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SECTION 1. LE CROWDSOURCING : UNE FORME EMERGENTE DE CO-

1. Origines de la co-création de valeur

D’un point de vue étymologique, le terme « co-création » se compose du préfixe « co » qui signifie en latin « avec », et « création » qui renvoie, selon le dictionnaire Larousse, à l’action d’établir, de fonder quelque chose qui n’existait pas encore, ce qui revient à dire que la co- création correspond à l’action d’élaborer une nouvelle chose avec une ou plusieurs personnes. Le phénomène de co-création trouve ses origines dans l’évolution des pratiques marketing, qui ont changé pour s’adapter à l’évolution du rôle du consommateur. Plus particulièrement, dans les années 80, l’approche du marketing était relationnelle, dans les années 90, elle est devenue expérientielle et enfin dans les années 2000, collaborative (Cova et Cova, 2009).La co-création de valeur a vu le jour grâce à la montée en puissance du « Web2.0 » et le développement des réseaux sociaux permettant à un grand nombre d’entreprises d’interagir avec leurs clients afin de les servir de façon personnalisée (Sawhney et al., 2005). Dans ce contexte, l’interaction client-entreprise a redéfini le rôle joué par les clients dans le processus d’innovation et de création de valeur (Nambisan et Baron, 2009).

Le tableau 1 inspiré de Cova et Cova (2009) et de Wikström (1996) expose les deux approches à l’origine du phénomène de co-création que nous détaillons respectivement.

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Tableau 1 : Approches à l’origine du phénomène de co-création de la valeur

Période Années 70 Années 80 Années 90 Années 2000 Perspective d'innovation Orientée entreprise (Firm-centric) Orientée consommateur

(Customer-centric)

Rôle du consommateur

Passif- Prise en compte uniquement de son avis lors de la création ou du test des produits

Actif- Le consommateur est considéré comme

partie prenante du processus d’innovation Interaction entreprise/consommateur Création de biens et services sans feedback Élargissement de la vente via les services clientèle Compréhension profonde et poussée du consommateur Le consommateur co-crée avec la firme des expériences personnalisées Nature et objectif de la communication Sens unique, de l’entreprise vers le consommateur Database Marketing Communication à double sens

Dialogue actif et continu avec le consommateur

pour comprendre ses attentes

Approches marketing Ciblage à sens unique et Database

Marketing

Marketing relationnel

Marketing collaboratif

Source : Inspiré de Cova et Cova (2009) et de Wikström (1996)

1.1. Approche fondée sur l’évolution progressive du rôle du consommateur

Nombreux sont les chercheurs qui attribuent l’émergence du phénomène de co-création à l’évolution du rôle du consommateur (Prahalad et Ramaswamy, 2000 ; 2004 a, b ; Cova et Cova, 2009). Cette conception repose sur le passage à la post-modernité ; selon les sociologues de consommation, le consommateur est considéré « post-moderne », c'est-à-dire « plus actif, plus participatif, plus résistant, plus activiste, plus ludique, plus social et plus communautaire» (Cova et Carrère, 2002). Dans cette lignée, le passage vers une société post-moderne a fait apparaître de nouveaux besoins et attentes chez le consommateur comme le besoin d’évasion, ou d’hédonisme (Bauman, 2003). Ce constat est appuyé d’une part, par le développement digital qui a changé la nature de la relation dans la culture du consommateur (Kozinets, 2009) et d’autre part, par la montée en puissance des réseaux sociaux. Cette expansion a facilité la création de plateformes interactives permettant aux entreprises de tester et de développer de nouvelles

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propositions de valeur (Cova et Ezan, 2008). Se basant sur ce constat, de nombreux chercheurs ont considéré les consommateurs comme une véritable source d’innovation pouvant être exploitée par les entreprises dans le cadre de leurs stratégies marketing (Leroy, 2008 ; Healy et McDonagh, 2012 ; Füller et al., 2012). En effet, le consommateur est plus éduqué, mieux informé, plus compétent en termes d’usages des plateformes électroniques. Il présente ainsi les caractéristiques de l’empowerment ou la « prise de pouvoir » par le consommateur (Bandura, 1976). Issu de la psychologie cognitive (Bandura, 1976), le concept d’empowerment a émergé à la fin des années 80 dans l’objectif d’augmenter l’implication des salariés au travail en leur accordant plus de confiance à travers une décentralisation de la décision et un développement de compétences (Hemetsberger, 2002). La notion a été reprise ensuite par le champ du marketing pour désigner l’action de donner du pouvoir aux consommateurs (Füller et al., 2009) et lui fournir les ressources et les outils nécessaires pour réaliser une tâche (Hamdi-Kidar, 2013). D’après Fuchs et Schreier (2011), le customer empowerment se matérialise de deux façons ; la proposition d’idées ou designs de nouveaux produits et l’évaluation, le test et le vote pour les propositions qui seront mises sur le marché. Dans cette lignée, Fuchs et Schreier (2011) considèrent que la prise du pouvoir se traduit essentiellement par la proposition de nouvelles idées, l’évaluation, le test et le vote pour les propositions à diffuser sur le marché. Aussi, le

customer empowerment consiste pour le consommateur à faire entendre sa voix dans un

