CHAPITRE 2 – EXPLORATION QUALITATIVE DE LA PARTICIPATION AU
3. Les résultats de l’étude qualitative auprès des experts
Nous présentons dans cette sous-section de façon détaillée les résultats obtenus à travers l’entretien avec les professionnels responsables du lancement des opérations de crowdsourcing.
3.1. Compréhension des opérations de crowdsourcing
L’étude qualitative, auprès des experts, a mis en lumière la place majeure qu’occupe la communauté virtuelle dans la stratégie marketing des entreprises faisant appel au
crowdsourcing. Elle est considérée comme un facilitateur d’innovation permettant aux
entreprises d’interagir, en temps réel, avec les consommateurs, afin de bénéficier de leur intelligence et leur créativité. Dans cette lignée, les managers considèrent la communauté virtuelle comme un socle fondamental, un pilier fort et une composante importante de la stratégie des entreprises faisant appel au crowdsourcing « Elle est absolument centrale à tout
ce qu’on fait, on ne peut pas exister sans toute cette communauté participante », « La communauté virtuelle c’est les personnes qui vont répondre à nos challenges en ligne, elle occupe une place prépondérante ». Les entreprises conscientes de cette importance n’hésitent
pas à profiter pleinement du poids de la communauté virtuelle « On la met en avant
systématiquement puisqu’elle fait partie intégrante de notre produit », « C’est le centre de tout, c’est notre produit ». Les communautés en ligne permettent aux entreprises d’interagir en
permanence avec un large réservoir d’individus sans aucune restriction géographique « Un
touch point virtuel intéressant », « C'est un vrai moyen de converser avec les consommateurs, d'être plus en proximité ». Dans cette perspective, les managers considèrent la foule en tant que
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travers le canal Internet « Je pense que le crowdsourcing sans communauté c'est très difficile à
exister ». Les experts s’orientent de plus en plus vers le crowdsourcing afin d’atteindre un
certain nombre d’objectifs que nous détaillons, ci-après, selon leur ordre d’apparition dans le discours des répondants. À noter qu’un même répondant peut évoquer plusieurs objectifs.
3.2. Objectifs managériaux du crowdsourcing
Dans ce qui suit, nous détaillons les principaux objectifs associés par les professionnels aux activités de crowdsourcing.
3.2.1. Innover efficacement
Un des objectifs majeurs du crowdsourcing est la recherche d’idées nouvelles, fraîches et créatives en dehors de l’entreprise. Dans ce sens, les entreprises ont pris conscience des limites de l’innovation interne dans un contexte marqué par un développement technologique fulgurant et une intensification de la concurrence. Elles se doivent d’innover en permanence pour rester compétitives. De ce fait, les experts sont unanimes à considérer le besoin d’innover comme l’une des plus grandes priorités du recours au crowdsourcing « Le premier ça va être bien sûr
d'innover, donc de faire appel à une communauté qui va l'aider à trouver des idées et qui va lui donner des tendances sur les solutions par rapport à des problèmes, ça c'est la première chose », « l’idée souvent est déjà d’innover autour des services clés ». Les professionnels
interrogés considèrent le crowdsourcing comme une source indéniable d’idées, il permet aux entreprises de recueillir les préférences des clients actuels et potentiels de façon plus rapide en comparaison avec les moyens traditionnels de co-détermination des besoins et attentes « La
nouveauté c'est aussi ensuite les choses secondaires, comme la vitesse avec laquelle elles peuvent récolter les idées par rapport à ce qui est traditionnellement possible, comme les Focus Groups, c'est beaucoup plus rapide ».
3.2.2. Renforcer le lien entre l’entreprise et les consommateurs
Dans les réponses des professionnels, des termes comme « lien », « rapprochement » et
« proximité relationnelle » sont récurrents. En effet, les entreprises voient dans le crowdsourcing une façon de renforcer la relation avec leurs clients et prospects « Notre objectif était de capitaliser encore plus sur la communauté Danette qui était grandissante et dont on sentait qu'elle était demandeuse de participer encore plus à la construction de la marque, donc c'était vraiment une opération de proximité hyper forte, c'était un objectif de proximité avec les
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consommateurs ». Cette proximité est d’autant plus exigée de la part des entreprises car les
consommateurs sont réticents à l’égard du système marchand « Les consommateurs ont
commencé à avoir une crise de confiance, ils veulent consentir qu’ils sont écoutés et que derrière ce n’est pas toujours les entreprises qui décident pour eux réellement, voilà on écoute leurs besoins » et sont demandeurs de preuves de la part des entreprises «Il ne suffit plus pour les entreprises de dire qu’elles sont centrées clients, il faut le prouver». De même, les managers
reconnaissent l’impact positif que peut avoir cette proximité sur les résultats de l’entreprise « Si
on fait bien et on réussit à créer de la proximité et de l’engagement auprès des consommateurs ça se retraduira certainement dans les ventes et dans la part de marché derrière ». Pour eux,
l’objectif relationnel manifesté dans la proximité vient compléter l’objectif commercial de maximisation des ventes « Les deux objectifs sont très différents et normalement l'un qui est
sur la partie proximité vient nourrir obligatoirement la partie business, car si on fait bien et on réussit à créer de la proximité et de l'engagement auprès des consommateurs ça se retraduira certainement dans les ventes ».
