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L’intégration régionale est impulsée par des groupes et des coalitions d’acteurs. Les éléments importants sont les incitations qui motivent les principaux groupes et leur interaction avec des institutions formelles et informelles. La présente section recense cinq groupes qui sont d’une importance cruciale pour la ZLEC.

Décideurs nationaux et intérêts nationaux

La mise en œuvre d’initiatives régionales s’inscrit dans le respect des principaux intérêts nationaux tels que perçus et définis par les décideurs nationaux et conformément aux pressions politiques nationales.

Il est facile pour les dirigeants d’exprimer leur soutien à l’intégration, mais il est beaucoup plus difficile d’obtenir l’engagement des décideurs nationaux, qui sont guidés par les seuls intérêts nationaux. Ce serait une erreur de sous-estimer la volonté des délégations de négociateurs de promouvoir les intérêts de leur pays.

Comme l’a déclaré Rob Davies, Ministre sud-africain du commerce et de l’industrie, «  les négociations commerciales doivent être reconnues plus que jamais comme étant ce qu’elles ont toujours été, à savoir un processus consistant à donner et à recevoir, guidé par des intérêts concurrents » (Davies, 2017).

États influents

Les pays peuvent être influents dans différents domaines, en fonction de leur capacité à exercer une

influence diplomatique, économique, militaire et politique, et de leur capacité à compenser les perdants, à débloquer les impasses et à surmonter les échecs de coordination dans l’action collective régionale. Le poids et le leadership considérables que certains États peuvent avoir seront déterminants pour faire naître la ZLEC.

Dans les sous-régions d’Afrique, certains États ont plus ou moins d’influence que d’autres. Certains, par exemple, pourraient craindre que la ZLEC ouvre leur sphère d’influence économique aux échanges avec d’autres États influents d’autres sous-régions. D’autres peuvent voir dans la ZLEC un moyen de servir leurs intérêts commerciaux. Si ces intérêts ne sont pas équilibrés, les États influents peuvent peser de tout leur poids sur la ZLEC et menacer sa mise en œuvre.

Cependant, il existe des raisons d’être optimiste. À l’approche de la conclusion des négociations, la Zone de libre-échange tripartite (ZLET) est en passe d’établir un précédent sur la manière dont les intérêts parfois conflictuels d’États influents de telle ou telle sous-région peuvent être équilibrés aux fins de l’obtention d’un accord commercial mutuellement avantageux (encadré 3.2).

Les États influents peuvent favoriser une dynamique régionale. Ils ont les moyens financiers de se faire représenter aux négociations par d’importantes délégations ayant une expertise plus large que celle des États plus petits. Ces experts seraient mieux à même de diriger les négociations, mais il peut y avoir des risques s’ils manipulent le processus à leur propre avantage.

En construisant la ZLEC, il est indispensable que tous les pays africains en partagent les fruits et soient gagnants sur tous les tableaux. Les accords commerciaux qui ne sont pas de type gagnant-gagnant peuvent rester lettre morte, car les pays partenaires tirent peu de profit de leur application (Jones, 2013). S’ils sont perçus comme n’avantageant que quelques pays seulement, les accords commerciaux pourront se désagréger, comme ce fut le cas de l’ancienne Communauté de l’Afrique de l’Est et de la Zone de libre-échange des Amériques.

(Les politiques visant à assurer l’équité de la ZLEC sont examinées aux chapitres 5 et 6.)

Bien qu’il y ait indéniablement des États influents dans la ZLEC, d’autres pays peuvent également exercer une influence, par le biais par exemple de coalitions.

Encadré 3.2

Enseignements tirés de la Zone de libre-échange tripartite (ZLET)

La ZLET comprend 26 pays de la CAE, de la SADC et du COMESA. La phase 1 des négociations (portant sur les échanges de marchandises) a débuté en 2011 et touche presque à sa fin, avec la signature d’un texte accompagné de plusieurs annexes. Les négociations sur les questions en suspens lors du lancement de la ZLET en 2015 - recours commerciaux, règlement des différends et négociations tarifaires - ont été achevées ou sont bien avancées.

À l’instar de la ZLEC, la ZLET vise à adopter de meilleurs cadres juridiques pour promouvoir le commerce intra-africain au XXIème siècle. Elle vise à relever des défis similaires, comme les difficultés causées par l’appartenance à plusieurs CER, les goulets d’étranglement entravant le mouvement des biens et des services, les questions de facilitation du commerce et, plus généralement, l’établissement d’un environnement commercial prévisible et transparent. La ZLET concerne un large éventail de pays africains ayant des motivations et des facteurs fondateurs différents ainsi que différents niveaux de développement économique et industriel. Les objectifs, les modalités et les grands défis et succès de la ZLET offrent des enseignements pour la ZLEC.

