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LESSYSTÈMESÉLECfORAUX ENGÉNÉRAL

3. Les systèmes proportionnels

3.1. En général

Le système proportionnel est beaucoup moins ancien que le système majoritaire. Le premier auteur à avoir suggéré le groupement des électeurs par intérêts et opinions serait un mathématicien français nommé GERGONNE, en 1820102; l'année suivante, une première expé-rience pratique était effectuée par Thomas Wright HILL pour l'élec-tion d'un comité en Angleterre103 En 1839, un ancien ministre de la Restauration, de VILLÈLE, proposa également le rassemble-ment des électeurs par tendance politique, afin d'éviter le monopole d'un parti au Parlement104 Des ébauches déjà précises de scru-tin proportionnel de listes 105 furent rédigées par Thomas GILPIN

art. 1 al. 3; SG: Cst. art. 51 al. 4 et 83 al. 1 a contrario, WG. art. 33; GR: GPR. art.

40 ss; AG: Cst. art. 61 al. 2; TG: Cst. § 20 al. 4, WG. § 34 al. 1; TI: Cst. art. 52 al. 1, LEDP. art. 143 al. 1; VD: LEDP. art. 79; VS: Cst. art. 85bis; NE: LDP. art. 67, 88;

GE: Cst. art. 51 al. 1, 102 al. 1.

97 Cst. art. 74 al. 5, LDP. art. 73.

98 Cst. féd. art. 80.

99 Cst. féd. art. 73 al. 1.

100 LFDP. art. 47.

101 Ordonnance sur la répartition des sièges lors du renouvellement intégral du Conseil national art. 1; FF 1983 IV 297.

102 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, pp. 195-196.

103 Ibid., p. 197.

104 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 196; K. BüRKLI (1891), pp. 28-29; D. NoHLEN (1978), p. 56.

105 Sur les listes, voir infra pp. 162 ss.

aux Etats-Unis en 1844106, puis, pour la première foiS en Europe, par V. CoNSIDÉRANT107, disciple de FouRIER, à Genève en 1846108 Le Danemark introduisit en 1855 une forme de vote unique trans-férable inventée par le ministre ANDRAE. Cependant, jusqu'en 1915, cette innovation fut réservée à la Chambre haute, soit, jusqu'en 1866, au Rigsraad, dont seulement une partie des membres étaient élus directement, puis ensuite au Landting, dont les 54 membres étaient désignés par des grands électeurs 109

Dès 1857, un avocat londonien, Thomas HARE, procéda à un exposé systématique du vote unique transférable 110Il fut vivement soutenu par le célèbre philosophe John Stuart MILL, qui, élu député en 1865, se fit un brillant défenseur de ce mode de scrutin lors d'un débat à la Chambre des Communes111Jusqu'à la fin du siècle dernier, les idées foisonnèrent et les théoriciens rivalisèrent d'imagination: citons Victor D'HoNDT, en Belgique, et Eduard HAGENBACH-BrsCHOFF, de Bâle112

L'application pratique ne suivit d'abord que lentement les progrès théoriques. Avant la fin du siècle, le système proportionnel s'était étendu à l'élection des députés et des sénateurs électifs belges, des députés serbes, des députés costaricains dans les circonscriptions à plus de deux sièges, des députés de la province argentine de Mendoza,

106 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 196; A. MoRIN (1874), p. 16, note; N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, p. 379, note l.

107 V. CONSIDÉRANT (1846).

108 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 196; K. BüRKLI (1891), pp. 30-31, 62 ss; E. CAHN (1909), pp. 18-19; E. ÜRUNER (1978), vol. l, p. 100; E. KLôT! (1901), pp. 20 ss;

P. KUMMER (1969), p. 76; E. LAKEMAN (1974), p. 193; A. MoRIN (1862), p. 5, note l;

D. NoHLEN (1978), pp. 55-56; T. PoLEDNA (1988), pp. 38-39; RAPPORT (1972), p. 34;

N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, pp. 378-379; G. ScHEPIS (1955), pp. 64, 194.