3.2.3. Améliorer la visibilité et l’image de marque de l’entreprise
Les opérations de crowdsourcing peuvent avoir comme objectif de communiquer autour de l’entreprise ou la marque en la mettant en avant aussi souvent que possible, ce qui permet de renforcer sa notoriété « Le deuxième est de communiquer et rayonner, de montrer que
l'entreprise innove et de se montrer un petit peu comme une entreprise qui innove auprès de ces communautés ». Aussi, le crowdsourcing permet à l’entreprise d’être très présente sur
Internet et de faire parler de la marque ce qui crée un bouche à oreille positif « On cherche aussi
à faire le buzz, que ça fasse bruit autour sur la toile ». Les managers évoquent même leur
volonté d’améliorer leur image de marque en faisant appel au crowdsourcing « D’un point de
vue image, c’est important de dire qu’on est centrés client, l’idée n’est pas simplement de le dire mais de faire les choses vraiment. Casino a pour ambition de dire « on est centrés client », c’est tous les jours en magasin que nous écoutons nos clients et que nous mettons à leur disposition des outils pour qu’ils puissent nous parler et pour qu’on puisse les écouter ».
3.2.4. Accroître le chiffre d’affaires de l’entreprise
Même si elle n'est pas partagée par l'ensemble des experts, l'idée du crowdsourcing « générateur de ventes » est clairement mise en avant. Les managers ne manquent pas de rappeler dans leur discours l’objectif commercial recherché à travers les initiatives de crowdsourcing lancées, et qui sont liées essentiellement à l’accroissement du chiffre d’affaires de l’entreprise. Un objectif
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sous-jacent s’y rajoute via la recherche de l’amélioration du taux d’acceptabilité des produits pour réussir le lancement de nouveaux produits et services sur le marché. Dès lors, l’implication des consommateurs dans la démarche crowdsourcing permet à l’entreprise de sonder finement le besoin du marché et de proposer, par conséquent, des produits et services mieux adaptés à leurs besoins et attentes « Il y a eu un objectif global qui était toujours le même, c’est celui de
maintenir notre part de marché en proposant des produits en adéquation avec les attentes des clients». Il est important pour l’entreprise, pour réussir ses nouveaux lancements, d’avoir une
adhésion au préalable des individus susceptibles d’utiliser le produit ou le service plus tard.
« C’est le premier point et les produits où les services qui sont co-crées normalement ont un taux d’adhésion et de réachat qui doivent être supérieurs à la moyenne de l’ensemble des produits ou des services ».
3.3. Mise en œuvre des opérations de crowdsourcing
Loin d’être un simple outil promotionnel, le crowdsourcing est une stratégie réfléchie et un processus structuré autour de plusieurs étapes à commencer par la définition du problème. La question que l’on se pose à ce niveau est « Quel est le problème à résoudre ? », « Ça commence
par la définition du problème en regardant comment ce problème peut être communiqué à la communauté ». La problématique peut porter sur la recherche de nouvelles idées, de nouveaux
concepts, produits, packaging ou publicités, de nouveaux supports de communication ou expérience client « Je voudrais que ma marque soit plus connue, je voudrais réduire la
consommation de carburant de 5% ». Il s’ensuit, ensuite, la formalisation et la déclinaison de
cette problématique dans un brief « On va transformer la problématique de l’entreprise en un
brief aux créateurs, c'est-à-dire orienter les gens vers des pistes tout en les laissant imaginer et interpréter encore une fois » « Une fois qu’on l’a formalisé dans notre business brief sur un document PDF qui fait quatre pages chez nous qui peut s'allonger s'il y a beaucoup d'informations à mettre dedans ». La deuxième phase consiste à mettre en ligne l’opération
auprès de la communauté cible « On va faire de la chasse aux tendances ». Cette étape est accompagnée par une communication intensive visant à maximiser le niveau de participation « On va mettre en ligne l’opération et là on va essayer de mettre en place tout un
plan de communication pour faire en sorte d’avoir un maximum de participants ». Par la suite,
vient l’étape de la réception des propositions et des contributions par les participants et enfin le choix de la meilleure solution parmi la masse de propositions reçues « On va faire une première
sélection sur une trentaine de dossiers en général. Après on leur demande de nous dire un peu plus, de nous envoyer quelque chose de plus complet, et à partir de là on peut en sélectionner
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à peu près cinq, ensuite ces cinq équipes on va les recevoir dans une cérémonie pour qu’ils puissent présenter leurs projets devant les jurys » et la récompense de la ou les propositions
gagnantes « Par la suite, il y a un contact physique qui a lieu très souvent pour récompenser
les gagnants». Par ailleurs, certaines entreprises préfèrent sous-traiter les opérations de crowdsourcing à des plateformes spécialisées telles que eYeka, Studyka, Creads par manque
de ressources ou d’expertise « Peut-être parce qu'elle manque soit de gens en interne soit d'un
réseau de collaborateurs comme les agences peut-être parce qu'elle manque de créativité » ou
dans une optique de gain de temps et de réactivité « ça nécessite du temps, c’est un
développement dans le temps. Après la deuxième chose c’est les efforts de communication et la capacité à intéresser les communautés cible, ça peut prendre beaucoup de temps et du coup ça coute très cher à l’entreprise ».