Concilier la préservation des CER et la volonté de rationaliser l’appartenance à plusieurs d’entre elles Lorsque les négociations ont débuté, la ZLET devait concilier «  les défis liés à l’appartenance à de multiples CER et accélérer les processus d’intégration régionale et continentale  »6. Il avait été décidé que les trois CER

« commenceraient immédiatement à travailler à leur fusion en une seule communauté7 ». Cela ne s’est pas fait.

La ZLET a évolué pour constituer, au moins à court et moyen terme, une nouvelle zone de libre-échange qui s’est superposée aux trois CER, et il n’y a pas eu de consolidation. Pourquoi en a–t-il été ainsi ? Les principes de négociation de la ZLET prévoyaient « de bâtir sur les acquis des CER », ce qui n’a pas été rapproché de l’objectif de consolidation des communautés économiques régionales8. Par conséquent, en ce qui concerne la ZLEC, il faut veiller attentivement à concilier le désir de conserver les CER existantes et l’objectif de rationaliser les zones de libre-échange des CER dans une zone d’échange consolidée. Si on s’y prend mal, la ZLEC pourrait simplement constituer une nouvelle zone de libre-échange et manquer l’occasion de rationaliser et de simplifier le commerce en Afrique.

Signature d’accords partiellement achevés ou d’« accords-cadres »

Le Traité portant création de la ZLET a été signé en juin 2015, assorti de dispositions transitoires pour les éléments en suspens (règles d’origine, concessions tarifaires et recours commerciaux). Les États membres de la ZLET devaient conclure les annexes en suspens au plus tard en juin 2016, mais ils ont manqué le délai. Dans le cas de la ZLEC, il faudrait veiller à ce que des délais soient prévus et respectés à propos de toutes questions qui n’auraient pas été résolues lors de la signature.

Concilier les idéaux panafricains et les intérêts nationaux

Bien que la ZLET ait été lancée sous la bannière du panafricanisme et de la solidarité africaine, les négociations ont donné lieu à des échanges agressifs typiques. Lors de la conclusion d’accords commerciaux contraignants, notamment la ZLEC, seuls prévaudront les intérêts nationaux comme la lutte contre le chômage, le développement national et les plans d’industrialisation.

Financement de négociations à grande échelle en Afrique

Les négociations de la ZLET concernaient trois CER et 26 États membres/partenaires, et se déroulaient en quatre langues. Des négociations à ce niveau nécessitent un soutien financier, logistique, administratif et technique.

Le financement provenait de donateurs, dont l’appui peut être imprévisible - à un moment donné, il semblait que cela bloquerait les négociations. Aussi faudrait-il que le financement de la ZLEC soit moins dépendant de donateurs.

En établissant des groupes ayant des points de vue similaires, les pays plus petits peuvent promouvoir efficacement leurs intérêts. Dans le cas de la ZLEC, une telle coalition serait composée par exemple des États non membres de l’OMC ayant un groupe diversifié d’intérêts similaires.

Les dirigeants politiques

Des personnalités fortes et des dirigeants exceptionnels peuvent définir des initiatives d’intégration régionale, les dynamiser et leur impulser un élan. Par exemple, le rôle éminent joué par les présidents Thabo Mbeki et Olusegun Obasanjo a contribué à créer l’Union africaine.

Leadership et vision sont nécessaires pour concevoir et appliquer des politiques visant à ce que l’Afrique ne soit plus si fortement dépendante des exportations de produits primaires et d’un faible commerce intra-africain (CEA, 2011). Un leadership puissant est une ressource importante pour s’assurer que les forces de l’économie politique ne deviennent pas déterministes. Les dirigeants peuvent conduire des scénarios qui rompent avec le statu quo et qui donnent de meilleurs résultats.

Pour la ZLEC, un tel leadership sera nécessaire à la fois pour relever nombre des défis de l’économie politique exposés dans le présent chapitre et pour exploiter les possibilités offertes par l’économie politique.

Négociateurs commerciaux

Les acteurs qui jouent le rôle le plus direct dans le filtrage des intérêts nationaux, la direction des négociations et la rédaction des textes de négociation sont les négociateurs en chef des États membres, qui mettent au service des négociations leur expérience, leur expertise et leur capacité particulières.

Les négociateurs commerciaux ont en général plus d’expérience dans les domaines du commerce des biens et des recettes douanières que dans celui des enjeux «  nouveaux  » des accords les plus complets.