109 AssocIAT!ON RÉFORMISTE (1873), p. 11; K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 198; E. CAHN (1909), p. 266; J.-M. CorrERET/Cl. EMERI (1988), p. 55; E. HAGENBACH-BISCHOFF (1888), p. 12; E. KLôT! (1901), p. 14; Y. MÉNY, et autres (1985), pp. 16, 18 ;A. MORIN (1872), pp. 13-14; E. NAVILLE (1871), pp. 48 ss; D. NoHLEN, et autres (1969), pp. 154-158; D. NoHLEN (1978), p. 56; N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, pp. 323-328;

G. ScHEPIS (1955), pp. 64, 79* ss; F. A. WILLE/K. HlLTY (1883), pp. 35-37. Sur le vote unique transférable, voir infra pp. 194 ss.

llO K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, pp. 196 SS; E. CAHN (1909), p. 18; J.-M. COTIERET/

Cl. EMERI (1988), p. 55; E. LAKEMAN (1974), pp. 287-288; D. NoHLEN (1978), p. 56;

N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, pp. 315 ss; G. ScHEPIS (1955), pp. 64-65, 195.

111 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 197; A. McL. CARSTAIRS (1980), pp. 193-194.

112 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, pp. 199-200; J.-M. CoTIERET/Cl. EMERI (1988), p. 55;

D. NoHLEN (1978), pp. 56-57; N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, pp. 321-322, 331 ss, 371.

Sur les méthodes D'HoNDT et HAGENBACH-B!SCHOFF, voir infra pp. 220 SS.

ainsi que de la plupart des représentants à l'Assemblée de la Tasmanie113 Il s'était également implanté dans plusieurs cantons suisses114Avant 1918, il s'était encore imposé, pour l'élection des Chambres basses, en Suède, en Finlande, en Bulgarie, en Uruguay et - imparfaitement - au Danemark et dans certains Etats alle-mands 115.

Mais c'est après la Première Guerre Mondiale que se manifesta, du moins en Europe, «un courant presque irrésistible» en faveur de la proportionnelle116 Les Chambres basses de tout le continent, à l'exception du Royaume-Uni, de la péninsule ibérique, de l'Albanie et de l'Union soviétique, furent élues à un moment ou à un autre selon un procédé proportionnel, ou comprenant pour le moins un élément proportionnel 117

Après la Deuxième Guerre mondiale, le mouvement proportion-naliste s'est maintenu pour l'élection des Chambres basses 118 • Aujourd'hui, à l'exception du Royaume-Uni et de la France, tous les pays d'Europe occidentale se sont ralliés au principe proportionnel 119 En retenant ce système, le projet de mode de scrutin uniforme pour l'élection du Parlement européen 120 consacre une évolution historique.

Le reste du monde semble plus rebelle à un procédé qui est né et s'est développé sur notre continent121Cependant, le système proportionnel s'est aujourd'hui largement universalisé et s'applique dans des pays très divers aussi bien géographiquement que culturellement. Ainsi, un pays de tradition britannique, l'Australie, l'a adopté pour l'élection du Sénat 122; Israël123 s'y est rallié aussi bien que des pays arabes comme

113 K. BRAUNIAS (1932), vol. 1, p. V; vol. 2, pp. 201-202; J.-M. COITERET/Cl. EMERI (1988), p. 55; E. HüBNER (1972), p. 18; E. KLôTI (1901), p. 17; A. ROBINET de CLERY (1958), p. 192; N. SARIPOLOs (1899), vol. 2, pp. 329, 362 ss; FF 1910 I 437-438.

114 Voir infra pp. 89 ss.

115 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, pp. 203-204; E. CAHN (1909), pp. 36 ss, 170; A. ROBINET de CLERY (1958), pp. 193-196.

116 A. ROBINET de CLERY (1958), p. 191.

117 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, pp. 203-204; A. ROBINET de CLERY (1958), pp. 193-196.

118 A. ROBINET de CLERY (1958), pp. 196-197.

119 J. CADART, et autres (1983), passim; A. McL. CARSTAIRS (1980), passim; E. LAKEMAN (1974), pp. 276-280; D. NoHLEN (1978),passim; (1986), pp. 108 ss; sur le cas particu-lier du système de l'Allemagne fédérale, voir infra pp. 111-112.