Ces plateformes d’intermédiation se positionnent en tant que conseillers et accompagnent les entreprises en leur donnant accès à la communauté et à l’outil technique « On accompagne des
sociétés à réaliser ces opérations-là pour que cela leur prenne moins de temps, qu'elles aillent plus vite et que cela soit clé en main », « Parce qu’elles ne peuvent pas le faire elles même vu qu’elles n’ont pas les outils techniques »,« C’est très difficile pour une société de faire une opération de crowdsourcing elle-même, c’est très compliqué donc je ne vois aucune raison pour qu’une société entreprenne cette démarche toute seule ».
D’autres experts ne partagent pas l’avis des partisans de la sous-traitance des opérations de
crowdsourcing et préfèrent que les entreprises soient autonomes dans la gestion de leur appel à
contributions. Ils avancent des arguments liés au manque de transparence vis-à-vis de ses consommateurs « Cela me semble bizarre de sous-traiter cette opération là parce que c'est une
opération qui veut dire souvent être en transparence avec les consommateurs, c'est-à-dire assurer une partie des secrets parce que pour intégrer les consommateurs il faut leur raconter quand même l'histoire et les secrets de la marque, ce qu'on peut dire sur une partie qui reste cachée ».
3.4. Facteurs incitant à la participation aux opérations de crowdsourcing
La compréhension de ce qui incite les participants à répondre à la sollicitation d’une entreprise dans le cadre d’une démarche de crowdsourcing est indispensable pour concevoir l’opération efficace pour les attirer. Selon les experts, la participation des internautes aux opérations de
crowdsourcing peut être expliquée par plusieurs facteurs que nous regroupons dans les
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- Facteurs d’opportunisme : gain financier, visibilité auprès de la marque ;
- Facteurs hédoniques : plaisir, amusement tiré de la participation à l’opération en question ; - Facteurs liés au lien avec la marque : notoriété de la marque, proximité avec la marque ; - Facteurs liés à la nature de la thématique : intérêt accordé à la problématique, besoin
d’apprentissage ;
- Facteurs liés au caractère des participants : besoin de réalisation de soi, besoin de partage avec les autres.
3.4.1. Facteurs d’opportunisme
Les participants aux opérations de crowdsourcing sont dans ce cas à la recherche d’un intérêt purement matériel leur permettant de concrétiser leur participation. Dans cette lignée, les experts évoquent deux types de motivation : le gain financier et la recherche de la visibilité ainsi que la reconnaissance de la part de l’entreprise.
