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protectionnisme ?

La multiplication des accords commerciaux régionaux est due à un autre facteur externe : le fort ralentissement des négociations commerciales multilatérales conduites dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et la « mort du Cycle de Doha » (Financial Times, 2015). Cette évolution décisive a généré de multiples négociations concernant des accords commerciaux régionaux, notamment des accords mégarégionaux, considérés comme un moyen de sortir de l’impasse actuelle des négociations multilatérales et d’élaborer de nouvelles règles commerciales parmi les groupes de pays qui le souhaitent.

Les échanges commerciaux continuent d’avoir lieu entre les pays dans le contexte commercial mondial, et non dans le vide. Les accords mégarégionaux menacent toutefois d’avoir des effets secondaires sur les pays exclus (qui sont nombreux en Afrique). Le commerce entre les membres des accords mégarégionaux pourrait ainsi s’accroître aux dépens des pays tiers exclus de ces accords.

Les accords mégarégionaux examinés dans le présent document sont le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, engagé entre l’Union européenne et les États-Unis  ; le Partenariat transpacifique réunissant, à l’origine, les États-Unis et onze autres pays riverains du Pacifique  ; et le Partenariat économique global régional, qui inclut le groupe des pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique et d’autres pays, tels que la Chine et l’Inde, et vise principalement à concurrencer le Partenariat transpacifique.

Les effets sur l’Afrique incluent l’intensification de la concurrence, l’érosion des préférences sur les marchés des accords mégarégionaux et le détournement des échanges. Les estimations de Mevel et Mathieu (2016),

qui utilisent un modèle impliquant trois accords mégarégionaux, fixent à 3  milliards de dollars (soit 0,3 %) la baisse des exportations nettes de l’Afrique en 2022 (par rapport au point de référence). Elles signalent également une nouvelle concentration des exportations africaines dans l’énergie et les mines, aux dépens des exportations agricoles et industrielles en Chine et en Inde. Ces effets seront davantage ressentis par divers secteurs de plusieurs pays, tels les producteurs africains de textile qui subiront la concurrence du Viet Nam et d’autres fabricants performants du Sud-Est asiatique.

Les préférences commerciales accordées au textile africain seront en effet réduites, par exemple dans le cadre de l’AGOA.

Les effets possibles dépassent en outre le cadre traditionnel des tarifs et du détournement des échanges. Les accords mégarégionaux ont été conçus pour inclure de nouvelles disciplines, telles que le commerce électronique, la politique de la concurrence et les normes de travail, ainsi que des engagements plus marqués pour des disciplines existantes telles que les marchés publics, les services et la facilitation des échanges. Ces disciplines dépassent le cadre traditionnel des accords commerciaux « superficiels » pour relever d’accords «  profonds  » (Lawrence, 1996  ; Baldwin, 2014a  ; Ueno, 2013). Les accords mégarégionaux pourraient ainsi créer de nouvelles discriminations pour les pays non signataires, et fixer de nouvelles normes pour la multilatéralisation des problématiques

durables les plus récentes (Melendez-Ortiz, 2014  ; Draper et al., 2014). En abaissant le statut de l’OMC au rang d’un forum de création de nouvelles règles commerciales, les accords mégarégionaux affaiblissent la voix des pays non signataires, notamment africains, dans l’élaboration des nouvelles règles. L’OMC pourrait également être marginalisée dans ses fonctions d’organisation internationale de réglementation même si les pays non signataires devront continuer de respecter ses règles pour exporter vers les marchés concernés (Baldwin, 2014b).

Plusieurs points des accords commerciaux régionaux profonds peuvent en revanche profiter à l’Afrique, étant entendu que les accords mégarégionaux incluront des dispositions sur les préférences non contraignantes (Baldwin, 2014a). Les activités incluant certains services, ainsi que d’autres secteurs très nombreux, sont par exemple privés de tout mécanisme discriminatoire, juridiquement et administrativement reconnu, pour identifier et limiter les entreprises étrangères qui ont recours à eux. Dans leur contexte, les accords servent simplement à pérenniser les réformes intérieures qui s’appliquent à l’échelle multilatérale. Il est en outre admis que la convergence et l’harmonisation des critères, des normes et des règlements réduisent le coût des échanges commerciaux au bénéfice des exportateurs non signataires (Baldwin, 2014a). Il existe ainsi une analogie avec l’Union européenne, dans laquelle un pays non signataire peut exporter à un bloc Figure 9.1

États signataires d’accords commerciaux mégarégionaux

États-Unis*

Mexique Canada

Pérou

Chili

Union européenne

République démocratique populaire lao Viet Nam Cambodge

Myanmar Chine Inde

Malaisie Singapour

Philippines

Indonésie

Australie

Nouvelle-Zélande Japon

Partenariat transpacifique

Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement Partenariat économique global régional

* Retirés du partenariat transpacifique

Brunei

de pays doté de réglementations harmonisées et éviter la complexité d’aborder 28 marchés différents.