120 D. NOHLEN (1986), pp. 190-191.

121 UNION INTERPARLEMENTAIRE (1986a), pp. 19-20.

122 E. LAKEMAN (1974), p. 279; UNION INTERPARLEMENTAIRE (1987), p. 26; (1986a), p. 27.

123 D. NoHLEN (1978), pp. 237 SS; UNION INTERPARLEMENTAIRE (1986a), p. 43.

l'Egypte 124 ou la Jordanie 125; de nombreux Etats latino-américains - Brésil 126, Argentine127, Colombie128 - l'appliquent pour leurs Chambres basses; il n'est pas non plus absent de l'Asie du Sud-Est, puisqu'il s'est imposé en Indonésie129

3.2. En Suisse

L'étude du système proportionnel en Suisse ne saurait se limiter à l'examen du droit positif. En effet, l'historique de ce mode de scrutin revêt un très grand intérêt: la Suisse, et Genève en particulier, ont fait œuvre de précurseurs, aussi bien aux plans théorique que pratique130

Nous verrons combien de temps et d'efforts nécessita l'innovation.

Après avoir suscité le scepticisme le plus complet, elle entraîna l'oppo-sition la plus brutale; puis on commença à regarder le changement comme possible, enfin à l'introduire. Les premiers cantons à faire le pas y avaient été plus ou moins contraints par la nécessité; d'autres suivirent par goût de la justice; enfin, la réforme parut indispensable, en particulier au plan fédéral, et il serait aujourd'hui inconcevable de revenir en arrière.

3.2.1. L'apparition des idées proportionnelles en Suisse

A l'époque de la Restauration, avant même qu'il soit question de système proportionnel, certains cantons - Glaris, Saint-Gall, Argovie et Thurgovie - avaient introduit en matière confessionnelle des insti-tutions de type proportionnel, la parité et la proportionnalité: chacune des deux grandes communautés chrétiennes avait droit à un nombre de députés, voire de Conseillers d'Etat, en rapport avec son impor-tance numérique 131

124 UNION INTERPARLEMENTAIRE (1986a), p. 35; chaque circonscription désigne cependant un député (sur 9 ou 10 en moyenne) au scrutin majoritaire uninominal: UNION INTER-PARLEMENTAIRE (1987), p. 55.

125 UNION INTERPARLEMENTAIRE (J986a), p. 45.

126 UNION INTERPARLEMENTAIRE (1987), p. 46; (J986a), p. 29.

127 UNION INTERPARLEMENTAIRE (1988), p. 21; (J986a), p. 25.

128 D. NottLEN (1978), pp. 347 ss.

129 D. NoHLEN (1978), pp. 344-345; UNION INTERPARLEMENTAIRE (1986a), p. 43.

130 K. BRAUNIAS (1932), vol. !, p. 500.

131 E. His (1929), vol. 2, p. 281; (1938), vol. 3, p. 438; A. MORIN (1861), p. 9; R. NATSCH

(1967), pp. 536-537; N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, pp. 373-374.

Les idées proportionnalistes dans le domaine purement politique ne tardèrent cependant pas à apparaître en Suisse. Déjà en 1842, au sein de l'Assemblée constituante genevoise, M. HOFFMANN suggéra que le Conseil représentatif fût «le daguéréotype de la nation; que, dans ce but, le pays soit donc divisé en série d'opinions» 132Son intervention suscita surtout des sourires et un seul député jugea bon d'y répondre en une phrase où il demanda «à l'honorable préopinant la possibilité d'exécuter son idée, peut-être bonne en théorie.» 133Il est vrai que l'idée était trop nouvelle pour susciter un véritable débat134: en effet, l'Assemblée venait de vivre la première intervention parlementaire qui nous soit connue en faveur du système proportionnel 135Il semble que M. HOFFMANN a été inspiré par V. CONSIDÉRANT, qui était passé à Genève à cette époque136 En tout cas, ce dernier adressa en 1846 à l'Assemblée constituante genevoise une lettre, intitulée Du gou-vernement représentatif ou Exposition de !'Election Véridique137 Il y faisait valoir que l'application du procédé majoritaire aux élections relevait d'une fâcheuse confusion entre «vote délibératif» -votation où l'on ne peut se prononcer que par oui ou par non - et