3.4.1.1. Le gain financier
Il demeure le facteur de motivation le plus cité par les professionnels qui utilisent des termes comme « lot», « gain », « dotation financière », « prix », alors que plusieurs d’entre eux soulignent l’importance d’accorder une rémunération pour valoriser, entre autres, le travail effectué par les participants « C'est tout simplement envoyer un signal de respect, de
valorisation du travail effectué par les gens que de donner une récompense à la fin », « les cadeaux ça fait toujours plaisir surtout quand on est étudiants »de crédibiliser
l’opération« Savoir ce qu’il y a à gagner, je pense que cela va servir pas mal à attirer les
participants ». D’autres au contraire sont sceptiques « Je ne suis pas convaincu par l’aspect rémunération », « La rémunération, je pense que c’est un second plan, si déjà vous faites bien les choses et il y a une promesse et une bonne plateforme pour le client il n’y a pas vraiment besoin de rémunération » et mettent en garde les partisans de cette approche en soulignant
notamment l’image perçue par le participant « C’est souvent assez mal vu de dire voilà on veut
tes idées contre par exemple un iPad ce n’est clairement pas sur quoi on mise » et l’impact sur
la relation à la marque « Je pense que la rémunération est une très mauvaise motivation parce
que ça fausse la relation » et le risque d’attirer des participants intéressés uniquement par
l’incitation financière « il n'est pas possible de gagner sa vie avec eYeka, on le fait exprès parce
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Par ailleurs, bien que l’aspect « gain financier» a été retrouvé dans la majorité des discours des experts interrogés, l’intérêt de le mettre en avant ne fait pas l’unanimité « Le gain ce n’est pas
ce qu’on vend le plus en général sauf si c’est vraiment important, ce n’est pas ce qu’on met en avant parce que c’est souvent assez mal vu de dire voilà on veut tes idées contre par exemple un iPad c’est clairement pas sur quoi on mise, on mise plutôt sur le fait qu’il entre en relation»,
d’autres experts font le choix catégorique de ne pas proposer de gain « Fondamentalement, je
ne suis pas sûre qu’on a des résultats moins bons si on n’ avait pas mis de rémunération, voilà Cvous en est un exemple il n’y avait pas forcément une rémunération pour aller poster les idées, la rémunération je pense que c’est un second plan. Si déjà vous faites bien les choses et qu’il y a une promesse et la bonne plateforme pour le client il n y a pas vraiment besoin de rémunération ».
3.4.1.2. La recherche de la reconnaissance et la visibilité
Dans un autre registre, les participants à ce genre d’opérations nourrissent un tout autre besoin et sont à la recherche de reconnaissance et de visibilité de la part de l’entreprise ou la marque
« Il y a le côté reconnaissance au sein parfois d'un cercle fermé, privé et parfois même très souvent au sein d'une communauté soit de créatifs soit de clients ». Selon les experts, certains
individus sont à l’affût des opportunités de carrière et voient en leur participation une façon de concrétiser leurs projets « Le quatrième point c’est toute la partie visibilité, pouvoir le mettre
sur son CV, sur son profil en ligne».
3.4.1.3. Le plaisir et l’amusement
Dans ce cas, les participants perçoivent l’expérience vécue comme une récompense ; la motivation est d’ordre émotionnel, social et psychologique. Ils sont motivés par le caractère ludique de l’opération et du pur plaisir que cela pourrait leur procurer de contribuer avec leurs propres idées et de faire preuve de créativité « Il y a surement le plaisir d’être créatif et de
participer c'est-à-dire qu’on fait ça pour exprimer sa créativité », « Il y a l’envie de s’amuser parce qu’on est hyper créatif », « Parce qu'on est hyper créatif et on veut s'exprimer, soit on fait une vidéo en groupe par exemple ou même avec des amis ou des collègues ».
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3.4.2. Facteurs liés au lien du participant avec la marque
Les managers reconnaissent que les marques ayant une forte notoriété et bénéficiant d’une bonne image attirent davantage les participants « En revanche il y a des petits points qui vont
faire qu'ils participent plus. D'abord c'est la notoriété de l'entreprise donc TF1, Microsoft attirent beaucoup, des sociétés un peu moins connues vont attirer un peu moins », « Comment attirer les étudiants c'est en fonction de l'entreprise, il y a des entreprises plus attirantes que d'autres».
Néanmoins, il semble y avoir un décalage dans le discours des experts, entre ceux qui affirment que la connaissance de la marque est un facteur incitant à la participation et ceux qui ne la considèrent pas en tant qu’obstacle à la participation ou en tant que barrière à l’entrée « On
n’encourage pas seulement les experts ou les consommateurs mais toute personne qui peut avoir des idées doit participer », « Ça va être les gens qui ne connaissent pas du tout l’entreprise, qui ne connaissent pas les contraintes et qui peuvent proposer des solutions assez complexes sans comprendre les tenants et les aboutissants».
Par ailleurs, il est important, selon les experts, pour maximiser le niveau de participation, au- delà de la notoriété de la marque, que cette dernière ait du sens pour les contributeurs en termes de proximité « Je pense que c’est assez rare que quelqu’un qui vient de temps en temps en
magasin soit super fan et participe à fond au processus de co-création, pour que le consommateur participe réellement, il faut qu’il sente que ce n’est pas n’importe quelle marque, c’est une marque qui fait sens pour lui ». Ainsi, plus les individus se sentent proches
de la marque, plus ils ont envie d’y participer« La deuxième chose c'est la possibilité de faire
du réseau et de se rapprocher de ces entreprises. Quelqu’un qui a envie de travailler chez TF1, aujourd’hui à part renvoyer son CV ou essayer de postuler à des offres il n’a pas grand-chose.