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SECTION 2. CONCEPTUALISATION DU PHENOMENE DE CROWDSOURCING

3. Taxonomie du crowdsourcing

Depuis son apparition, le crowdsourcing a fait l’objet de nombreuses propositions de catégorisations par les chercheurs (Howe, 2008 ; Brabham, 2009 ; Schenk et Guittard, 2011 ; Burger-Helmchen et Pénin, 2011 ; Lebraty et Lobre-Lebraty, 2013 ; Renault, 2013 a et b). Nous reviendrons dans cette sous-section sur les segmentations les plus pertinentes afin de mieux positionner notre recherche. Sans prétendre donner une présentation exhaustive des différentes classifications qui existent, nous nous restreindrons volontairement aux critères de différenciation que nous jugeons utiles pour la poursuite de ce travail doctoral. En examinant les travaux de Burger-Helmchen et Pénin (2011) et Schenk et Guittard (2011), les critères de segmentation suivants sont pris en compte :

- La nature des contributions demandées à la foule ; - Le mode de sélection des idées et propositions ; - La rémunération proposée.

La littérature autour du crowdsourcing évolue rapidement et distingue plusieurs formes d’application du crowdsourcing. Il est à noter comme précisé précédemment que nous nous focalisons sur le crowdsourcing impliquant un comportement créatif et innovant de la part des participants et donc nous écartons les autres stratégies de co-création comme le crowdfunding (Schenk et Guittard, 2011).

Le crowdsourcing est mis en œuvre par les entreprises pour répondre à plusieurs besoins, allant des tâches simples comme la collection de données ou la transaction de textes simples, en passant par des tâches créatives comme le design artistique, à des tâches plus complexes quand il s’agit de résoudre des problèmes. Après avoir passé en revue les différentes classifications du

crowdsourcing évoquées dans la littérature, nous présentons celles que nous jugeons pertinentes

pour la suite de ce travail doctoral. Par ailleurs, en se basant sur les travaux de Brabham (2010a), Burger-Helmchen et Pénin (2011), Schenk et Guittard (2011) et de Renault (2014, 2015), nous distinguons quatre formes de crowdsourcing :

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- Le crowdsourcing d’activités simples ou routinières ; - Le crowdsourcing de contenu informationnel ;

- Le crowdsourcing d’activités créatives ou d’idéation ; - Le crowdsourcing d’activités complexes ou inventives.

Le crowdsourcing d’activités routinières ou simples porte sur des tâches qui n’exigent pas de compétences particulières de la part de la foule (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Le résultat est plus lié à la diversité et/ou la taille de la foule qu’à la valeur individuelle des contributeurs (Schenk et Guittard, 2011). Les entreprises qui font appel à cette modalité de crowdsourcing cherchent à réduire les coûts et le temps d’exécution de la tâche (Renault, 2014b). Pour illustrer le crowdsourcing d’activités simples, Schenk et Guittard (2011) donnent l’exemple d’« Internet Eyes » qui est un service permettant aux entreprises spécialisées dans l’installation des caméras de surveillance de faire appel à une foule d’individus de surveiller des caméras de surveillance à partir de leur écran Internet pendant plusieurs heures par jour. Ils sont rémunérés en fonction du nombre d’infractions relevées, la surveillance ne requiert aucune compétence particulière de la part des individus. Appelé également crowdsourcing de micro-tâches, il consiste à faire appel à la foule d’internautes pour exécuter des tâches simples (Brabham, 2010). Les rémunérations offertes aux participants demeurent très faibles (Burger-Helmchen et Pénin, 2011).

Par ailleurs, les chercheurs évoquent l’appellation crowdsourcing de contenu (Burger- Helmench et Pénin, 2011) ou d’informations (Favreau, Lemoine et Roth, 2014) pour désigner l’ensemble des actions visant à proposer du contenu informationnel comme le cas de Wikipédia. N’offrant peu ou presque pas de rémunération, les participants dans ce cas sont motivés par la tâche elle-même (Renault, 2014b). Le crowdsourcing d’activités créatives, quant à lui, met en compétition des compétences individuelles fortement hétérogènes de la foule (Schenk et Guittard, 2011), l’accent sera porté plus sur la diversité des compétences spécifiques des participants que sur la taille de la foule. L’objectif est de générer des solutions créatives et d’obtenir des idées ou réalisations originales (Roth, 2016 ; Brabham, 2009). Lebraty et Lobre- Lebraty (2010) parlent dans ce cas d’authenticité pour désigner la singularité des propositions effectuées, l’exemple le plus souvent cité par les chercheurs (Poetz et Schreirer, 2012 ; Brabham, 2008 ; Piller, 2005) est celui de la marque Threadless : Sa communauté très active soumettait de nouvelles propositions de designs et chaque semaine l'entreprise choisissait les

designs les plus attractifs pour les inclure dans sa ligne de produits. Selon Franke et al. (2013),

le crowdsourcing peut considérer des activités très diverses comme « la génération d’idées, le design de logos, de produits et ce, vers une base de solution indéfinie, externe à l’entreprise, en

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vue d’obtenir des solutions de grande qualité avec des niveaux élevés d’originalité et de nouveauté ».