«vote représentatif» (élection) 138, qui permet à «chaque électeur de déléguer son droit dans la décision des affaires du pays»139Selon lui, le premier se conçoit évidemment comme entraînant la domina-tion de la majorité sur la minorité; par contre, «quand il s'agit...

d'une représentation, la majorité, compacte ou coalisée, ne saurait en aucune façon faire la loi à la minorité» 140, et être seule représen-tée. Au contraire, «il faudrait que l'assemblée élective contînt toutes les opinions, dans la proportion même où elles se trouvent dans le

132 Mémorial des séances de l'Assemblée constituante (1842), vol. I, p. 190.

133 Ibid.: intervention d'un député nommé ironiquement M. LAFONTAINE. Cf. l'exergue de V. CONSIDÉRANT ( 1846), p. I, citant un autre LAFONTAINE:

«Le premier qui vit un chameau s'enfuit à cet objet nouveau;

Le second approcha; le troisième osa faire un licou pour le dromadaire.»

134 AssocIATION RÉFORMISTE (1867), p. 11.

135 E. NAVILLE (1871), p. 79.

136 C'est en tout cas ce qu'affirment A. McL. CARSTAIRS (1980), p. 138; E. His (1938), vol. 3, p. 386; E. KLôTI (1901), p. 20; E. NAVILLE (1871), p. 79; (1879), p. IV; cepen-dant, A. MORIN (1869), p. 47, l'auteur le plus ancien qui mentionne l'intervention de M. HOFFMANN, indique qu'il ne sait pas si ce député a été influencé par V. CONSIDÉ-RANT.

137 V. CONSIDÉRANT (1846).

138 Ibid., pp. 5-6.

139 Ibid., p. 6.

140 Ibid.

corps électoral» 141 La proposition de V. CONSIDÉRANT parut sans doute trop révolutionnaire et aucune suite ne lui fut donnée142

C'est à Neuchâtel que l'idée devait bientôt réapparaître. Un radical dissident, François CANTAGREL, développa dans des articles de presse de 1857 et 1858 divers projets de représentation proportionnelle 143 A l'Assemblée constituante de 1858, Jules PHILIPPIN proposa d'accor-der à chaque groupe de 200 citoyens un représentant au Grand Conseil, ou du moins de spécifier dans la Constitution que «le méca-nisme électoral a pour but la représentation sincère et proportionnelle de toutes les opinions et de tous les intérêts» 144Sa motion fut rejetée par 40 voix contre 30, mais, pour la première fois dans l'histoire du monde, une très forte minorité s'était prononcée en faveur d'un chan-gement fondamental du mode de scrutin 145

La question ne tarda pas à se reposer à Genève, où, déjà en 1861, le conservateur protestant Antoine MORIN développa une nouvelle forme de système proportionnel très élaborée 146 L'année suivante, il s'adressa à la Constituante, en accord avec Charles BELLAMY, pour suggérer diverses formes de représentation proportionnelle, ou, à défaut, au moins un système accordant une certaine part aux minori-tés 147Son projet fut rejeté par l'Assemblée, sur la base d'un rapport de commission déclarant qu'il était «d'une application difficile» et n'offrait pas «à la population quelque chose de clair et de précis» 148 Une proposition de RIVOIRE en vue de l'introduction du système pro-portionnel au moins au plan communal n'eut pas plus de succès149Et c'est encore à Genève que fut fondée, le 13 février 1865, sous la prési-dence d'Ernest NAVILLE, une association en faveur de la représentation proportionnelle - l' Association réformiste de Genève - , qui fut la première au monde 15°.

