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Une importante proposition pour l’autofinancement de l’Afrique est «  la taxe de 0,2% sur toutes les importations éligibles en Afrique pour financer le budget de fonctionnement, le budge-programme et le budget des opérations de soutien à la paix » de l’Union africaine (UA, 2016a). Cette proposition a été adoptée par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA à son sommet de juillet 2016 à Kigali et vise à faire en sorte que l’UA «  soit financée de façon prévisible, durable, équitable et responsable, avec l’appropriation intégrale par ses États membres » (UA, 2016b). L’intention est de voir ce moyen de financement introduit avant la fin de 2017 (UA, 2016b).

Le budget total de l’UA en 2016 se montait à 417 millions de dollars, dont seulement 44% étaient fournis par les États membres, le reliquat venant des donateurs internationaux, notamment la Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE) et la Banque mondiale (UA, 2015). La proposition de prélever 0,2%

vise à mobiliser 1,2 milliard de dollars pour financer pleinement le budget de fonctionnement de l’UA, 75%

du budget-programme, 25% du budget des opérations d’appui à la paix et à la sécurité, ainsi que le fonds de la paix dont le montant est arrêté annuellement (UA, 2016b). La ZLEC et d’autres projets phares figurent dans le budget-programme.

Cependant, d’aucuns se sont demandé si la taxe serait conforme aux obligations internationales actuelles de l’Afrique. Il s’agit principalement de la compatibilité avec le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et avec les accords commerciaux régionaux.

Compatibilité avec le droit de l’OMC : Problèmes et solutions

À la réunion du 7 décembre 2016 du Conseil général de l’OMC, la question de la taxe de 0,2% de l’UA a été

soulevée par les États-Unis, qui ont exprimé l’espoir que son application serait conforme aux accords de l’OMC, notamment la clause de la nation la plus favorisée (NPF) (OMC, 2017). L’UE et le Japon se sont tous deux félicités de l’initiative, mais ont expressément réaffirmé la déclaration des États-Unis et la nécessité que la taxe soit conforme aux dispositions de l’OMC. La question de la compatibilité de la taxe de l’UA et du droit de l’OMC comporte trois volets.

Premièrement, la proposition vise à appliquer la taxe sur les marchandises importées « dans le continent », ce qui implique une discrimination entre les membres de l’OMC : les membres africains de l’OMC ne seraient pas soumis au prélèvement, alors que les membres se trouvant hors du continent le seraient. La proposition serait par conséquent incompatible avec l’article premier de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) concernant le traitement de la nation la plus favorisée, qui exige que tous les membres de l’OMC soient traités sur un pied d’égalité et qui constitue le principe fondateur le plus important du GATT.

Deuxièmement, les listes de consolidation tarifaire au titre de l’article II du GATT pourraient être touchées.

Il s’agit d’engagements de ne pas augmenter les taux des droits au-delà de montants spécifiés et convenus.

Certains pays africains pourraient soit avoir des taux consolidés à zéro pour cent soit avoir des taux appliqués déjà égaux à leurs taux consolidés, et ne pourraient donc pas relever ces derniers sans rompre leurs engagements relatifs à la consolidation tarifaire à l’OMC.

Les produits couverts par les listes au titre de l’article II sont également consolidés à partir de l’assujettissement à de nouveaux « autres droits ou impositions ». La date à laquelle les «  autres droits ou impositions  » ont été consolidés, aux fins de l’article II, est le 15 avril 1994.

De ce fait, la taxe ne peut être appliquée en tant que Tableau 7.2

Degré de dépendance à l’égard des donateurs par CER et pour l’UA (%)

Entité Pourcentage du budget (pour les budgets disponibles)

IGAD 90

SADC 79

COMESA 78

CAE 65

CEDEAO N/D—mais en grande partie autofinancé par un prélèvement de 0,5% sur les importations à destination de la Communauté

UA 44

Source : Centre européen de gestion des politiques de développement (2016).

nouveau droit ou nouvelle imposition au-delà de ce qui constituerait un droit de douane normal.

Troisièmement, l’article II du GATT permet l’imposition de «  redevances ou autres droits correspondant au coût des services rendus  ». L’article VIII sur les redevances et formalités se rapportant à l’importation et à l’exportation précise que toute redevance ou commission liée à l’importation de marchandises « doit être limitée au coût approximatif des services rendus et ne doit pas constituer une protection indirecte des produits nationaux ou des taxes à caractère fiscal à l’importation ou à l’exportation ». La taxe de l’UA n’est appliquée pour aucun service d’importation connexe, qui, par exemple, inclurait des redevances pour l’inspection des importations ou le fonctionnement de systèmes douaniers numériques. Par conséquent, la taxe de l’UA ne serait pas permise, ne pouvant être considérée comme une redevance ou autre imposition acceptable.

Le premier volet peut être logiquement traité par la ZLEC. En effet, l’article XXIV du GATT permet à un groupe de pays de déroger à leur attachement au traitement de la NPF et d’établir une discrimination contre d’autres membres de l’OMC s’ils concluent des accords de libre-échange régionaux ou des unions douanières régionales. Etant une telle zone de libre-échange, la ZLEC peut contourner l’obligation d’accorder le traitement de la NPF figurant à l’article premier.