L’expertise nécessaire pour faire avancer les discussions sur le commerce des services, l’investissement et la concurrence, par exemple, est plutôt le fait d’organismes de réglementation et d’institutions qui sont généralement indépendants des ministères du commerce traditionnels. Cet arrangement permet certes aux négociations sur les marchandises de progresser, mais il constitue aussi une pierre d’achoppement pour d’autres domaines des négociations, qui peuvent être reportés à la « phase 2 ».

Les technocrates commerciaux accordent plus d’attention aux menus détails des accords commerciaux que ne peuvent le faire les chefs d’État, qui, eux, sont censés approuver de « grandes visions », étant entendu que celles-ci seront tempérées par la prévention et l’analyse des risques requises des technocrates. Dans le communiqué final issu du Sommet tripartite COMESA-CAE-SADC, les chefs d’État et de gouvernement ont demandé que les trois CER «  travaillent à une fusion en une seule communauté économique régionale  » (COMESA, CAE et SADC, 2008). Or, à mesure que la première phase des négociations approche de sa conclusion, il est clair que les négociations ont accouché d’une autre zone de libre-échange et non pas de la très ambitieuse consolidation des CER envisagée à l’origine.

Les négociateurs commerciaux africains sont influencés par leurs normes de négociation en vigueur. La plupart des pays africains ont été associés au cours des 14 dernières années à des négociations très défensives avec l’Union européenne (UE) - les accords de partenariat économique (APE) - où l’objectif de nombreux négociateurs africains était de minimiser et de retarder l’ouverture de leur marché, de limiter les restrictions à leur marge d’action et de traiter avec un partenaire de négociation plus expérimenté et disposant de plus gros moyens. Sur le plan offensif, ces négociations ont offert peu d’intérêt aux négociateurs africains, la plupart des pays bénéficiant déjà d’un accès en franchise sur le marché de l’Union européenne. Par conséquent, les négociateurs africains peuvent être enclins à adopter des accords commerciaux régionaux avec l’attitude défensive développée au cours des négociations avec l’Union européenne et, par conséquent, rechercher des listes d’exclusions couvrant davantage de produits sensibles et des délais de libéralisation plus longs.

Le secteur privé et la société civile

Les acteurs du secteur privé et les groupes de la société civile ont la possibilité d’influencer les accords et initiatives régionaux en mettant l’accent sur les intérêts de ceux qu’ils représentent. Les institutions régionales comportent souvent des mécanismes de consultation formels avec les organismes importants du secteur privé et les organisations de la société civile. Cependant, (Bilal et al. 2016) ont trouvé peu de preuves de l’incidence de ces groupes sur les processus formels, la définition des orientations ou la mise en œuvre des politiques au sein des institutions régionales.

Le secteur privé privilégie souvent les négociations avec les gouvernements nationaux sur les questions régionales, car il estime que cela est plus efficace que des rapports directs avec les organisations régionales.

Par exemple, les opérateurs de transport kényans et tanzaniens font du lobbying au niveau national pour défendre leurs intérêts et les faire valoir comme intérêts nationaux dans le cadre de la CAE (Bilal et al., 2016). En effet, les organisations régionales sont parfois perçues comme des «  salons de bavardage  » dysfonctionnels.

En revanche, le Conseil des entreprises du COMESA a apporté une contribution non négligeable à la lutte contre le commerce illicite au sein du COMESA, bien que cela soit à mettre sur le compte, semble-t-il, de la force de frappe des riches entreprises du tabac.

Il est également important de distinguer les différents types d’acteurs du secteur privé et leurs capacités à exercer des pressions. Ceux qui ont déjà commercé au-delà des frontières par le biais de canaux informels sont peu enclins à modifier les régimes préexistants, de peur de perdre leurs avantages commerciaux  ; il faut dire que les acteurs du secteur privé peuvent tirer profit du statu quo. Par ailleurs, les petits commerçants transfrontaliers, les petites et moyennes entreprises et les petites organisations de la société civile n’ont sans doute pas les moyens de faire pression et d’élever la voix aussi efficacement que les grands acteurs du secteur privé. (Les considérations de ces groupes vulnérables font l’objet du chapitre 5).

En associant les acteurs du secteur privé et les organisations de la société civile à la ZLEC, il convient de tenir compte du large éventail d’intérêts en jeu, y compris ceux des entreprises qui cherchent à bénéficier du statu quo. De même, les mécanismes de consultation doivent tenir compte des petits acteurs du secteur privé et de la société civile et faire en sorte que leur voix soit entendue.