sur un plan opératoire, à la différence de l’objet d’art donc, et sans pour autant que ce nouveau symbolisme ait un contenu hiérophanique, à la différence de l’objet magique. La machine est technophanique. 2

À certains moments, l'esthétique est semblable à la technophanie, à d'autres, elle en est l'une des composantes, et dans la description des modes, elle est différente voire opposée à la technophanie. L'esthétique dans la philosophie de Simondon prend différentes formes, et j’ai eu beaucoup de mal à suivre la notion dans sa pensée. De plus, les descriptions qu’il en fait ne m’ont jamais semblé pouvoir caractériser ce qui se déroule dans mon travail. J'ai donc décidé de ne pas aborder la question esthétique chez Simondon car ce travail de précision demanderait une argumentation importante qui n'est pas au coeur de cette recherche. Si la thèse emploie régulièrement le terme d'esthétique, elle le fait dans un sens courant, c'est-à-dire un ensemble de forme perceptibles (qu'elles soient des couleurs, des géométries, des mouvements, des odeurs, des bruits etc) plus ou moins intentionnelles. Selon cette acception, tout objet, geste ou être vivant perceptible par les sens possède une esthétique particulière. Il n'y a pas d'objet esthétique singulier, différent d'autres objets qui ne le seraient pas. Tout objet sensible a une esthétique, même la machine d'extrusion cartérisée dans une usine. La différence réside dans la prise en compte et le travail de l'esthétique des objets, des machines et des processus. En ce sens, on ne peut pas dire que mes machines ou objets ne soient "plus esthétiques" que d'autres, simplement elles prennent en compte cette dimension pour obtenir certains effets (de compréhension du processus, de support du symbolique etc). Elles cherchent à produire certaines qualités sensibles, certaines qualités esthétiques. La qualification des différences et des similarités entre technophanie et technoesthétique pourrait donner lieu à des recherches ultérieures, en lien avec des spécialistes de la notion chez Simondon comme Ludovic Duhem, Victor Petit ou Xavier Guchet.

Dans la partie suivante, nous allons nous pencher sur la manière dont les projets ont vu le jour, pour qualifier plus précisemment les enjeux d’une approche qui prend en compte les aspects techniques, symboliques et esthétiques en vue d’une socialisation du processus.

2 Xavier Guchet, Pour un Humanisme Technologique, Culture, Technique et Société dans la philosophie de

PROLOGUE 3

DIEU CRÉATEUR ET ATOME PRIMITIF

Si je veux parler de processus de création et d’épistémologie, je dois commencer par Georges Lemaître. Homme d’Église et physicien astronome de génie, fidèle serviteur de Dieu et père de la théorie du Big Bang, son histoire est la fierté de ma famille. Depuis ma naissance, je suis bercé par son parcours ambivalent, entre pratique sacerdotale à Malignes et observatoire astronomique de Harvard.

Georges Lemaître est le cousin de mon grand-père. Il naît en 1894 à Charleroi, ville où résidait toute ma famille maternelle. À 17 ans, il se lance dans des études d’Ingénieur des Mines, mais la guerre change le cours des choses et il s’engage dans le 5e Corps Volontaire Belge. Il participe à la bataille de l’Yser et sort décoré de la Croix de Guerre en 1918. Il initie alors deux parcours scolaires simultanés : il retourne à l’Université Catholique de Louvain pour poursuivre ses cours de mathématique, mais entre parallèlement au Séminaire Catholique de la Maison Saint-Rombaut de Malignes. En 1922, il rédige un mémoire sur la physique d’Einstein dont il devient l’un des spécialistes. En 1923, il est ordonné prêtre et entre dans la Fraternité Sacerdocale des amis de Jésus. La même année, il reçoit une bourse d’étudiant-chercheur pour rejoindre l’Université de Cambridge. Il y travaille aux côtés d’Arthur Eddington, le grand physicien des étoiles, premier Anglo-saxon à s’intéresser aux travaux d’Einstein1. L’année suivante, Lemaître obtient une seconde bourse qui lui permet de traverser l’Atlantique pour s’installer à l’Observatoire d’Harvard. L’école ne proposant pas de doctorat en astrophysique, il s’inscrit au MIT voisin et y soutient une thèse sur “Le Calcul du Champ Gravitationnel d’une Sphère Fluide de Densité Homogène” en 1926. Durant ces quelques années, Lemaître en a profité pour faire le tour des observatoires astronomiques des États-Unis. Il a notamment assisté à une conférence d’Edwin Hubble qui montrait, à partir des observations de Vesto Slipher, que les “nébuleuses” (aujourd’hui appelées galaxies) s’éloignent les unes des autres.

Cette observation pose de sérieux problèmes à la cosmologie de l’époque. En effet, aucun modèle physique ou mathématique ne permet de rendre complètement compte de ces observations. Albert Einstein, dont les équations auraient pu amener une thèse d’Univers en expansion, “a préféré modifier ses équations en y ajoutant une “constante cosmologique”, car il était persuadé que l’Univers devait être statique”2. Plusieurs

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