Cependant, il convient de noter l’alinéa b) du paragraphe 5 de l’article XXIV, qui stipule que la formation d’une zone de libre-échange ne doit pas entraîner à l’égard des autres pays des droits plus élevés ou moins restrictifs que ceux qui existaient avant la formation de la zone de libre-échange. La taxe de l’UA peut être permise en ce sens qu’elle constitue une initiative parallèle distincte, plutôt qu’une taxe résultant de l’établissemeent de la ZLEC. Cette taxe est une question différente et distincte et ne doit pas être associée avec la ZLEC.

Il se peut qu’il y ait aussi un problème de chronologie.

Il est envisagé que la taxe de l’UA soit appliquée avant la fin de 2017. S’il est également envisagé que les négociations de la ZLEC soient conclues à ce stade, il se peut que les États membres prennent plus longtemps à commencer à mettre en œuvre l’accord. Même si la ZLEC permet une dérogation au traitement de la NPF par l’intermédiaire de l’article XXIV, il se peut qu’il y ait

une période intérimaire au cours de laquelle la ZLEC n’aura pas encore été constituée pour permettre cette dérogation.

Enfin, certains pays africains peuvent être membres de l’OMC et de l’UA, sans être parties à la ZLEC. Dans ce cas, la ZLEC ne peut leur fournir la couverture juridique nécessaire pour établir une discrimination entre les pays membres de l’OMC.

Le deuxième volet peut être plus difficile à traiter. En théorie, les engagements relatifs à la consolidation tarifaire peuvent être dépassés avec l’accord des autres membres de l’OMC. Cependant, les membres de l’OMC qui sont « fournisseurs ayant un intérêt certain » d’un produit touché par une augmentation d’un tarif au-dessus de son taux consollidé peuvent demander une compensation. La compensation est calculée sur la base des différences constatées dans les tarifs et les flux commerciaux.

Le troisième volet laisse entendre que la taxe de l’UA ne peut contourner les problèmes découlant des volets précédents en se considérant comme «  redevance ou autre imposition » au sens de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article II.

Quatre solutions sont possibles.

Option 1 – Demander une dérogation de l’OMC.

Les pays africains peuvent demander une dérogation de l’OMC conformément à l’article IX de l’Accord de Marrakech. Les dérogations autorisent les membres de l’OMC à ne pas se conformer à des engagements normaux. En effet, la déclaration ci-dessus faite par les États-Unis à la réunion du 7 décembre 2016 concernant la taxe de l’UA fait allusion à la nécessité éventuelle d’une dérogation de l’OMC.

Les clauses et conditions régissant l’application d’une dérogation, et la date à laquelle une dérogation prendrait fin sont déterminées par la Conférence ministérielle de l’OMC. Toute dérogation octroyée pour plus d’une année est examinée annuellement. À chaque examen, elle pourrait être prorogée ou modifiée ou on pourrait y mettre fin. Une dérogation ne peut donc pas permettre d’échapper indéfiniment au droit de l’OMC, mais elle peut permettre aux pays africains d’appliquer une telle taxe en tant que moyen raisonnable d’autofinancement

jusqu’à ce que son remplacement par la mobilisation des ressources intérieures soit possible.

En outre, la dérogation à une obligation de l’OMC n’est expressément accordée que dans des «  circonstances exceptionnelles ». Cela peut nécessiter une justification juridique et éventuellement l’échange d’autres concessions. Les pays africains devraient exploiter l’audience politique dont ils jouissent concernant cette question et mettre celle-ci en balance avec d’autres questions importantes à l’ordre du jour de la Conférence ministérielle de l’OMC.

Toujours est-il que le statut de l’Afrique en tant que région la moins développée du monde et le fait que la taxe aille en partie au financement de la paix et de la sécurité sont des raisons valables pour supposer que, avec une diplomatie politique suffisante, une telle dérogation puisse être obtenue.

S’il est décidé que les membres africains de l’OMC doivent demander une dérogation de l’OMC, il y a un problème de chronologie dont il faudrait tenir compte.

En effet, la demande de dérogation doit être présentée à la Conférence ministérielle de l’OMC pour examen. Or, les Conférences ministérielles se tiennent tous les deux ans, la prochaine réunion étant prévue pour décembre 2017.

Option 2 – Constitution d’un fonds de réserve à partir des recettes fiscales existantes. La taxe de l’UA pourrait être conçue de façon à éviter de violer le droit de l’OMC. Les questions de compatibilité évoquées plus haut concernent l’application d’une taxe de l’UA en tant que redevance supplémentaire sur les importations à destination du continent. Si la taxe était exprimée non comme une redevance supplémentaire mais comme une part des recettes fiscales existantes tirées de ces importations, elle ne contreviendrait pas au droit de l’OMC. Libellée de cette manière, la taxe ne signifierait pas la collecte de nouvelles recettes mais constituerait un fonds de réserve prélevé sur les recettes fiscales existantes aux fins de l’UA. Ce serait l’approche qu’entend adopter le Kenya, qui doit tirer la taxe de 0,2% d’une redevance préexistante sur les importations.