Il est à noter que certaines plateformes d’intermédiation sont spécialisés dans les concours créatifs comme c’est le cas d’eYeka qui met en relation des marques et créateurs du monde entier (Renault, 2014b ; Roth et al., 2015 ; Roth, 2016). La foule apporte la fraîcheur et la diversité en termes de propositions reçues (Djelassi et Decoopman, 2013 ; Renault, 2014a). Enfin, le crowdsourcing de problèmes complexes ou d’activités inventives est recommandé quand l’entreprise fait appel à un processus de résolution des problèmes (Lakhani et al., 2007 ; Hatchuel et al., 2005) impliquant la formulation de problème, la recherche et la sélection de solutions et leur mise en œuvre permettant à l’entreprise d’accéder à des compétences spécifiques des individus non identifiés au préalable composant la foule. Il s'agit de situations dans lesquelles on se trouve face à un problème et qu’aucune solution n’est identifiée en interne (Jeppensen et Lakhani, 2010). C’est le cas par exemple de Dell qui a lancé, à travers son initiative IdeaStorm, un appel à contributions où les utilisateurs du monde entier étaient invités à suggérer des améliorations de produits et de nouvelles idées de produits. Cette initiative a abouti à plus de 10.000 idées soumises (Bayus, Poetz et Schreirer, 2012). Par opposition au

crowdsourcing de tâches simples, les compétences exigées pour la résolution de problèmes sont

spécifiques et rares. (Lakhani et al., 2007 ; Brahbam, 2008). Les récompenses offertes dans ce type de crowdsourcing sont élevées dépassant dans des cas les dizaines de milliers d’euros (Burger-Helmchen et Pénin, 2011 ; Schenk et Guittard, 2011). La plateforme Kaggle et Innocentive permettent d’illustrer ce type de crowdsourcing (Brahbam, 2008; Lakhani et al., 2007 ; Liotard, 2012 ; Lobre et Lebraty, 2010).

La rémunération proposée aux participants dans le cadre du crowdsourcing varie en fonction de la tâche demandée. Dans certains cas, elle peut s’avérer marginale, voire inexistante. Dans d’autres cas, quand la tâche à accomplir par les participants exige plus de temps et nécessite plus d’efforts de leur part, la rémunération est plus intéressante (Schenk et Guittard, 2011 ; Renault, 2014b).

Pour compléter la classification de Burger-Helmchen et Pénin (2012), Renault (2014b) a établi une taxonomie dite des « 4C » en se basant sur le mode de création de valeur (mode d’agrégation de la valeur), l’auteur distingue entre le crowdsourcing cumulatif qui s’intéresse essentiellement à la quantité des contributions faites par la foule, le crowdsourcing collaboratif qui privilégie la cohésion de groupe et l’interaction entre participants, le crowdsourcing

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compétitif qui met en compétition les compétences des participants pour obtenir les meilleures contributions. Entre les deux formes, nous retrouvons le crowdsourcing coopétitif qui se base à la fois sur la collaboration et la compétition, c’est le cas de la plateforme Studyka.

Pour la suite de ce travail doctoral, nous nous concentrerons sur le crowdsourcing d’activités créatives ou d’idéation qui se base sur le mode sélectif (Schenk et Guittard, 2011) et (Renault, 2015 ; Burger-Helmchen et Pénin, 2011 ; Schenk et Guittard, 2011 ; 2012). Le choix de se focaliser sur le crowdsourcing d’activités créatives se justifie par la place centrale qu’occupe ce type de crowdsourcing dans les fonctions R&D et marketing des entreprises en tant que pilier du processus d’innovation (Djelassi et Decoopman, 2015). Nous reprenons dans le tableau 4 un récapitulatif des différents types de crowdsourcing selon les critères de segmentation que nous avons sélectionnés.

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Tableau 4: Structuration des différentes formes de crowdsourcing Source : Inspiré de Schenk et Guittard (2011) et Burger-Helmchen et Pénin (2012)

Crowdsourcing d'activités simples Crowdsourcing de contenu Crowdsourcing d'activités

créatives

Crowdsourcing d'activités de

résolution de problèmes

Objectif managérial

Diminuer le coût et assurer une vitesse d'exécution de tâches routinières consommatrices de temps et d'énergie dans le cas d'une

exécution par les employés de l'entreprise

Profiter du contenu informationnel de la foule

Profiter du potentiel créatif des participants pour obtenir de nouvelles idées de création ou

des réalisations originales

Trouver une solution à un problème donné

Perspective du consommateur

Réaliser une tâche simple mobilisant peu de ressources

Fournir des informations pour compléter celles existantes

Répondre à un besoin créatif en général artistique Répondre à un besoin de développement de produits ou de projets innovants Compétences recherchées

Aucune compétence particulière

n'est exigée Génériques et multiples Singulières et multiples Spécifiques et rares

Intensité de la

participation Élevéei Élevée Modérée Faible à modérée

Taille de la

foule Très importante Très importante Très importante Peu importante Diversité de la

foule Pas importante Très importante Très importante Très importante Rémunération Modeste (micro-paiements) Marginale ou nulle Très variable Élevée

Modalité de

participation Division du travail (Intégratif) Division du travail (Intégratif) Sélectif Sélectif Apport de la

foule

Disponibilité en termes de temps et capacité à traiter une information

Alimentation d'un stock de

données ou d'informations Potentiel créatif de la foule Idée ou nouvelle solution

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