Mais pourquoi les idées proportionnalistes trouvèrent-elles un ter-rain particulièrement fertile à Genève? C'est que ce canton avait

141 Ibid., p. 2.

142 E. CAHN (1909), p. 20; E. KLôTI (1901), p. 24.

143 K. BRAUNlAS (1932), vol. 2, p. 196; E. His (1938), vol. 3, p. 387; E. KLôTI (1901), pp. 48-50.

144 E. His (1938), vol. 3, p. 387; E. KLôTI (1901), p. 49.

14s E. KLôTI (1901), p. 50.

146 A. MoRIN (1861). Pour plus de détails sur ce projet, voir infra p. 180.

147 A. MoRIN (1862). Le dépôt du projet devant l'Assemblée est mentionné par: AssocIA-TION RÉFORMISTE (1867), p. 13; E. HAGENBACH-B!SCHOFF (1888), p. 15; E. KLôTI (1901), p. 24.

l48 E. KLôTI (1901), p. 25.

149 Ibid.

adopté le mode de scrutin majoritaire le plus extrême qui soit - ce que P. KuMMER 151 appelle la «démocratie absolue». Le canton comp-tait en 1842 un nombre restreint d'arrondissements, réduit à trois en

1847. Dans chaque arrondissement étaient élus au premier tour les candidats qui obtenaient la majorité relative des suffrages, pourvu qu'elle atteignît le tiers des votants (ce qui était toujours le cas). Sauf entente entre les deux grands partis - radical et conservateur-démo-cratique, dit encore indépendant - , ou bonne grâce du parti majori-taire qui faisait figurer sur sa liste un certain nombre de candidats de l'opposition, un parti remportait tous les sièges dans chaque arrondis-sement; il arrivait même que l'opposition ne fût pas du tout représen-tée au Grand Conseil 152De plus, comme un déplacement de quelques voix pouvait entraîner un changement de majorité, la tentation était grande de modifier les résultats par des procédés illicites 153Ainsi, un député - M. FALLETTI - put déclarer en 1882 au Grand Conseil 154, pour démontrer l'injustice du système, que, sur dix-sept Grands Conseils élus depuis 1848, neuf ne représentaient qu'un seul parti et excluaient toute opposition, et cinq «avaient des majorités beaucoup plus fortes que ne le comportait le nombre des électeurs qui avaient voté pour elles» 155Voilà pourquoi A. MORIN introduisit son ouvrage De la question électorale dans le canton de Genève par la phrase «La question électorale a, pour le canton de Genève, une gravité exception-nelle» 156 et E. NA VILLE considérait le système genevois comme « proba-blement le plus mauvais qui existe sur la surface du globe entier» 157, car il avait «pour but avoué d'écraser les minorités» 158

150 AssocIATION RÉFORMISTE (1867), pp. VI-VII; K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 196;

K. BüRKLI (1891), p. 64, note; E. CAHN (1909), p. 22; A. McL. CARSTAIRS (1980), p. 138; E. His (1938), vol. 3, p. 387; E. Kum (1901), p. 26; P. KuMMER (1969), p. 77;

A. MORIN (1875), p. 130; E. NAVILLE (1871), p. 79; (1890), p. 4; N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, p. 378; E. ScHILLINGER (1973), p. 107; F. A. W1LLE/K. H!LTY (1883), p. 568. La date du 13 février 1865 est celle des statuts; celle du 15 janvier, mentionnée par K. BüRKLI (1891), p. 64, note et E. KLôTI (1901), p. 26, est celle du premier pro-gramme: voir AssocIATION RÉFORMISTE (1867), pp. VI-VII.

151 ( 1969), p. 72.

152 AssocIATION RÉFORMISTE (1867), pp. 4-12; (1873), p. 7; K. BORKLI (1891), p. 64, note;

J. GFELLERIE. GoNIN (1880), p. 5; Y. MÉNY, et autres (1985), pp. 20-21;

A. MORIN (1861), p. 12; (1862), p. 6; (1869), pp. 3 ss; E. NAVILLE (1864b), p. 24;

(1870), p. 6; (1874), p. Il; (1890), p. 4; N. SARIPOLOS (1899), vol. !, p. 391, note 2;

vol. 2, pp. 375-377; F. A. WILLE/K. HILTY (1883), p. 8.