Option 3–Mesures spéciales pour faire face à la consolidation tarifaire prévue à l’article II du GATT. Si la ZLEC ou une dérogation devait fournir une justification légale à la transgression du traitement de

la NPF, l’application de mesures spéciales permettrait d’éviter la violation des listes contraignantes de l’article II du GATT. Dans ce cas, la taxe de l’UA serait conçue de manière que les pays africains soient autorisés à renoncer à l’obligation de l’appliquer à des lignes tarifaires déjà au taux consolidé. Dans de telles circonstances, les pays africains pourraient être tenus de verser, en lieu et place de ladite taxe, un montant équivalent à partir d’une autre source.

Option 4 – Considérer le droit de l’OMC. Dans toute l’Afrique, des prélèvements sont en place depuis de nombreuses années, notamment la taxe de 0,5% de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la taxe de 1,4% de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) pour l’infrastructure commune, de même que des taxes nationales telles que celle de 0,5% du Ghana au titre du fonds pour le développement des exportations et l’investissement dans l’agriculture.

Le bien-fondé juridique de ces taxes n’est pas toujours évident.

La plupart des pays développés ont, tout au long de l’histoire de l’OMC, hésité à intenter une action en justice contre les pays africains peu avancés. Néanmoins, comme le font apparaître la déclaration des États-Unis sur la taxe et les observations de l’UE et du Japon, ces pays semblent de l’avis que toute taxe de l’UA devrait être conforme au droit de l’OMC. Les autres pays en développement membres de l’OMC peuvent aussi être moins réticents qu’auparavant à engager un procès.

Une aversion contre une telle contravention au droit de l’OMC peut ne pas nécessairement concerner le volume réel du commerce en jeu ni le fardeau de la taxe. Ce qui peut être sujet de la plus grande préoccupation c’est la perception de précédent créé par une violation de ces règles. De surcroît, c’est de ces règles que les pays africains profitent dans le gros du commerce pratiqué en dehors du continent. Dans l’intérêt de l’Afrique, ce serait imprudent de contribuer à la violation de lois importantes de l’OMC.

Compatibilité avec les accords commerciaux régionaux : Problèmes et solutions

La deuxième préoccupation d’importance est la compatibilité entre la taxe de l’UA et les accords commerciaux régionaux (ACR) de l’Afrique. Plusieurs pays africains sont en train de négocier ou envisagent de négocier des accords commerciaux avec des pays

tiers. Il faut être certain que, dans le cadre de ces accords, il existe également la justification juridique pour l’imposition de la taxe de l’UA. Sans une exemption explicite de ces accords, l’élimination de la taxe de l’UA serait requise sur les importations en provenance de pays parties à ces accords.

Il existe un précédent pour cette approche. L’article 11 de l’annexe 1 de l’Accord de partenariat économique (APE) entre la CEDEAO et l’UE fournit une niche pour la taxe de 0,5% de la CEDEAO en permettant le maintien de l’  «  arrangement de financement autonome des organisations de l’Afrique de l’Ouest responsables de l’intégration régionale [...] jusqu’à ce qu’une méthode alternative de financement soit mise en place  ».

Cependant, aucun accord commercial régional existant auquel un pays africain est partie ne comporte de disposition pour la taxe de l’UA.

Trois solutions sont possibles ici.

Option 1 – Inclure des niches pour la taxe de l’UA dans les ACRs futurs. Des dispositions permettant le maintien de la taxe de l’UA sur les importations peuvent être incluses dans tous les ACRs. La négociation pour de telles permissions peut toutefois exiger des concessions compensatoires aux partenaires dans ces ACRs.

Option 2 – Renégocier les ACRs préexistants afin d’introduire des niches pour la taxe de l’UA. Outre l’option 1, les pays africains peuvent renégocier les ACRs préexistants et, par le biais de ces négociations, introduire des dispositions qui permettent le maintien de la taxe de l’UA sur les importations originaires des autres pays parties à ces accords. Dans ce cas, il faudra sans doute s’attendre à de difficiles renégociations ainsi qu’à des concessions compensatoires à offrir aux partenaires dans ces ACRs.

Option 3 – S’abstenir d’appliquer la taxe de l’UA aux pays parties à des ACRs existants avec l’Afrique.

La taxe de l’UA peut être conçue de manière que les pays africains parties à des ACRs soient autorisés à renoncer à l’exigence de l’appliquer au commerce avec ces partenaires. Dans de telles circonstances, les pays africains pourraient être tenus de verser, en lieu et place de ladite taxe, un montant équivalent provenant d’une autre source. S’ils le désirent, les pays africains peuvent également obtenir une dérogation dans les ACRs futurs

si les fonds équivalents au montant de la taxe sont fournis à partir d’une autre source.