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CHAPITRE II : PERSPECTIVE ÉPISTÉMOLOGIQUE ET CHOIX

2. Technique de production des données

La production des données s’est faite sous une forme particulière de l’entretien de recherche, celle du récit de vie. Le choix de cette technique correspond à la position épistémologique dans laquelle se situe ce travail, car à travers le récit de vie il est possible d’étudier et de théoriser la construction identitaire des personnes adoptées en tant qu’objet social. En outre, l’intérêt du récit de vie est qu’il constitue une méthode qui permet d’étudier les actions dans la durée (Bertaux 2006).

Daniel Bertaux (2006) attire l’attention sur le fait qu’il y a deux conceptions du récit de vie : une « maximaliste » où le sujet devrait livrer la totalité de son histoire à l’image d’une autobiographie, et une « minimaliste » où l’on considère que le simple fait de narrer un épisode de son existence est déjà un récit de vie puisqu’il implique la description de personnages, de relations, de contextes, etc. propres à toute histoire. Dans le cadre de ce travail cependant, le récit se trouve entre ces deux conceptions puisqu’il est demandé aux répondants de raconter leur vécu depuis leur naissance jusqu’à leur situation actuelle (donc en recouvrant toute leur vie), mais en se concentrant sur leur expérience de l’adoption.

Comme le souligne également Bertaux (2006), il faut distinguer dans les récits de vie l’histoire réelle d’une vie (l’expérience directe), du récit qui en est fait (l’expérience vécue) : d’une part il est possible de bénéficier des connaissances que des personnes semblables ont acquises dans leur expérience directe d’une situation sociale similaire, sans tenir compte des singularités ; d’autre part, à travers les différents témoignages sur l’expérience vécue de cette même situation sociale, il est possible de « dépasser leurs singularités pour atteindre, par construction progressive, une représentation sociologique des composantes sociales (collectives) de la situation. » (Bertaux, 2006, p. 37)

16 Expression fréquemment utilisée aussi bien dans la littérature que par les personnes interviewées pour parler des enfants biologiques des parents adoptifs.

Bien que l’idée de départ fut que l’entretien soit le plus possible de type non directif, il était prévu d’intervenir au cours du récit soit pour éclaircir certains points, soit pour relancer l’interviewé. La consigne lue aux participants en début d’entretien annonçait ainsi implicitement que celui-ci serait de type semi-directif17 :

Je m’intéresse au parcours de vie des personnes adoptées, et plus précisément à la façon dont elles construisent/définissent leur identité. Il s’agit donc pour vous de me raconter votre histoire en lien avec l’adoption, de votre naissance à ce jour, et votre ressenti par rapport aux différentes étapes de votre vie.

Dans la mesure du possible, je n’interviendrai pas dans votre récit et vous laisserai parler comme vous le souhaitez. Il se pourrait toutefois que je vous pose des questions à certains moments afin de vous demander des précisions ou pour vous aider à continuer votre récit.

Je vous précise que l’enregistrement de cet entretien sera retranscrit, mais qu’il restera anonyme (votre identité ne sera jamais dévoilée) et qu’il ne servira qu’à l’analyse pour mon mémoire.

Un guide d’entretien (annexe 1) a été élaboré sur la base de la littérature consultée, de témoignages écoutés dans le cadre des soirées organisées par Espace adoption, ainsi que de questions que je me posais personnellement. Cette liste de questions prédéfinies présentait l’avantage de couvrir les mêmes sujets pour tous les entretiens et de rendre ceux-ci plus comparables lors de l’analyse. Le guide était composé de cinq blocs de questions sous les intitulés suivants :

- L’adoption

Ce groupe de questions concernait les circonstances de l’abandon et les conditions dans lesquelles l’adoption s’est déroulée (questions administratives, encadrement institutionnel, etc.) et également le positionnement de l’interviewé face à l’abandon et à l’adoption.

- La famille adoptive

Dans la littérature, il est mentionné que l’intégration dans la famille adoptive et le soutien donnés par celle-ci sont essentiels à une « adoption réussie » et à l’épanouissement de la personne adoptée. C’est pourquoi il s’agissait ici d’en savoir plus sur la famille adoptive proche et élargie, son comportement vis-à-vis de l’interviewé et le type de relations qu’ils entretiennent.

17 La forme de politesse a été initialement employée dans la rédaction de la consigne mais lors des entretiens le tutoiement a été utilisé d’office.

- Liens avec le pays d’origine

Les questions portaient ici sur les différents liens que l’interviewé aurait pu garder avec son pays d’origine que ce soit simplement au niveau de son prénom, de la langue, des contacts avec des gens de là-bas ou des immigrés en Suisse.

- Le parcours de vie

Ces questions portaient sur les différentes étapes de la vie (la scolarité, la situation professionnelle, l’état civil, etc.) ainsi qu’aux milieux que peuvent avoir fréquenté les répondants (activités sportives, artistiques, politiques, etc.) et à travers lesquels ils évoluent, se construisent et s’affirment. Ces dimensions ont également été prises en compte pour ne pas restreindre l’identité des répondants au seul fait de leur adoption.

- L’identité socioculturelle

Il s’agissait là précisément de pouvoir relever comment se définissent les répondants, comment ils se perçoivent à travers les différentes facettes qui composent leur identité.

Une partie de ces questions devaient mettre l’interviewé face à l’éventualité d’adopter lui-même (Que pense-t-elle de l’adoption internationale ? Adopterait-elle à son tour un enfant ?). A travers cette projection et pour pouvoir répondre, le participant était ainsi incité à se positionner par rapport à sa propre adoption.

Bien que souvent formulées de façon fermée, la majorité des questions visaient un développement de la part de la personne interviewée. La plupart du temps, elles n’étaient donc pas posées telles quelles mais émises au gré de l’évolution de l’entretien. Quelques questions fermées avaient par contre pour but de pouvoir comparer les réponses des répondants selon certaines variables (par exemple : âge au moment de l’adoption, présence ou non de fratrie dans la famille adoptive, etc.). Il faut aussi ajouter que les questions du guide servaient surtout d’aide-mémoire mais ne devaient pas forcément être prises dans l’ordre par bloc, ni à l’intérieur de chacun de ceux-ci. Parfois même, certaines questions n’étaient pas pertinentes par rapport à la personne interviewée et étaient donc abandonnées. D’autres fois au contraire, des questions non prévues au départ mais qui ont émergé lors d’un entretien spécifique ont été rajoutées pour les entretiens suivants.

L’enregistrement des entretiens s’est fait à l’aide d’un magnétophone numérique faisant partie d’un kit permettant une retranscription facilitée (logiciel, pédale, écouteurs, câble de téléchargement, etc.). Lors des entretiens, quelques notes ont été prises, mais principalement comme pense-bête pour revenir sur certains points par la suite. En effet, il était difficile de

prendre des notes tout en continuant à regarder l’interviewé pour qu’il puisse se sentir à l’aise et soutenu dans son discours. C’est plutôt après les entretiens que les impressions sur leur déroulement ont été notées dans un carnet de terrain.