153 E. GRUNER (1978), vol. 1, p. 543.

154 Assoc1ATION RÉFORMISTE (1882), pp. 4-6.

155 Ibid., p. 5. Voir aussi N. SARIPOLOS (1899), vol. !, pp. 391, 464.

l56 A. MORIN (1869), p. 3.

157 E. NAVILLE (1864b), p. 45; voir aussi E. NAVILLE (1871), p. 208, note !.

158 E. NAVILLE (1864b), p. 40.

Déjà en 1846, la révolution radicale avait été en partie provoquée par les défauts du découpage électoral, qui avaient permis, lors des élections du 7 octobre, aux conservateurs d'obtenir 29 sièges avec 1342 suffrages, alors que les radicaux n'en recueillaient que 19 avec 1409 électeurs; ce n'est d'ailleurs pas par hasard que V. CONSIDÉRANT choi-sit la Constituante de 1846 comme destinataire de la première publica-tion importante en Europe en faveur de la représentapublica-tion proporpublica-tion- proportion-nelle 159Mais ce furent surtout les troubles sérieux survenus suite à l'élection complémentaire au Conseil d'Etat du 21 août 1864 qui firent apparaître les défauts de l'organisation électorale genevoise. Le candi-dat indépendant, M. CHENEVIÈRE, obtint 5677 voix contre 5340 au célè-bre leader radical James FAZY. Le bureau électoral, en majorité radi-cal, annula l'élection de M. CHENEVIÈRE et proclama élu M. FAZY.

Cette irrégularité entraîna des manifestations et des affrontements armés qui firent plusieurs morts et blessés. Le Conseil d'Etat fut pris en otage par un groupe de sympathisants du parti indépendant. La crise ne put être résolue que par une intervention fédérale et la pro-clamation de l'élection de M. CHENEVIÈRE par le Conseil fédéral 160

Certes, ce n'était pas le système électoral employé pour l'élection du Grand Conseil qui avait donné lieu directement à ces troubles. Mais il avait engendré le bipartisme et donc permis qu'un déplacement de quelques centaines de voix sur environ 15 000 modifiât entièrement la composition du Grand Conseil, ce qui ne pouvait que favoriser la fraude et la violence 161Telles furent les circonstances qui engagèrent Ernest NA VILLE à combattre pour un mode de scrutin assurant la repré-sentation de toutes les tendances au Grand Conseil 162 et entraînè-rent la naissance de la première Association réformiste du monde163

Les violences qui eurent lieu à Carouge lors des élections au Grand Conseil du 13 novembre 1864, malgré la présence des troupes en-voyées par la Confédération, devaient évidemment conforter NAVILLE dans son opinion 164; il alla même jusqu'à déclarer: «c'est... la guerre civile qu'on institue» 165Cependant, ni la pétition adressée par l

'Asso-159 E. KLôTI (1901), p. 21; voir supra pp. 78, 81-82.

16

°

C. BONARD (1987); A. McL. CARSTAIRS (1980), p. 138; E. His (1938), vol. 3, p. 81;

E. KLôTI (1901), pp. 25-26; P. KUMMER (1969), p. 75; E. NAVILLE (1890), p. 3; (1896), pp. 5-6.

161 AssocJATION RÉFORMISTE (1873), p. 7; E. NAVILLE (1864b), p. 24; (1871), p. IX.

162 E. NAVILLE (1864a),passim; (1864b),passim.

163 Assoc1ATION RÉFORMISTE (1869), p. 8; E. KLôTI (1901), p. 26; P. KUMMER (1969), p. 75;

A. MORIN (1869), p. 9; (1875), p. 130; E. NAVILLE (1890), p. 4; (1896), p. 7; T.

PoLEDNA (1988), p. 9.