contexte d’insatisfaction et pour l’entreprise à démocratiser l’innovation en cédant plus de pouvoir aux clients (Von Hippel, 2005). Ce revirement de pouvoir au profit des consommateurs amoindrit celui des marques, ce qui suppose que les entreprises doivent développer de nouvelles stratégies pour y répondre (Bonnemaizon et Batat, 2011). Selon Wathiew et al. (2002), les consommateurs peuvent exercer leur pouvoir de deux façons : soit lors de la phase de consommation, à travers les choix qu’ils effectuent, ou via l’implication au niveau des différentes étapes de la chaîne de valeur. Le consommateur est passé de façon progressive du rôle d’un simple spectateur à celui d’un acteur à part entière, ce qui se traduit par une prise de pouvoir par le consommateur dans le système de production et de consommation de l’offre qui souhaite exercer son influence dans la sphère commerciale. De surcroît, la co-création fait évoluer la relation de l’entreprise avec les consommateurs, d’une relation verticale prestataire- usager à une relation horizontale et collaborative. Ainsi, le rôle du consommateur n’est plus de réceptionner de façon passive les offres et les services que l’entreprise aurait choisis pour lui, mais de jouer un rôle plus actif et plus proche. L’interaction permet à l’entreprise d’apprendre sur les attentes et les besoins des clients et sur leurs expériences personnelles afin de leur donner les ressources nécessaires, ce qui permet de créer une sorte d’apprentissage réciproque. Le

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client mobilise un certain nombre de ressources qui se rajoutent aux ressources mobilisées par l’entreprise dans son système d’offre (Cova et Ezan, 2008).

En parallèle, les pratiques du marketing ont évolué pour suivre la mise à jour de la figure du consommateur qui est devenu compétent dans sa consommation (Cova et Cova, 2009). Dans les années 1980, l’approche du marketing était relationnelle faisant face à un consommateur individualiste qui souhaitait interagir et discuter avec l’entreprise (Badot et Cova, 2009), puis expérientielle dans les années 1990 où le consommateur est considéré comme une partie prenante de la production du service (Filser, 1996) à une approche collaborative où le consommateur est créatif et capable de mettre en œuvre ses propres ressources (Cova et Cova, 2009 ; Firat et Dholakia, 2006). Il s’agit d’un passage du « market to» à une nouvelle logique de marketing plus collaborative « market with » (Lush et Vargo, 2006).

1.2. Approche basée sur le changement de la nature de valeur

Dans la littérature, il est rare qu’on parle de co-création sans évoquer le terme valeur. La définition du concept de valeur a fait l’objet de plusieurs débats théoriques. Alors que la valeur du marché est déterminée par le prix (Gale et Wood, 1994), la littérature marketing a étendu la notion de valeur à une dimension plus subjective. Dès lors, la valeur se définit sur la base de ce que représente une ressource au regard de son bénéficiaire (Gale et Wood, 1994). A travers une revue de littérature intégrative effectuée dans les domaines du marketing, innovation et services, Leclercq et al. (2016) mettent en avant l’existence de quatre types de valeur : la valeur d’échange, la valeur d’usage, la valeur de contexte et la valeur expérientielle. La valeur d’échange se réfère à la valeur perçue obtenue à travers les efforts déployés par les bénéficiaires. Les chercheurs recourent pour expliquer les raisons qui incitent les individus à participer aux activités de co-création (Nambisan et Baron, 2007). La valeur d’usage, quant à elle, renvoie à la perception du bien être tirée de l’utilisation d’un produit ou d’un service (Vargo et Lusch, 2004). Quelques années après, Vargo (2008) a introduit la valeur contextuelle en considérant que les individus peuvent profiter de la valeur sans bénéficier directement de l’utilisation de l’offre du produit ou du service. Enfin, la valeur expérientielle demeure plus large, elle inclut des aspects sociaux, temporels et géographiques (Füller et al., 2011 ; Prahalad et Ramaswamy, 2004a).

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Ramirez (1999) a introduit l’idée de la co-production de valeur selon laquelle le consommateur peut créer de la valeur, par opposition à une optique traditionnelle où le client est perçu comme destructeur de la valeur que le producteur a créée pour lui. Pour cet auteur, la compétition n’est plus focalisée sur les entreprises mais plutôt sur les offres que ces entreprises peuvent co-créer avec les consommateurs. Dans ce cas, la valeur n’est plus créée pour les consommateurs mais avec eux. Dans la même lignée, il affirme que « dans la co-production ce sont les offres co- produites qui sont l’unité d’analyse et non l’acteur » (Ramirez, 1999, p.55). Contrairement à un processus traditionnel de création de valeur où les consommateurs sont extérieurs à la firme et qui fait référence au rôle unilatéral de l’entreprise dans la création de valeur (Normann et Ramirez, 1993), la co-création insiste sur la convergence des rôles de l’entreprise et du consommateur. Certains chercheurs considèrent que la valeur n’est pas toujours co-créée, elle peut être co-détruite si les participants se sentent exploités par l’entreprise (Leclercq et al., 2016). La compréhension de comment « cette valeur » est générée est centrale pour cerner le concept de co-création, il ne s’agit pas de créer une valeur ajoutée par les entreprises mais plutôt de la réinventer (Normann et Ramirez, 1993). De même, la valeur n’est plus créée « pour» le client mais « avec» le client (Wikström, 1996). En 2000, Prahalad et Ramaswamy se sont appuyés sur cette option pour introduire la notion de « co-création de valeur ». Ainsi la co- création de valeur est la création jointe et mutuelle de la valeur par l’entreprise et le client (Prahalad et Ramaswamy, 2004 ; Vargo et Lusch, 2004 ; Lush et Vargo, 2006). Pour la suite de ce travail doctoral, nous nous focaliserons sur le processus de co-création de valeur tel que décrit et défini par Prahalad et Ramaswamy (2004 a,b) à savoir « l’ensemble des activités allant de la conception (design) de ce qui sera produit passant par la production jusqu’aux activités marketing permettant d’apporter aux consommateurs des produits finis qui seront acceptés ou rejetés ».

Il est proposé dans ce qui suit de faire un retour sur l’évolution du concept de co-création de valeur dans le champ des sciences de gestion.