Le débat sur les accords commerciaux mégarégionaux doit tenir compte de l’émergence récente du populisme politique dans plusieurs pays développés, et de l’attachement au protectionnisme qu’il exprime. Le 14  janvier 2017, The Economist annonçait en sous-titre d’un article l’«  arrivée d’un protectionniste à la Maison-Blanche  ». Neuf jours plus tard, le Président Donald Trump signait l’acte de retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique. Sa décision a laissé penser que le protectionnisme aurait un effet immédiat sur les chances de conclure des accords commerciaux mégarégionaux.

Une deuxième secousse a eu lieu avec le Brexit et le désengagement britannique de l’Union européenne.

Ce dernier a semblé exprimer un rejet pour l’intégration régionale de l’Europe, marquant un retrait du plus ambitieux projet d’intégration régional au monde.

Il est toutefois difficile de savoir si ces évènements marquent l’avènement du protectionnisme et la limitation des accords commerciaux mégarégionaux.

Les États-Unis ont, certes, définitivement quitté le Partenariat transpacifique mais risquent de créer un vide attractif qui pourrait être comblé par le Partenariat économique global régional ou faciliter l’inclusion de la Chine dans ce qu’il reste du Partenariat transpacifique (Financial Times, 2017). À l’inverse, le Partenariat transpacifique pourrait continuer sans les États-Unis (Reuters, 2017). Une analyse politique récente de la montée du populisme constate qu’elle est moins due à l’insécurité économique, qui stimule le protectionnisme, qu’à la résistance culturelle au libéralisme (Inglehart et Norris, 2016). Comme l’affirme Paul Krugman dans une tribune du New York Times, « Trump se dégonfle dans le domaine du commerce » en adoucissant son discours protectionniste (Krugman, 2017). S’il en est réellement ainsi, les accords commerciaux mégarégionaux connaîtront un nouvel élan.

La montée du protectionnisme ne se limite toutefois pas au Royaume-Uni et aux États-Unis. Elle ne s’applique pas non plus exclusivement aux tarifs. Un rapport de l’OMC sur les mesures commerciales du G20 (2016) a constaté que de nouvelles mesures restreignant les échanges étaient appliquées par les pays du G20 à un rythme inégalé depuis le commencement de l’évaluation en Encadré 9.1

Échelonner judicieusement les accords commerciaux

Il importera que l’Afrique «  échelonne judicieusement  » la réforme de ses politiques commerciales si elle veut assurer que l’intégration régionale soit effective avant l’ouverture graduelle et inévitable des marchés africains au reste du monde, et la mise en œuvre des accords commerciaux mégarégionaux. Cet échelonnement permettra aux pays africains de tirer parti des économies d’échelle et d’accroître l’apprentissage dans le cadre des mesures nécessaires pour développer les chaînes de valeur régionales et les industries compétitives.

Ces dernières seront ainsi bien positionnées pour résister à la concurrence internationale et s’intégrer aux chaînes de valeur mondiales.

L’échelonnement implique :

• La mise en œuvre rapide de la ZLEC – afin d’éviter toute perte commerciale due à l’accroissement prévu de la réciprocité des accords commerciaux conclus par l’Afrique avec le reste du monde, et des accords commerciaux mégarégionaux1.

• Une réduction des tarifs douaniers sur les importations africaines – qui serait judicieusement séquencée et gérée afin que les industries du continent puissent s’adapter à la situation. Les pays africains doivent prendre de bonnes décisions lorsqu’ils négocient les aspects réciproques des accords de partenariat économique et de l’AGOA, ou de nouveaux accords commerciaux, avec leurs partenaires non africains. Les tarifs appliqués aux biens intermédiaires et aux biens d’équipement non produits localement devraient être supprimés en premier lieu2 , afin d’abaisser le coût de l’industrialisation et d’améliorer la création de valeur ajoutée intérieure. Les tarifs appliqués aux biens intermédiaires et aux biens d’équipement partiellement produits à l’échelle nationale et régionale devraient être supprimés dans un deuxième temps, préalablement aux tarifs sur les produits finis. L’échelonnement favoriserait l’industrialisation de l’Afrique, le développement des chaînes de valeur régionales et le rattrapage technologique, et protégerait temporairement les producteurs locaux contre toute désindustrialisation prématurée (Sommer

2009. La majeure partie de ces mesures sont correctives et ciblent les importations de produits industriels.

Elles sont principalement appliquées par la Russie, la Chine, l’Inde et l’Indonésie au sein du G20 (Parlement européen, 2015). Les pays en développement ont également opté plus massivement pour des mesures commerciales correctives après la crise financière mondiale. Ils les ont appliquées aux importations en provenance d’autres pays en développement (Bown et Kee, 2011). Si la « riposte chinoise » s’inscrit modérément dans l’augmentation des mesures correctives, les pays en développement y prennent une part plus importante en vue de se protéger contre les importations d’autres pays en développement.