164 E. NAVILLE (1864b), pp. 12 SS.

165 Ibid., p. 41. Voir aussi E. NAVILLE (1870), p. 28: «Notre système électoral entretient la guerre civile en permanence».

ciation réformiste au Grand Conseil le 26 novembre 1866, munie de 2290 signatures, ni une proposition formulée par Amédée RoGET, traitée par le Grand Conseil en février 1870, ne furent couronnées de succès 166

Entre temps, l'idée avait progressé à Neuchâtel. Le député conser-vateur JACOTTET proposa en juin 1868 au Grand Conseil un projet de système proportionnel. Une commission parlementaire, puis - le 14 novembre 1869 - le plenum, par 43 voix contre 38, se rallièrent au nouveau mode de scrutin. Allait-on assister, pour la première fois dans l'histoire, à l'introduction du nouveau système pour l'élection de tout un Parlement? Non, car «la loi ne fut pas définitivement adoptée.

Le 21 juin 1870, 51 votes contre 30 l'ajournèrent»167La proposition de M. JACOTTET fut toutefois à l'origine de la création de la «Société Neuchâteloise pour la Réforme électorale» 168

Cependant, le mouvement proportionnaliste avait commencé à s'étendre en dehors des deux cantons pionniers de Genève et de Neu-châtel. Déjà, en 1862, Adam HERZOG-WEBER avait proposé à Lucerne l'adoption d'un système proportionnel dans les circonscriptions à plus de deux sièges; il échoua cependant à cette date aussi bien qu'en 1867;

toutefois, le Grand Conseil adopta en 1869 une disposition constitu-tionnelle précisant qu'il fallait avoir égard aux minorités 169A Zurich, une association réformiste fut fondée en 1868, après les interventions de François A. WILLE et de Georg von Wvss à la Constituante en faveur d'une réforme170 Karl BüRKLI reprit le flambeau devant le Grand Conseil en 1874, mais sans plus de succès 171Le mouvement ne tarda pas à toucher le canton de Vaud, où une association réformiste vit le jour en 1875172; des interventions parlementaires eurent lieu cette même année, non seulement à Lausanne, mais aussi à Lucerne et à

166 AssocIAnoN RÉFORMISTE (1867), pp. VIII ss; E. Kum (1901), pp. 28-30; E. NAVILLE (1871), pp. 11, 81-82.

167 A. MoRIN (1875), p. 17. Voir aussi E. His (1938), vol. 3, p. 387; E. KLon (1901), pp. 50-51; E. NAVILLE (1871), pp. 93-95, 130 ss; (1879), p. III; (1890), p. 12; (1896), pp. 9-10.

168 J. GFELLER (1875), p. 6; E. His (1938), vol. 3, p. 387; E. KLôTI (1901), p. 51;

E. NAVILLE (1871), p. 80.

169 E. GRUNER (1978), vol. 1, p. 544; E. KLôTI (1901), pp. 100-101, 130-132; P. KUMMER (1969), pp. 106-107; E. NAVILLE (1871), p. 92. Cf. E. His (1938), vol. 3, p. 439.

170 J. GFELLER (1875), p. 6; E. His (1938), vol. 3, p. 387; E. KLôTI (1901), p. 86;

P. KuMMER (1969), pp. 68, 78 ss, 97 ss; O. LUTZ (1913), p. 170; E. NAVILLE (1871), pp. 80, 92.

171 K. BüRKLI (1891), p. 42; E. KLôTI (1901), p. 88; P. KUMMER (1969), pp. 153 SS;

o. LUTZ (1913), p. 170.

172 J. GFELLER (1875), p. 6; E. KLôTI (1901), p. 122; P. KUMMER (1969), p. 121.

Bâle 173 C'est alors que naquit l'idée d'une association réformiste suisse: celle-ci fut officiellement fondée en 1876, et porta le nom de

«Société suisse pour la représentation proportionnelle» 174

Les efforts des proportionnalistes gagnèrent vite le plan fédéral.

Dès 1871, Adam HERZOG-WEBER, dans le cadre de la révision totale de la Constitution, déposa au Conseil national une motion pour l'intro-duction d'un système essentiellement proportionnel dans toutes les cir-conscriptions comprenant au moins deux sièges, qui aboutit à un échec, malgré le soutien des Associations réformistes de Genève et de Zurich175Une brochure adressée par A. MORIN aux autorités fédé-rales 176, qui visait le même but 177, ne rencontra pas plus d'écho; remar-quons que MORIN se serait éventuellement contenté d'une modification législative limitée à Genève, afin d'éviter que des violences ne s'y pro-duisent à nouveau 178 En 1873, l' Association réformiste genevoise, sous la plume d'E. NAVILLE et A. ALLIEZ179, considérant que l'échec de la revision totale de 1872 traduisait un désaccord entre le peuple et ses autorités auquel le mode de scrutin n'était pas étranger180, adressa au Conseil fédéral un mémoire où elle demandait l'institution d'un sys-tème propre à donner un résultat proportionnel 181; sa démarche ne fut pas davantage couronnée de succès 182 • L'association suisse ne tarda pas à lancer (en 1877) une pétition à l'Assemblée fédérale, qui n'entra même pas en matière 183

Cependant, au printemps 1881, le Conseil national accepta sous forme de postulat une motion de trois députés conservateurs - von

173 J. ÜFELLER (1875), p. 6; E. KLôTI (1901), p. 122. Notons cependant qu'à Bâle, Eduard HAGENBACH-BiscHOFF en était à son coup d'essai et ne proposa que le vote limité:

E. KLôTI (1901), p. 108; sur le vote limité, voir infra pp. 171-172.

174 K. BRAUNIAS (1932), vol. 2, p. 199; E. ÜRUNER (1978), vol. 1, p. 551; E. KLôTI (1901), p. 136; P. KuMMER (1969), pp. 125 ss; F. A. WILLE/K. HiLTY (1883), p. 8.

175 T. CuRn (1900), pp. 43-44; E. GRUNER (1978), vol. l, p. 544; E. His (1938), vol. 3, pp. 113, 362; E. KLôn (1901), pp. 133-134; N. SARIPOLOS (1899), vol. 2, pp. 454-455;

B. M. ScHNEWLIN (1946), pp. 7-8; FF 19101428. P. KUMMER (1969), pp. 106-107, est dans l'erreur lorsqu'il indique que la motion ne concernait que les circonscriptions à plus de deux sièges.

176 A. MORIN (1872); voir aussi E. KLôTI (1901), pp. 134-135.

177 A. MORIN (1872), pp. 3-4, 16-17.

178 Ibid., p. 17.

119 AssoCIATION RÉFORMISTE (1873).

180 Ibid., pp. 5-6.

181 Ibid., pp. 14-15.

l82 E. KLôTI (1901), pp. 134-135.

183 E. ÜRUNER (1978), vol. l, p. 552; E. KLôTI (1901), p. 137; P. KUMMER (1969), pp. 129 SS.

SPRECHER, THOMA et SoNDEREGGER - demandant au Conseil fédéral de faire un rapport sur la prise en considération des minorités pour l'élection de la Chambre basse. Le Conseil fédéral s'adressa au prési-dent de la Société suisse pour la représentation proportionnelle, le Dr F. A. WrLLE, et à un adversaire de la réforme, le Prof. K. HrLTY, qui rendirent une expertise assez complète184A l'époque, les radicaux (et libéraux) disposaient de l'ensemble des sièges du Conseil fédéral 185 et étaient favorisés par le mode de scrutin en vigueur pour l'élection du Conseil national; il n'est dès lors pas étonnant que le Gouvernement se soit rallié à l'opinion de HrLTY, qui écrivait par exemple «est

SPRECHER, THOMA et SoNDEREGGER - demandant au Conseil fédéral de faire un rapport sur la prise en considération des minorités pour l'élection de la Chambre basse. Le Conseil fédéral s'adressa au prési-dent de la Société suisse pour la représentation proportionnelle, le Dr F. A. WrLLE, et à un adversaire de la réforme, le Prof. K. HrLTY, qui rendirent une expertise assez complète184A l'époque, les radicaux (et libéraux) disposaient de l'ensemble des sièges du Conseil fédéral 185 et étaient favorisés par le mode de scrutin en vigueur pour l'élection du Conseil national; il n'est dès lors pas étonnant que le Gouvernement se soit rallié à l'opinion de HrLTY, qui écrivait par exemple «est